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Quelques réflexions sur le rôle d’interprète communautaire

Zorica GLAUSER

04 / 2010

Appartenances est une association fondée en 1993 à Lausanne, comprenant deux antennes, à Yverdon et à Vevey, et qui Ĺ“uvre pour le mieux-être et la qualité de vie des personnes migrantes. Elle comprend plusieurs secteurs d’activités: des Espaces sociaux (cours de langue, rencontre et orientation sociale), une Consultation psychothérapeutique pour migrants (CPM), un Secteur formation pour les professionnels et un Secteur interprétariat communautaire.

Les interprètes communautaires sont formés et spécialisés pour des traductions dans trois domaines : scolaire, social et médical. Le code professionnel des interprètes communautaires a été adopté par l’Assemblée des membres d’INTERPRET, Association suisse pour l’interprétariat communautaire et la médiation culturelle en octobre 2005. En septembre 2009, la première génération d’interprètes a passé l’examen du Brevet fédéral d’interprète communautaire, titre reconnu par l’Office fédéral de la Formation professionnelle et de la Technologie (OFFT).

Le rôle de l’interprète communautaire est complexe car il ne s’agit pas seulement de traduire et d’interpréter. Il y a beaucoup d’autres aspects en jeu. Contrairement au statut élevé des interprètes de conférence, dont les compétences sont socialement reconnues, le statut des interprètes communautaires donne plutôt une image très limitée en terme d’identité professionnelle. Nos usagers sont dans la plupart des cas des requérants d’asile ou des migrants de classes socioprofessionnelles défavorisées.

En plus de très bonnes connaissances linguistiques, d’une capacité d’écoute active, d’analyse simultanée et de mémorisation, l’interprète communautaire doit détenir quelques compétences supplémentaires. La connaissance des différences culturelles, la capacité de communication, la finesse de la perception, l’évaluation et le tact pour agir de façon adéquate et au bon moment sont requis. Nous devons bien estimer quand nous pouvons parler, quand nous devons nous taire, comment s’approcher des gens qui sont issus de milieux sociaux différents et comment demander ou donner une information.

S’intéresser à la langue, à la signification pragmatique par rapport à la signification sémantique de certains mots, est très important. Le même mot n’a pas forcément la même valeur sociale d’un pays à l’autre. Il faut maîtriser les différents aspects de la langue : la signification, le cadre, le contexte, la communication, la pratique culturelle. Si nous parvenons à nous familiariser avec les deux mondes, nous devenons un moyen de communication possible entre eux.

La médiation culturelle est un sujet délicat, parfois risqué. Il faut se méfier et éviter de généraliser les aspects culturels. Nous devons être conscients des différences qui existent entre les régions de notre pays. Il y a aussi l’aspect éducatif, religieux, le milieu social et les caractéristiques personnelles de l’usager qui jouent un rôle important.

Si nous sommes conscients des sources de malentendus possibles, nous pouvons, dans une certaine mesure, augmenter les chances de compréhension. Des tensions ou des frustrations peuvent être transformées en levier de performance, en création de confiance. Il est nécessaire de pouvoir se projeter dans son propre passé de migrant afin de comprendre l’expérience de l’autre, même si cela est parfois très difficile.

Une alliance créée avec les usagers est un facteur primordial lorsqu’on agit comme médiateur culturel. Parfois, par crainte de passer pour des « primitifs », ces derniers se méfient d’admettre certaines valeurs culturelles, comme par exemple le recours secret, et plus ou moins honteux, aux guérisseurs du corps et de l’âme. D’après mon expérience, si l’interprète ne donne pas un équivalent comparable entre la culture suisse et celle du migrant, l’intervenant ne réagit pas forcément et nous n’aboutissons pas à la création d’un climat propice : le lien ne se crée pas et l’usager reste figé dans son monde ; le clivage culturel s’approfondit.

Les craintes des intervenants (professionnels actifs dans les domaines social, scolaire et de la santé) qui travaillent avec des interprètes sont différentes des nôtres ; ils ne sont pas sûrs de réussir à instaurer une relation privilégiée avec l’usager en présence de l’interprète. Ils ont souvent peur que certaines parties leur échappent à cause des omissions et de la transformation du message. Il nous arrive à tous de faire des omissions ou de ne pas comprendre le propos, mais il est très important de l’expliciter aux intervenants. Paradoxalement, c’est aussi une façon d’établir une alliance avec eux.

En revanche pour nous, les interprètes, nos difficultés peuvent être les suivantes :

Gérer nos émotions. Lorsque nous devons traduire des récits d’usager extrêmement douloureux, prononcer des mots qui suscitent de fortes émotions, nous avons le sentiment d’être un « filtre » à travers lequel ces mots et ces émotions insupportables passent. Nous nous sentons en même temps comme le « pont » qui permet le passage d’informations et comme « l’écran » qui reflète dans la mesure du possible l’aspect non-verbal des propos : le ton de la voix, la vitesse, les mimiques, la gestuelle.

Dans certaines circonstances, certains mots sont plutôt sous-entendus que clairement prononcés. Par exemple, dans le cas de victimes de torture qui ont trop honte de dire ce qu’elles ont subi, surtout lorsque cela touche aux aspects sexuels.

Nous pouvons aussi nous trouver face à des usagers dont les énoncés sont confus et le flux chaotique, ils utilisent beaucoup de pronoms et il est difficile de suivre les propos.

S’ajuster aux conceptions et attentes réelles ou supposées du mandant. Pour cela, il est primordial qu’avec l’accord de l’intervenant, nous prenions le temps d’un court entretien préalable, afin de comprendre le cadre et le contenu de l’entretien et clarifier les attentes réciproques, ainsi que d’un entretien subséquent. A l’aide de ce procédé, nous pouvons expliquer notre rôle professionnel et faire preuve de nos compétences, surtout lorsque l’intervenant ne nous connaît pas. Cette démarche permet l’établissement de la confiance entre professionnels.

Être souvent le seul interlocuteur au courant d’éléments confidentiels, étant donné que nous traduisons dans différents dispositifs pour le même usager. Là, il est important de respecter strictement la confidentialité et en même temps de rester transparent, c’est-à-dire d’informer l’intervenant que nous connaissons l’usager parce que nous avons déjà traduit pour lui, sans donner plus d’informations.

Tenir compte du cadre de l’intervenant, en particulier dans le domaine de la psychothérapie. Hormis la langue, l’histoire de l’usager, son comportement apparent et les valeurs auxquelles il tient, il faut tenir compte de tout un monde sur lequel le psychothérapeute effectue son intervention : il se base sur le mode de pensée, le travail entre l’inconscient et celui du non-dit, et d’autres aspects que les interprètes ne connaissent pas forcément. Là, il est important de ne pas « couper » le cadre que le psychothérapeute installe. Si nous jugeons nécessaire de signaler quelque chose au thérapeute, nous pouvons le faire à la suite de l’entretien. L’avantage, dans le contexte d’un suivi psychothérapeutique, est que le thérapeute peut utiliser l’information donnée lors d’une prochaine séance s’il le juge nécessaire.

Par ailleurs, le degré de notre implication en psychothérapie est nettement plus élevé, la collaboration avec les psychothérapeutes étant très intensive. L’alliance établie entre l’interprète et le psychothérapeute est essentielle, car le patient sent quand nous travaillons dans la même direction.

J’ai souhaité dans ces quelques lignes faire part des quelques réflexions qui jalonnent mon expérience d’interprète communautaire et contribuer ainsi à mieux faire connaître notre activité professionnelle dans les différentes situations que nous rencontrons.

Palavras-chave

migração, psicoterapia


, Suíça

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