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Les agrocarburants, menace pour l’accès à la terre

01 / 2010

Présentés comme alternatives aux carburants fossiles, les agrocarburants sont en plein essor à l’échelle de la planète, alors que leur prétendue durabilité est largement remise en cause. Ce type de production est en effet synonyme de concentration foncière et de monoculture d’exportation au détriment des cultures vivrières, mais aussi de violation des droits des travailleurs. La politique énergétique de l’Union européenne et les investissements des entreprises européennes contribuent fortement à l’extension des agrocarburants et sont donc particulièrement ciblées par les mobilisations de la société civile.

Définition et usage des agrocarburants

Les agrocarburants sont utilisés pour se substituer partiellement (ou totalement) aux carburants pétroliers, pour notamment faire rouler les véhicules à carburants alternatifs.

Les agrocarburants obtenus à partir de plantes terrestres résultent principalement de deux filières. La filière huile, ou agrodiesel, est obtenue à partir d’huiles de palme, colza, jatropha, tournesol, soja, ricin et arachide. Il est surtout produit en Europe et en Asie, la production africaine étant en pleine croissance. En France, 65% de l’huile de colza va aux agrocarburants. La seconde est la filière alcool, ou l’agroéthanol, qui résulte de la fermentation de matières riches en sucre (betterave et canne à sucre) ou en amidon (maïs et blé). Il est surtout produit en Amérique du Sud et aux États-Unis.

La France en produit à partir de betterave et de blé. En théorie, les agrocarburants sont une source d’énergie alternative, et doivent permettre de réduire notre dépendance au pétrole, tout en limitant l’émission de gaz à effet de serre. En décembre 2008, l’Union européenne a élaboré une directive fixant le seuil d’incorporation des agrocarburants dans la production à 10% d’ici 2020, dont plus de 5% d’ici 2012. La France, pour sa part, s’est fixée des objectifs encore plus ambitieux. Mais l’Union européenne n’a pas suffisamment de terres pour atteindre ses objectifs; de ce fait, elle va devoir importer des agrocarburants en grandes quantités, au moins 5%. Ainsi, après le Brésil et d’autres pays d’Amérique latine, de nouveaux pays en Afrique notamment, vont être « réquisitionnés » par l’agro-industrie pour des cultures d’agrocarburants. La demande n’est donc pas locale, mais internationale.

La production d’agrocarburant menace les terres paysannes dans les pays du Sud

Au Guatemala, la production d’agrocarburants est massive. Elle concerne essentiellement la culture de canne à sucre, de palme africaine et de jatropha. Les plantations s’étendent de plus en plus et menacent directement les cultures de maïs, de haricots noirs et de riz, éléments principaux de l’alimentation de la population. En effet, alors que 18 937 km2 sont réservés aux plantations de maïs, la production d’agrocarburants couvre 13 741 km2 des terres. Les terres sont regroupées entre les mains de grands propriétaires et de multinationales dont le capital est étranger. En conséquence, les terres paysannes diminuent et les possibilités pour les familles de cultiver des aliments de base sont fortement réduites. La souveraineté et la sécurité alimentaires sont alors directement menacées. Les paysans sont expulsés de leur terre, souvent avec violence. On établit des zones de monocultures extensives ; des problèmes de pénurie d’eau s’en suivent car certaines entreprises coupent et détournent les rivières et les fleuves pour leur activité. De plus, au sein des entreprises, on passe d’une logique coloniale à une logique capitaliste. Auparavant, le pays avait un système semi-féodal, c’est-à-dire que les propriétaires terriens avaient des employés travaillant sur leurs terres. Avec l’arrivée des multinationales, ces employés sont expulsés des terres et on redéfinit les limites de la propriété privée. Il y a un vrai contraste entre la tradition guatémaltèque terrienne et la notion stricte de propriété privée portée par les multinationales. Au Brésil, les agrocarburants causent malheureusement les mêmes maux. C’est très tôt, dès les années 1950, après avoir signé des accords avec l’industrie automobile, que le pays a investi dans la recherche sur les agrocarburants. Les sociétés brésiliennes ayant investi dans la production d’éthanol sont cotées en Bourse.

Au niveau international, les autorités brésiliennes prétendent qu’il n’existe pas de problème de concurrence avec la terre des paysans, mais c’est à l’évidence une contre-vérité. Ces cultures épuisent les terres, elles se déplacent actuellement vers les terres fertiles sur lesquelles sont produits les aliments de base. Ainsi la culture de canne est déjà entrée dans l’Amazonie. Le nouveau Code des Forêts, promu par le gouvernement Lula, prévoit d’étendre d’avantage les cultures d’agrocarburants. Personne, ni même les indiens et le droit des indigènes, ne semble pouvoir empêcher cette politique.

Le problème ne se résume pas à l’Amérique latine : il a une envergure mondiale. Au Sénégal par exemple, la culture de masse du Jatropha, étiquetée par ses promoteurs comme plante miracle et très économique, ne fait qu’augmenter la spéculation foncière. Au Bénin, pays où les ressources foncières sont limitées, ce sont trois millions d’hectares qui sont réservés par le gouvernement à la culture d’agrocarburants.

La production d’agrocarburants met en danger les travailleurs et viole les droits de l’homme

Au Brésil, les travailleurs des productions d’agrocarburants connaissent des situations très difficiles. Entre 1986 et 2006, on dénombre 140 000 dénonciations pour esclavage. Entre 1995 et 2009, 30 000 travailleurs ont été libérés de leur situation d’esclave dans ces grandes plantations. En 2006 et 2007, certains ouvriers agricoles sont morts d’épuisement. Leur salaire étant basé sur leur productivité, ces derniers se tuent à la tâche. Enfin, des travaux universitaires montrent que de plus en plus de travailleurs sombrent dans l’alcool et la drogue pour les aider à supporter et à oublier leurs difficiles conditions de travail. Bien d’autres pays connaissent des tragédies similaires. En acceptant d’entrer dans cette logique de production d’agrocarburants dans les pays du Sud, l’Union européenne accepte de participer à ces violations des droits de l’homme.

Que pouvons-nous faire, en Europe, pour lutter contre la production d’agrocarburants ?

Comme le dit Alhassan Cissé d’ActionAid Sénégal, « il faut lutter contre la faim des peuples plutôt que contre la soif des véhicules ! » et les arguments ne manquent pas. Nous venons en effet de voir les dégâts économiques, sociaux, environnementaux et culturels qu’entraînent les productions d’agrocarburants. De plus, il n’est scientifiquement pas prouvé que les agrocarburants soient une solution au réchauffement climatique, au contraire. Le mode de production des agrocarburants annihile leurs potentiels bienfaits en terme de réduction des gaz à effet de serre. Une question de concurrence alimentaire se pose également quand on sait que 232 kg de maïs sont nécessaires pour produire 50 litres d’agroéthanol, c’est-à-dire de quoi faire un plein de voiture, ou apporter les calories nécessaires à un enfant pendant un an…

En Europe, il est temps d’agir. Le CCFD, Oxfam-France et Les Amis de la Terre ont lancé en 2008 une campagne intitulée « Les agrocarburants, ça nourrit pas son monde » qui s’oppose aux objectifs fixés par la France et l’Europe. Malgré de longues discussions au Parlement européen, qui souhaitait encadrer l’objectif de 10% et inclure une clause de révision de l’accord, le paquet Énergie-Climat a été adopté en décembre 2008 sans ces amendements. Le constat est très décevant, mais il faut continuer de se mobiliser. La conférence de Copenhague fin 2009 sur le réchauffement climatique sera d’ailleurs l’occasion de continuer la bataille et de se faire entendre.

La stratégie peut aussi consister à mettre en avant le cas d’entreprises européennes violant les droits de l’homme dans leurs investissements pour la production d’agrocarburants dans les pays du Sud (voir par exemple l’Appel urgent n° 320 de Peuples Solidaires sur la production d’éthanol aux mains de l’entreprise Dreyfus au Brésil). Peuples Solidaires et ActionAid international sont en train de recenser les cas impliquant des entreprises européennes et pouvant donner lieu à des campagnes publiques et des appels urgents dans les mois à venir.

Plus globalement, la question des agrocarburants pose celle des solutions à trouver au réchauffement climatique. Pour y répondre en Europe, il faut repenser les moyens de transport et réduire la consommation d’énergie. L’UE doit prendre des mesures afin d’améliorer l’aménagement du territoire, de développer les transports en commun et une politique d’indépendance énergétique fondée sur les énergies renouvelables.

Palavras-chave

agrocombustible, acesso a terra, política de energia, produção de energia, mudança climática, energia renovável, soberania alimentar, comércio internacional


, Brasil

dossiê

L’accès à la terre dans le contexte de crise alimentaire, écologique, économique et financière mondiale

Notas

Fonte

Actas de colóquio, seminário, encontro,…

D’après les interventions de Bosco Mpozi, chercheur congolais, Rafael Gonzalez (CUC), Soraia Soriano (MST), Alhassan Cissé (ActionAid Sénégal) et des participants à l’atelier « Agrocarburants et accès à la terre», dimanche 19 avril. Animation : Jean-Denis Crola (Oxfam France Agir Ici), Ambroise Mazal (CCFD).

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