Pourquoi les régions les plus riches en ressources naturelles sont aussi celles qui abritent les populations les plus démunies
12 / 2009
Prenez une carte de l’Inde. Marquez les districts riches en forêts et bénéficiant d’une couverture d’arbres dense. Marquez par-dessus les sources des ruisseaux et rivières qui nous nourrissent, c’est-à-dire nos richesses hydrauliques. Placez ensuite les dépôts de minéraux – fer, charbon, bauxite, toutes ces belles choses qui font la richesse des économies. Marquez sur tout cela un autre indicateur : les districts où vit la population la plus pauvre de notre pays, qui sont aussi les districts tribaux. Vous observez alors une parfaite concordance. Les terres les plus riches sont celles où les plus pauvres vivent. Remplissez maintenant de rouge cette cartographie du pays. Ce sont ces mêmes districts où les naxalites (maoïstes) sont présents, où le gouvernement admet qu’il combat son propre peuple qui utilise les armes pour terroriser et tuer. Il y a là une leçon de mauvais développement qu’il nous faut absolument tirer.
Configurons cette carte avec les événements de ces dernières semaines. Pendant près d’un an, Madhu Koda a été Ministre en chef du Jharkhand, un État riche en minéraux et forêts mais dont la population est très pauvre. Aujourd’hui, les autorités chargées de l’application de la loi dévoilent la mère de toutes les arnaques : 40 milliards de roupies d’actifs illégaux que lui et ses associés ont pillé au détriment de l’État. Cela représente à peu près un cinquième du budget annuel de l’État du Jharkhand. Pire encore, cette richesse énorme provient de ces mêmes minéraux qui n’ont jamais fait la prospérité de la population locale.
Et ce n’est pas tout. Le mois dernier, quand le gouvernement BJP (Bharatiya Janata Party) du Karnataka a été mis à genoux par les législateurs méfiants qui voulaient la tête du Ministre en chef, nous n’avons pas fait le lien entre cet épisode et la cartographie de l’Inde. Les frères Reddy, Gali Janardhana Reddy, Ministre du Tourisme du Karnataka et Gali Karunakara Reddy, Ministre des Finances du gouvernement de B. S. Yeddyurappa, sont des barons de l’industrie minière. Leur richesse et leur pouvoir proviennent de l’exploitation sans scrupules des districts riches/pauvres du Karnataka et de l’Andhra Pradesh.
Le fief des frères Reddy est le district de Bellary qui produit 20% du minerai de fer du pays. Ce minerai est exploité sans qu’aucune attention ne soit portée à la protection de l’environnement. L’eau qui coule dans cette région est rouge à cause des rejets de la mine, la terre a été lacérée, les forêts ont disparu et les moyens de subsistance de la population sont détruits. Bellary a le plus grand nombre d’avions privés du pays, mais se situe au troisième niveau en partant du bas dans l’index de développement humain du Karnataka, avec un taux d’alphabétisation de 50%. Une honte pour un État par ailleurs progressiste. Les frères Reddy (tout comme Madhu Koda) sont le produit de la richesse extraordinaire de régions que nous qualifions toujours de pauvres. Pourquoi sommes-nous donc surpris quand les naxalites tirent profit de la colère de la population locale, témoin du pillage de ses terres ?
Le problème est que nous n’avons jamais sérieusement entrepris de partager la richesse avec la population qui vit sur ces terres. Cela ne fait pas partie du mandat du développement. Prenez les forêts. Près de 60% des forêts denses, les plus riches du point de vue économique et de la biodiversité, se situent dans les districts tribaux. C’est là aussi que l’on trouve le tigre majestueux. Interrogez à nouveau: avec une telle richesse extraordinaire, comment se fait-il que les personnes qui vivent dans ces régions soient si pauvres?
Le fait est que nous n’avons jamais élaboré de modèle de développement pour les ressources naturelles qui soit durable et qui puisse aussi bénéficier aux populations et aux économies locales. Pendant la première phase de développement, l’État a exploité les forêts. De vastes régions ont été confiées à l’industrie du papier, de la même manière que les ressources minérales aujourd’hui. De larges bandes de forêts denses ont été coupées et la terre a été dénudée pour construire la richesse économique du pays. Mais rien n’a été partagé avec la population locale. La richesse de la forêt a forgé la fortune des gouvernements et des compagnies privées. Mais pas celle de sa population.
Puis est venue la phase de la conservation. La nation a décidé que les forêts devaient être sauvegardées, les tigres et les animaux sauvages protégés. Mais, plutôt que de construire un modèle économique qui assure le partage des bénéfices de cette conservation avec les populations locales, l’État les a encore une fois marginalisées. On a cru qu’il fallait protéger les forêts des populations vivant sur ces terres. Aujourd’hui, l’application froide et sans discernement de la Loi de Conservation de la Forêt (Forest Conservation Act) de 1980, qui interdit dans nombre de cas l’usage des forêts à des fins non forestières, est devenue la principale cause de la colère et de la violence dans la région.
Alors que les forêts sont défrichées pour l’exploitation minière, les centrales électriques et autres projets industriels, le peu de terres forestières dont la population locale a besoin pour construire une école, un réservoir d’eau ou une route d’accès lui est refusé. Pire, la richesse tirée des forêts n’est jamais utilisée pour encourager l’économie locale. La protection du tigre a lieu sur leurs terres, dans leur dos, avec bien peu d’avantages pour eux. Pourquoi devrions-nous être encore surpris par leur colère ?
Il est impératif que la situation change, et des solutions existent. Il y a quelques années, la Cour Suprême a pris une décision importante concernant le partage des ressources minérales avec la population locale. Aujourd’hui, il y a également de nouveaux impératifs, nationaux et internationaux, tels que la protection des forêts pour l’eau, le climat ou la sécurité. Cela pourra-t-il permettre un avenir différent ? Pouvons-nous modifier la cartographie des terres riches/populations pauvres de l’Inde ? Cela fera l’objet de notre prochaine discussion.
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, Índia
Artigos e dossiês
Sunita NARAIN, « Time a resource curse got lifted », Down To Earth, 15 Déc. 2009
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