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Le recours à l’épargne solidaire pour permettre l’accès à la terre

L’exemple de Terre de liens

Agnès ROUSSEAUX

12 / 2009

En France, le prix des terres agricoles s’envole. La spéculation foncière rend de plus en plus difficile l’installation de jeunes agriculteurs alors que la France importe désormais 50% de ses produits bio. En proposant de se servir de l’épargne solidaire, l’association Terre de liens tente de développer un système alternatif, favorisant l’installation de paysans, le respect de l’environnement et la relocalisation de l’agriculture. Et si votre épargne se faisait solidaire et alimentaire…

Chaque semaine, 200 fermes disparaissent en France. Pour ceux qui souhaitent s’installer, difficile d’acheter les terres agricoles au prix actuel ou de prendre la décision de s’endetter à vie. La spéculation foncière provoque une augmentation continue des prix chaque année : un hectare de terre agricole coûtait 3500 euros en 2000. En 2008, il valait plus de 5000 euros. Soit une hausse de 45 % en 8 ans ! Résultat : lors de départ à la retraite d’agriculteurs, plus de la moitié des terres libérées vont à l’agrandissement des exploitations existantes. Pour un agriculteur qui s’installe, il y en a six qui partent, et un autre qui cherche en vain à acquérir un terrain ! (1)

Face à ces constats, que faire ? Terre de liens a été créée en 2003. Elle comprend aujourd’hui une association, une foncière et une fondation, dont l’objectif est de soutenir l’accès au foncier, dans une démarche collective, par un appel aux dons et à l’épargne solidaire. Des paysans, porteurs d’un projet agricole « socialement responsable et écologiquement durable » peuvent ainsi concrétiser leur installation. Un moyen aussi d’encourager financièrement le développement d’une autre agriculture, biologique ou « paysanne », comme l’explique Sjoerd Wartena, président de l’association Terre de liens : « 50 % des produits biologiques consommés en France sont importés. En Ile-de-France, il y a une liste de 15 000 personnes en attente pour adhérer à des Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). 90 % de la surface agricole de cette région est utilisée pour la culture traditionnelle en céréales. Ce sont des exploitations de 2000 hectares, là où on pourrait avoir à la place 50 maraîchers. » Le Grenelle de l’environnement a prévu de faire passer la surface agricole utile (SAU) pour l’agriculture biologique de 2 % à 6 %. On en est loin. En aidant à l’acquisition de fermes, Terre de liens participe à la création de nouvelles exploitations en agriculture biologique. Le plus fréquemment, ce sont des projets de maraîchage, mais aussi des vignes, des grandes cultures, toutes en bio, tournées vers les consommateurs, de « vraies fermes de liens ».

Une alternative à la propriété individuelle

Sébastien vit dans le sud de la Touraine. Il a décidé en 2006 de s’installer comme éleveur caprin et fromager. À 37 ans, il reprend une formation pour mener à bien son projet. Après deux ans de recherche et de négociation pour trouver une ferme à acheter qui corresponde à ses besoins, Sébastien trouve enfin son bonheur : 22 hectares de terres sur lesquels il peut produire l’alimentation des chèvres, en agriculture biologique tout en bénéficiant de bâtiments suffisants pour accueillir fromagerie, salle de traite, chèvrerie, et salles pour des ateliers pédagogiques. Sébastien n’aurait jamais pu acheter ces terres tout seul. Grâce à l’appui de La Foncière Terre de liens et à son épargne solidaire, avec notamment d’une mobilisation d’actionnaires locaux qui ont assuré plus de la moitié de l’investissement, Sébastien a pu mener à bien son projet.

Tout souscripteur de Terre de liens peut orienter son épargne vers une région particulière ou même un projet qu’il choisit. Une façon de rendre visible la solidarité financière. Car l’objectif est aussi de permette à des citoyens de donner du sens à leur argent, à leur épargne. Une action vaut 100 euros. L’actionnaire ne perçoit pas de dividende, le seul intérêt financier est l’éventuelle réduction fiscale. La valeur de l’action augmente à hauteur de l’inflation pour que l’actionnaire ne perde pas d’argent, mais pas plus, pour ne pas créer de spéculation. Les actionnaires peuvent reprendre leur argent au bout de 5 ans ou 10 ans par exemple.

Le force de Terre de liens est aussi de s’inscrire de manière originale dans cette tradition de “propriété privée collective”. Pour mobiliser une épargne collective, certains agriculteurs font le choix de créer un GFA (groupement foncier agricole) ou une SCI (société civile immobilière). Mais ce type de projet peut être fragilisé si certains actionnaires décident de se retirer. Pour pallier à ce risque, Terre de liens mise sur la solidarité à l’échelle nationale. 25 % du prix des actions est également mis de côté, c’est-à-dire n’est pas immobilisé dans un achat foncier. Cela répond à la question de la mobilité des actionnaires en permettant ainsi à la Foncière de racheter les parts des actionnaires qui souhaitent quitter le projet.

Sortir les terres agricoles de la spéculation

En 2008, la première campagne d’appel public à épargne a été un succès. Au bout d’un an, 8,3 millions d’euros sont collectés, 3650 actionnaires ont rejoint la Foncière. Cela a permis l’acquisition de 20 fermes. Une vingtaine de projets supplémentaires sont en cours d’étude. Fort de cette réussite Terre de Liens relance une triple campagne : appel aux dons, à épargne et à adhésion. Avec la volonté de passer de 300 à 3000 adhérents. Un défi selon les responsables, tant il semble plus facile aujourd’hui de faire un don ou de devenir actionnaire que de participer au fonctionnement de Terre de Liens en devenant adhérent. Cela suppose de dépasser le cercle des convaincus, pour que ceux qui s’impliquent financièrement deviennent également bénévoles. Les besoins sont importants, notamment pour accompagner les projets locaux et développer le maillage territorial de l’association.

La Foncière a obtenu l’autorisation (2) de collecter jusqu’à 6 millions d’euros d’épargne supplémentaire. Lors du précédent appel, la moyenne de la souscription était d’environ 2000 euros. L’objectif est donc également de sensibiliser 3000 nouveaux actionnaires. Enfin, dernier volet de cette démarche : la création d’une Fondation Terre de Liens en cours de constitution. Celle-ci sera habilitée à recevoir des dons en argent ou en terre. 8 dossiers de donation de terrain sont à l’étude actuellement. Ce sont de personnes qui veulent « libérer » et protéger les terres de la spéculation et faire perdurer un projet agricole particulier. Les dons en patrimoine sont complexes, coûteux pour le bénéficiaires (en entretien, en frais de gestion). D’où la nécessité d’accompagner ces démarches.

L’agriculture mangée par la ville

L’objectif de Terre de Liens « n’est pas de posséder la moitié de la France ». Mais d’être écoutée et de montrer que des changements sont possibles. « On ne représente pas grand chose, mais on croit à l’effet levier qui aura des impacts jusque dans la législation. Tout ça finit par se savoir, se diffuser. Ça va continuer à germer… la terre est bonne de ce côté-là ! » explique Claude Kirchhoff, administrateur de Terre de liens. « Sans oublier, poursuit Philippe Cacciabue, directeur de la Foncière, la dimension politique de l’association. Nous voulons construire un mouvement de transformation sociale. Ça passe par un travail sur l’image que l’on peut avoir de la propriété foncière. Et aussi par une capacité de lobbying, aujourd’hui modeste, pour créer des prises de conscience. » Pour tenter aussi d’ouvrir des brèches dans la forteresse de la FNSAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), qui a un pouvoir de préemption sur les terres et qui pourrait influencer les prix. Ce qu’elle ne fait pas actuellement. « Maintenant qu’on a réuni 8 millions d’euros, les portes sont ouvertes. On a pu aller expliquer la démarche de Terre de liens au conseil d’administration de la SAFER. », se réjouit Sjoerd Wartena.

Chaque année, 66 000 hectares de surface agricole disparaissent de manière irréversible, c’est-à-dire transformées en routes, en centres commerciaux… Une perte équivalente à la surface d’un département, tous les 10 ans. Cette destruction de terre agricole est 2,5 fois plus importante en France qu’en Allemagne par exemple. Pour maintenir une agriculture de qualité et de proximité, l’action de Terre de liens est essentielle. « Changer le rapport à la terre, à l’agriculture, à l’alimentation et à la nature », comme le défend Terre de liens, cela passe aussi par une action sur le prix de la terre et sur l’invention de nouvelles formes de propriété.

1Pour 6 000 installations environ (et 35 000 départs) chaque année, entre 5 000 et 10 000 demandes d’installation ne peuvent aboutir, selon les chiffres de la Confédération Paysanne.
2Visa de l’Autorité des Marchés Financiers n°09-241 en date du 27 août 2009 pour une augmentation de son capital de 6 millions d’euros par Offre au Public de Titres Financiers.

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