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Les formes de mobilisation pour l’accès à la terre

Des expériences en Inde, aux Philippines et au Guatemala

01 / 2010

La lutte pour la terre varie d’un continent à l’autre car elle est toujours liée à un contexte et des réalités locales et nationales. Si elle semble toujours justifiée par le droit des populations rurales à accéder à leur outil de travail, cette lutte prend différentes formes en fonction des rapports de force, comme le montrent les expériences d’Ekta Parishad (Inde), du Kasama-Tk (Philippines) et du CUC (Guatemala).

Une mobilisation justifiée

Pour chaque civilisation, l’importance de la terre est capitale ; ceci pour des raisons économiques, environnementales, sociales et culturelles (voir les fiches Un changement politique est nécessaire pour soutenir l’agriculture paysanne et L’accaparement des terres agricoles). Au Guatemala par exemple, le peuple maya considère la terre comme la mère nature. Face au phénomène de concentration injuste de la terre, la mobilisation se révèle cruciale pour récupérer ce bien commun. À l’autre bout du monde, en Inde, la terre revêt autant d’importance et représente l’outil principal de lutte contre la pauvreté. 70% de la population vit dans les forêts et les campagnes. La terre est nécessaire pour satisfaire les besoins de chacun et non l’avidité de chacun : c’est sur ce principe gandhien que sont fondées les actions de mobilisation de l’organisation Ekta Parishad. La terre est ainsi une condition essentielle de la souveraineté alimentaire qu’elle permet, si elle est bien répartie. Mais du fait d’une concurrence accrue sur la terre, les obstacles pour y accéder sont nombreux et varient d’un continent à l’autre.

Les différentes formes d’obstacles à l’accès à la terre

En Europe, de manière générale, ce sont les politiques agricoles et économiques qui freinent l’accès à la terre. Ainsi, pour être dans la course et pour pouvoir vivre de son métier, un paysan est bien souvent obligé d’agrandir son exploitation, d’investir dans des moyens de production coûteux, de modifier son modèle de production, de s’endetter, etc… autant d’éléments qui limitent l’accès à la terre ainsi que l’installation des paysans sur cette dernière. Dans les pays en développement, notamment les pays représentés par les partenaires du Sud présents lors de cette table ronde, les difficultés pour accéder à la terre sont relativement diverses.

En Inde, le système foncier est régi principalement par deux grandes lois. D’une part, la loi d’acquisition de la terre héritée de la colonisation britannique et qui dispose que la terre appartient à l’État. En conséquence, c’est à ce dernier de mettre en place des droits et des mesures de protection pour les individus. D’autre part, la loi de conservation de la forêt, qui attribue à l’État le pouvoir de décréter « réserve » une partie de la forêt et d’expulser de cette zone tous les habitants. Par ailleurs, L’Inde a opté pour une économie résolument capitaliste et bien souvent les terres récupérées par l’État sont vendues à l’agrobusiness, privant les habitants de leurs ressources vitales. De ce fait, on constate une répartition préoccupante des terres. 43% de la population vit sans terre, c’est à-dire avec moins de 0,2 hectare, et 12% des foyers n’ont pas de terre du tout. À l’inverse, 15% des terres de plus de 10 hectares sont rassemblées entre les mains de 1,3% de propriétaires. Enfin, environ 30 millions de personnes ont été déplacées à cause de projets de développement, et la majorité n’a pu être réinstallée.

Aux Philippines, pays au système semi-féodal, bien que le gouvernement le réfute et se vante d’être un État capitaliste, la répartition des terres est tout aussi inégale qu’en Inde. En effet, sur 85 millions de Philippins, on dénombre seulement 9 500 propriétaires terriens. Sous couvert de mesures adoptées soit disant en faveur des paysans, comme une loi autorisant la vente de titres de propriété sur vingt-cinq ans par exemple, le gouvernement ancre sa main mise sur la terre par sa connivence avec les grands propriétaires et les investisseurs étrangers.

De plus, les Philippines répriment les opposants de toutes sortes, qu’ils soient travailleurs, paysans, artistes ou politiques. Axel Pinpin, le représentant de l’organisation KASAMA-TK, a d’ailleurs été injustement incarcéré pendant 28 mois en raison de son activisme syndical. Le gouvernement pense que les solutions viendront de l’aide occidentale qui, en fait, ne profite pas aux petits paysans mal organisés et qui ont peur du gouvernement.

Le Guatemala a été quant à lui ravagé par 36 ans de guerre civile et de libération : 200 000 morts, 44 000 veuves et orphelins. Pour se relever de cette catastrophe, le Gouvernement qui est propriétaire de la terre, autorise des pratiques néo-libérales. De ce fait, on constate une arrivée massive de multinationales qui cultivent des milliers d’hectares notamment pour la canne à sucre et l’huile de palme et la production d’agrocarburants. De plus, ces entreprises versent des salaires injustement bas alors que le coût de la vie est très cher. Enfin, le Guatemala est un État où la violence est généralisée et incontrôlable, le Gouvernement n’hésitant pas à user de la répression. Les assassinats et les emprisonnements arbitraires de paysans luttant pour l’accès à la terre, sont fréquents.

Des mobilisations parfois couronnées de succès

Malgré toutes ces difficultés, le sentiment d’injustice l’emporte sur la peur et la nécessité de se réapproprier la terre est telle que les peuples se mobilisent. Chaque mouvement a sa propre manière de lutter, adaptée à sa réalité. En Inde, Ekta Parishad agit et se mobilise selon les principes gandhiens de non-violence. Le travail démarre au niveau local, par l’organisation des paysans en comités défendant leurs droits auprès des autorités concernées. Ekta Parishad mise beaucoup sur l’information et la formation des paysans. Tout comme le KASAMA-TK aux Philippines et beaucoup d’autres organisations, l’enjeu est de faire prendre conscience aux paysans qu’ils peuvent se mobiliser et faire pression sur les pouvoirs en cause ; le tout est de s’adresser aux paysans d’égal à égal, de parler leur langage, et de les former pour qu’ensuite ils puissent reproduire leurs enseignements à l’échelle locale. Ekta Parishad fait également pression sur le Gouvernement et les cours de justice pour faire classer les délits mineurs dont un grand nombre de populations tribales est accusé, tel que ramasser du bois en forêt dans des zones classées « réserve » par l’État par exemple. Mais la forme de mobilisation la plus frappante du mouvement est l’organisation de marches non-violentes. La marche Janadesh a ainsi rassemblé 25 000 personnes en octobre 2007 sur l’autoroute reliant Gwalior à Delhi. Elle a débouché sur la création d’un comité national des réformes agraires. Après des décennies de luttes, ces méthodes se révèlent convaincantes puisque 347 000 personnes ont reçu un droit à la terre.

Une mobilisation de 100 000 marcheurs est déjà prévue à l’horizon 2012 pour demander des comptes au gouvernement sur les actions engagées – ou non – suite aux promesses faites après la marche Janadesh. Au Guatemala, les paysans se mobilisent et occupent des terres. Les conflits juridiques se multiplient, notamment dans les cas où les propriétés privées s’étendent sur les terres communautaires. La répression règne et plus de 25 camarades du CUC (Comité d’Unité paysanne) ont été assassinés ces dernières années, tandis que d’autres sont en prison.

Le rôle de la solidarité internationale

Si les formes de mobilisation diffèrent selon les contextes, les participants à cette table-ronde s’accordent à dire que la solidarité internationale est une aide indispensable pour peser dans les rapports de force et informer les citoyens. Les pétitions, les manifestations devant les ambassades, les courriers et autres actions font pression sur les gouvernements et les entreprises. C’est en grande partie grâce à cette solidarité internationale qu’Axel Pinpin aux Philippines ou que des paysans guatémaltèques ont été libérés de prison.

De son côté, Peuples Solidaires participe activement à la mobilisation internationale à travers les Appels Urgents qui à chaque fois soutiennent une lutte concernant un pays du Sud pour peser dans le rapport de force avec le pouvoir (voir notamment l’Appel urgent N°326 Madagascar- Daewoo fait main basse sur la terre).

Palavras-chave

acesso a terra, movimento camponês, organização camponesa, luta pela terra, camponês sans terra, solidariedade internacional


, Índia, Filipinas, Guatemala

dossiê

L’accès à la terre dans le contexte de crise alimentaire, écologique, économique et financière mondiale

Fonte

Actas de colóquio, seminário, encontro,…

D’après les interventions de Pradeep Sharma, coordinateur national d’Ekta Parishad ; d’Axel Pinpin, secrétaire général du KASAMA-TK ; de Rafael Gonzalez, souscoordinateur du CUC ; de Benjamin Peyrot des Gachons, Chargé de mission Souveraineté alimentaire à Peuples Solidaires. Table ronde sur les formes de mobilisation pour l’accès à la terre, samedi 18 avril 2009.

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