On est au sein de l’entreprise BIQUETTE, spécialisée dans la fabrication d’équipements climatiques pour l’aviation, et qui abrite quarante salariés. Implantée en Champagne, elle possède deux sites : celui de REOR, où se situe le siège social, et celui de BRIAUD, dédié à la fabrication avec six lignes de production.
A BRIAUD travaillent quarante personnes, réparties sur différents secteurs d’activité (fabrication, qualité, magasin). On y trouve aussi le Service Après Vente (SAV) composé d’un responsable et de sept techniciens. Par ses activités, le SAV est amené à démonter des groupes de climatisation et à récupérer les tôleries en aluminium. Les déplacements fréquents assurent aux membres du SAV des salaires supérieurs à ceux des opérateurs de ligne, ce qui est source d’une certaine jalousie. Et, comme pour en rajouter, un technicien SAV s’est récemment vanté auprès des opérateurs de toucher, en plus de son salaire, des primes liées à la revente de l’aluminium par le responsable SAV.
Les opérateurs ont alors contacté le délégué du personnel pour lui demander de soumettre, lors de la prochaine réunion plénière mensuelle, la question suivante : qu’advient-il de l’argent récupéré lors de la vente de l’aluminium à l’atelier ? Cette question a donc été soumise, par la voie normale du cahier des délégués, le lundi matin pour une réunion devant se tenir le vendredi. Ces réunions sont toujours présidées par le président de la société, assisté du directeur général (DG). Dès lors, cette même semaine est marquée de deux évènements. Le mardi soir, le responsable SAV est convoqué par le directeur général pour avoir sa version des faits. Puis, le vendredi matin à 8 heures, le délégué du personnel reçoit un appel du DG. Celui-ci lui explique que la question est embarrassante, qu’elle met l’entreprise en mauvaise situation vis-à-vis du fisc et qu’il serait gênant que le personnel du site de REOR soit informé de cette affaire. Il lui demande donc de se préparer à recevoir du président la réponse suivante : « La société n’avait pas connaissance de ces agissements, une étude sera menée afin de connaître la rentabilité qu’il y aurait à récupérer l’aluminium pour la société ».
Le délégué du personnel se voit donc soumis à un dilemme : doit-il jouer le jeu de la direction, ou celui des salariés ? Riche de dix ans d’ancienneté chez BIQUETTE et exerçant la fonction de délégué depuis deux ans, il avait jusqu’à présent toujours réussi à défendre les intérêts des salariés, tout en évitant d’occasionner des problèmes ou controverses qui auraient pu nuire de façon trop flagrante à son évolution. C’est donc également un autre dilemme qui se joue, entre son sens des responsabilités collectives et son intérêt personnel.
Deux grandes possibilités semblent se présenter. La première serait de prendre acte de la réponse du président et de ne faire aucun commentaire à qui que ce soit. Cela signifierait évidemment cautionner la dissimulation et donc mentir aux employés qui lui font confiance, mais au moins cette posture favoriserait sa situation vis-à-vis de la direction. La seconde serait de refuser cette réponse, par exemple en refusant de signer le procès verbal de la réunion. Ce document devant être paraphé par le président ainsi que par le délégué, ce serait là un moyen de manifester son désaccord. La question devrait alors être reposée à l’occasion d’autres réunions et le délégué s’exposerait à de probables sanctions de la part de la direction. L’une ou l’autre de ces solutions pourrait être assortie, si le délégué souhaitait vraiment faire « éclater l’affaire », de différentes mesures : prévenir l’inspection du travail (ce qui risquerait de causer de graves torts à la société, d’autant plus que d’autres malversations pourraient, pourquoi pas, être dévoilées à l’occasion d’un contrôle…) ou envenimer de façon plus ou moins ouverte la situation auprès des employés, ce qui, là encore, pourrait occasionner de nombreuses complications.
Le délégué du personnel a finalement choisi de ne pas signer le procès verbal. Sa pérennité dans l’entreprise en est possiblement compromise. Le responsable du SAV a cessé ses pratiques sous l’effet de la publicité qui leur était accordée et n’a pas été davantage inquiété.
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