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Accompagner la collaboration entre réseaux avec des outils numériques

L’expérience de ACH/ Beijaflor

Claude HENRY

11 / 2009

Il semble évident que l’usage de la Toile par des collectifs porteurs d’initiatives alternatives économiques et politiques améliore sensiblement leur efficacité. Il s’avère cependant que cette évolution est lente. Tout semble se passer comme si, après une diffusion forte de l’usage du mail et de la pratique de la recherche d’information sur la toile, le pas à franchir pour être actif dans le Web2 ne s’effectue que de manière très progressive. L’auteur de ces lignes a eu la chance d’être partie prenante d’une tentative d’appropriation des TIC (technologies de l’information et de la communication), lors de la naissance du Collectif Beijaflor/ACH.

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Le collectif Beijaflor autour du « bien vivre »

Dans le contexte de crise grave que traverse la Planète, de multiples groupes (1) s’investissent dans l’expérimentation d’alternatives au système dominant. Des expérimentations significatives, encore trop contraintes par le système dominant, ont vu le jour dans différents domaines, telles que l’agro-écologie, les monnaies alternatives, le travail personnel « sur soi », les villes écologiques, une culture de l’être et non plus de l’avoir, etc. ; sans qu’une orientation d’ensemble, politique, ne se dégage pour l’instant… Dans ce moment d’attente de mutation, ou, si on veut être plus optimiste, de mutation engagée, et face à l’ampleur de la tâche d’invention d’un autre mode de vie, on voit divers réseaux tenter de se regrouper, pour être plus visibles… et plus forts !

C’est sous les grands arbres du Parc de la Tête d’Or (Lyon, France), début juillet 2008, lors des 4es Dialogues en Humanité (2), qu’est née l’idée d’un réseau de réseaux porteurs de potentialités créatrices, face aux menaces multiples de notre monde contemporain. « beijaflor », le nom de cet inter-réseaux, a fonctionné comme un code entre les membres pour désigner « l’Alliance civique pour l’Humanité » (ACH).

Le groupe partage la conviction que nous sommes dans un moment historique de crise systémique qui se caractérise par une double tension :

  • La domination de l’économie sur la vie politique mène à une rupture des liens avec une société civile porteuse de potentialités positives multiples et immenses. Il faut rapidement retrouver une relation vivante avec le politique et viser une société dans laquelle l’humain retrouve un lien serein avec lui-même, avec les autres et avec ses milieux naturels et environnementaux.

  • L’échec des tentatives historiques récentes de changement de paradigme social nous interpelle. Nous pensons qu’il est possible de le dépasser, si nous reconsidérons la question humaine dans les organisations démocratiques à reconstruire, dans la ville, dans les associations et, bien entendu, dans l’entreprise !!!

L’intention du Collectif était donc d’Ĺ“uvrer à la mise en synergie de ceux qui agissent et partagent des valeurs et des pratiques pour remettre l’Humain et la Nature au centre de leurs aspirations.

La question humaine – bien vivre et bien mourir - comme question politique (Patrick Viveret (3)) et la nécessité pour chacun de lier transformation personnelle et transformation sociale, constituent un « principe supérieur commun » à ce réseau de réseaux.

Une année sera nécessaire pour cerner précisément l’identité du collectif, préciser ce que nous voulions, devions ou pouvions faire, tout en tirant parti de nos expériences antérieures pour ne pas échouer.

On trouvera une présentation de la démarche et des réseaux membres sur l’espace collaboratif « beijaflor » (4). Dix-huit en tout, dont quatre plus importants, se sont engagés dans l’expérience. Ils rassemblent une petite centaine de personnes, francophones, dont une poignée hors de France.

Premiers pas avec un wiki

Nous relier par les vertus du numérique a été une idée immédiatement acceptée ; idée lancée et rendue opérationnelle par l’auteur de ces lignes qui joue le rôle de facilitateur.

Avant la constitution de ce collectif , chacun des réseaux utilisait, souvent modestement, mail et Web et entrevoyait l’utilité de faire collectivement un pas en avant dans les pratiques numériques. L’originalité de cette expérience de facilitation des usages d’outils numériques tient à la diversité des réseaux à mettre en collaboration.

Le point de départ est l’ouverture d’un espace wiki (5) et d’une liste de discussion. Une première mise en forme du wiki fût proposée durant le mois de septembre 2008, avec l’objectif qu’elle soit discutée au cours d’une rencontre physique, deux mois plus tard. Des petits menus déroulants très simples, (des onglets, bien visibles en page d’accueil) signalent le découpage du site en fonction de la visée de l’inter-réseaux : « Accueil », « Textes de référence », « La démarche », « Les réseaux membres », « Les réseaux partenaires ». Ces onglets sont compréhensibles directement par chacun et permettent d’accéder à des menus ouvrant sur différentes pages. Un mini-blog devait compléter le wiki mais, piraté, il a été mis en sommeil.

Le choix du wiki fut commandé par le désir de commencer très simplement, et de ne monter en complexité, par ajout de fonctionnalités, qu’une fois effectuées les premières prises en main par un petit nombre de membres. Un autre choix s’est révélé crucial : n’obliger personne à s’identifier sur le wiki. Des expériences précédentes sur des groupes de même culture numérique (6) montraient qu’une procédure d’identification risquait de produire une exclusion d’un bon quart des membres, fatale à la poursuite du processus.

Jardinage et voisinage numériques

Dans un premier temps, ce fut le facilitateur/ « jardinier » (7), aidé par une spécialiste des outils les plus récents (vidéo/son), qui a enrichi les différentes pages, et suscité la mise en place des pages de présentation de chacun des réseaux membres par eux même. Quelques personnes à l’aise avec ces techniques (trois personnes sur un groupe d’alors une soixantaine) se sont saisies de cette proposition, mais ne développent guère d’activité par la suite, peut-être en attente d’une avancée – technique ou relationnelle - plus rapide.

Puis, plus intéressant, un second groupe entre dans le jeu, voyant l’adéquation entre la visée du collectif en train de se structurer et les informations rassemblées. Au début ce sont des contributions techniquement très simples, passer en édition et écrire « au kilomètre » - c’est à dire sans soin particulier de mise en forme textuelle - ou le plus souvent, transférer par copier-coller un texte écrit précédemment. Les membres « experts » du premier groupe aident les autres. Cette « facilitation par voisinage », dans laquelle celui qui sait un peu plus que l’autre enseigne au second ce qu’il sait (le processus se déroulant de proche en proche), ne durera guère.

En novembre 2008, certaines actions vont permettre de déployer de nouvelles fonctionnalités proposées par le facilitateur (moi-même, on l’aura compris). Mais plus tard, des demandes commencent à émaner du groupe, par exemple « pourrait-on être prévenu quand une page du wiki est modifiée ?».

Ainsi, il est décidé de préparer une prise de position à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Ceci conduit à une écriture à plusieurs mains, via l’usage du wiki et l’échange de e-mails, puis à un sondage (8) portant sur ce texte. La nouveauté de cette pratique surprend, intéresse, et il y a suffisamment de participation pour que le texte soit validé.

En mars 2009, deux journées de travail sur le « vivre et décider ensemble » et sur la construction de l’identité de l’inter-réseaux sont l’occasion d’organiser un sondage sur les attentes des participants. Le sondage, placé sur le wiki, permet à tous de voir les intentions déclarées et aux animateurs de mieux calibrer la journée. L’efficacité de cet outil simple a fait beaucoup pour la « promotion » de l’espace numérique auprès des membres encore réticents.

Le facilitateur, aidé par plusieurs rapporteurs, tente d’assurer la conservation dynamique de la mémoire de ces deux journées, qui malgré la mise à disposition des outils, peine à se concrétiser. De nombreux rappels sont nécessaires, et la collecte se révèle partielle.

Une tentative malheureuse d’usage d’un réseau social, via le site activiste WiserEarth, portée par quelques membres de BeijaFlor, souligne en creux l’importance de la facilitation.

Certains sont tentés de mettre en attente ou de se replier sur des actions « bilatérales ». Mais l’ensemble tient bon. Un nouveau groupe d’animateurs émerge en vue d’une rencontre qui aura lieu au terme d’une année, date à laquelle un consensus devra être trouvé sur l’identité et les actions communes à engager. Le « look » de l’espace collaboratif est amélioré à la marge. Surtout, l’effort « d’édition » partagée se poursuit.

L’inter-réseaux cherche actuellement un second souffle. Il a précisé quelques principes généraux, comme celui de la subsidiarité (ne rien faire dans l’inter-réseaux qui soit déjà fait dans l’un des réseaux). De manière plus précise, on a mis à jour la nécessite de deux grandes fonctions :

  • En premier lieu, maintenir entre les réseaux un lieu d’échange, de savoir et de recherche sur la question du mieux être ; être « un lien, un liant »; renforcer l’interdépendance entre collectifs par « pollinisation »; donner de la visibilité, mutualiser, et innover dans le mieux-être (être dans son intégrité personnelle dans la vie collective) dans tous les processus de transformation du Monde, en percevant en toute chose les dimensions politiques (la gestion féconde des tensions entre les groupes) et économiques.

  • Et en second lieu, repérer les éléments majeurs à la fois risques et chances pour l’humanité encore insuffisamment couverts par des réseaux de la société civile mondiale tels que par exemples : les atteintes à la biodiversité ; les risques de dérapage nucléaire ; l’appropriation citoyenne de la monnaie.

La facilitation, entre la technique et la socialisation du collectif

La facilitation, telle qu’elle a été brièvement décrite dans ce texte, a largement permis qu’un fil rouge demeure dans le temps, par la construction d’une mémoire collective structurée, disponible à tout moment. Le groupe se serait dissous assez rapidement sans la volonté d’un tout petit noyau de personnes, quatre dont le facilitateur. Il est fort possible que le second souffle soit trouvé… Il y aura alors une autre facilitation.

L’analyse de cette période montre que la facilitation, par le « jardinage » de l’espace collaboratif et les nombreuses invitations à participer sous différentes formes, a pour objectif à la fois de produire du contenu et également de « produire du collectif ».

Proposer un premier outil très simple ; convaincre les plus experts qu’il faut commencer ainsi ; préparer une maquette, au mieux avec un petit groupe de non-experts, la présenter devant l’ensemble du groupe, le plus rapidement possible ; attendre que des besoins s’expriment pour faire émerger de manière partagée de nouveaux besoins et proposer des fonctionnalités spécifiques nouvelles ; aider chacun à maîtriser les fonctions les plus simples ; lorsque le désir est là, suscité par des pratiques réussies, savoir proposer sans retard, de nouvelles fonctionnalités ; ouvrir des séries de pages cohérentes qui pourront être alimentées par tous ensuite. Travailler la mise en page, sans usage excessif des techniques dernier cri, mais rester attentif à ce qui émerge de réellement utile et appropriable par tous.

Tout ceci demande au facilitateur d’être bien intégré au pilotage collectif de l’inter-réseaux et de « sentir » les différentes forces au sein du collectif, d’agir en tant que passeur entre les membres, sans s’interposer.

L’idéal est d’être un petit noyau - deux personnes - pour l’édition : gestion des pages, cohérence du contenu, mise en mémoire, visualisation, et un petit groupe pour l’accompagnement au cas par cas, avec le plus possible d’accompagnement « par voisinage ».

Un double appui technique extérieur est nécessaire: une gestion technique (mise en place initiale, serveur, « capacitation »  technique du (ou des) facilitateur(s)) et un éclairage des « possibles techniques » : l’équipe Outils-réseaux a joué ces deux rôles techniques, l’immédiat et le prospectif, et une autre personne a aussi aidé à imaginer de nouveaux dispositifs techniques .

Les besoins de facilitation sont immenses. La facilitation n’a pas encore trouvé sa reconnaissance fonctionnelle, et encore moins professionnelle. C’est plus que nécessaire dans la société moderne qui doit réinventer ses modes de fonctionnement collectifs, quels qu’ils soient. Dans notre cas, la facilitation a trop reposé sur une personne retraitée bénévole ayant eu l’opportunité de suivre et d’être un peu acteur de l’évolution des usages collectifs du numérique depuis une quinzaine d’années, comme chercheur et praticien associatif.

1On pense en particulier au mouvement d’« associationisme » qui désigne un courant de pensée née pendant « du printemps des peuples » que fût la période des révolutions – passagères – de 1848 en Europe. L’idée de « l’association » est née à cette époque pour faire face à l’idée de contrat dont les partisans du libéralisme économique souhaitaient la généralisation. Cette pensée sera bousculée par le développement des idées marxiennes. Elle est reprise en France par une école de sociologie et de philosophie politique autour d’Alain Caillé et de Roger Sue. Elle est diffusée par la Revue du Mauss. On s’intéresse ici à la partie du tissu associatif issu des idées de 48, donc investi dans l’expérimentation d’alternatives au système dominant.
2Dialogues en humanité est une rencontre annuelle ouverte à tous proposée par Patrick Viveret, dialoguesenhumanite.free.fr/
3fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Viveret
4beija-flor.info
5Cette installation se fait avec le support de l’équipe Outils-réseaux, outils-reseaux.org
6On désigne par culture numérique le niveau de savoir-faire dans les usages des outils numériques des différents membres du groupe.
7La connotation naturaliste du mot « jardinier », proposée à titre de boutade dans un premier temps, s’est révélée utile pour désigner celui qui est le « garant » de la qualité de l’organisation et de la pérennité des divers outils numériques.
8Il a suffit de préparer un tableau de questions sur le site de Google Documents. Ensuite est généré sur ce même site une ligne de code informatique que l’on recopie sur une page de wiki - on désigne cette opération par le terme : mettre un « widget ». Le tableau et son contenu est alors lisible par tous sur la page du wiki choisie.
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