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Etat des lieux des discussions sur les droits des paysans aux Nations Unies

Les droits des paysans - 4

Christophe GOLAY

11 / 2009

Les Nations Unies ont mis longtemps à comprendre les revendications de La Vía Campesina. Pendant plusieurs années, le CETIM a relayé les dénonciations des vio­lations des droits des paysans à travers des interventions devant la Commission des droits de l’homme, avant que les rapports annuels de La Vía Campesina et de FIAN soient présentés à des événements parallèles, devant une audience relative­ment faible. Ce n’est qu’avec la création du Conseil des droits de l’homme en juin 2006, et avec la première session de son Comité consultatif en août 2008, que les droits des paysans ont réellement été discutés aux Nations Unies. En 2009, La Vía Campesina a été invitée au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations Unies pour donner son point de vue sur la crise alimentaire mondiale et les moyens d’y remédier. Elle a alors présenté la Déclaration des droits des pay­sannes et des paysans comme une solution pour répondre à la crise alimentaire (1).

1. Les débats à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme

Depuis son entrée en fonction, en mai 2008, le nouveau Rapporteur spécial des Na­tions Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, a fait un travail consi­dérable sur la crise alimentaire et le droit à l’alimentation, qui a notamment permis de faire passer un message très clair sur la nécessité de réhabiliter le rôle des petits paysans et des travailleurs agricoles dans la lutte contre la faim.

En mai 2008, Olivier de Schutter a demandé au Conseil des droits de l’homme de tenir une session extraordinaire sur la crise alimentaire et les violations du droit à l’alimentation (2). La première session spéciale thématique de l’histoire du Conseil des droits de l’homme s’est tenue le 22 mai, sur la crise alimentaire et le droit à l’ali­mentation, et une résolution a été adoptée à l’unanimité sur « l’impact négatif de l’aggravation de la crise mondiale de l’alimentation sur la réalisation du droit à l’ali­mentation pour tous » (3).

Dans un passage très intéressant de cette résolution, le Conseil des droits de l’homme a engagé « les États, individuellement et à travers la coopération et l’aide internationales, les institutions multilatérales compétentes et d’autres parties pre­nantes concernées (…) à envisager de passer au crible toute politique ou mesure qui pourrait avoir des effets négatifs sur la réalisation du droit à l’alimenta­tion, en particulier du droit qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim, avant d’adopter définitivement cette politique ou mesure » (4). Selon cette résolution, la production d’agro-carburants, la spéculation et la libéralisation de l’agriculture devraient donc être revues en fonction de leur impact sur le droit à l’alimentation, en particulier des paysans et des paysannes.

Suite à cette session extraordinaire, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimenta­tion a présenté de nombreux rapports sur la crise alimentaire en 2008 et 2009, dans lesquels il a mis l’accent sur la nécessité de protéger les paysans et pay­sannes. Dans son plus récent rapport, présenté à l’Assemblée générale en octobre 2009, il a mis l’accent en particulier sur la nécessité de protéger l’accès aux se­mences des familles paysannes (5).

Pour discuter des solutions pour répondre à la crise alimentaire, un représentant de La Vía Campesina a été invité à s’exprimer au Conseil des droits de l’homme le 9 mars 2009, à l’occasion d’un débat organisé par ce dernier avec la Haut commis­saire aux droits de l’homme, N. Pillay, D. Nabarro, Coordinateur de l’Équipe spé­ciale de haut niveau sur la crise mondiale de la sécurité alimentaire, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, O. de Schutter, et un membre du Comité consultatif, J. Ziegler. Un mois plus tard, ils ont été invités à participer au Dialogue thématique interactif de l’Assemblée générale des Nations Unies, consacré le 6 avril 2009 à la crise alimentaire et au droit à l’alimentation.

Paul Nicholson a représenté La Vía Campesina au Conseil des droits de l’homme le 9 mars 2009 et Henry Saragih l’a représenté à l’Assemblée générale le 6 avril 2009. Dans leurs deux déclarations, et dans les débats qui ont suivi, les représentants de La Vía Campesina ont insisté sur les violations des droits des paysans, qui se sont encore aggravées pendant la crise alimentaire. Ils ont ensuite présenté la Déclara­tion des droits des paysannes et des paysans et l’adoption d’une Convention sur les droits des paysans par les Nations Unies comme une solution pour répondre à la fois aux discriminations contre les paysans et les paysannes et à la crise alimen­taire (6). Leurs arguments ont été bien reçus par les différentes parties, et il a été en­tendu que la nécessité de protéger les droits des paysans serait intégrée dans le travail du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

2. Le travail du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU

Le Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme a été créé avec le Conseil des droits de l’homme, en juin 2006 (7). Après une longue période de mise en place, les 18 membres du Comité consultatif ont été élus en mars 2008 et leur première session de travail a eu lieu en août 2008. Dès le départ, le Comité consultatif a reçu un mandat pour travailler sur deux thématiques spécifiques : l’éducation aux droits de l’homme et le droit à l’alimentation. C’est en relation avec le droit à l’alimentation que le Comité consultatif a discuté de la nécessité de protéger les droits des paysans.

Dans sa résolution 7/14 sur le droit à l’alimentation du 27 mars 2008, le Conseil des droits de l’homme a constaté que « 80 % des personnes souffrant de la faim vivent dans des zones rurales, que 50 % d’entre elles appartiennent à la petite pay­sannerie et sont particulièrement exposées à l’insécurité alimentaire en raison de la hausse du coût des moyens de production et de la chute des revenus agricoles, que l’accès à la terre, à l’eau, aux semences et à d’autres ressources naturelles est de plus en plus difficile pour les producteurs pauvres et que l’aide des États aux petits agriculteurs, aux communautés de pêcheurs et aux entreprises locales est un élé­ment clef de la sécurité alimentaire et de l’exercice du droit à l’alimentation » (par. 10). Il a ensuite demandé au Comité consultatif de faire des recommandations sur les nouvelles mesures propres à renforcer la réalisation du droit à l’alimentation (par. 34).

Conformément à ce mandat, le Comité consultatif a créé, lors de sa première ses­sion de travail, un groupe de rédaction sur le droit à l’alimentation, comprenant un expert par région, soit M. Bengoa, Mme Chung, M. Hüseynov, M. Ziegler et Mme Zulficar (8). Le groupe de rédaction a ensuite été chargé d’élaborer un rapport sur le droit à l’alimentation divisé en trois parties : la crise alimentaire mondiale et le droit à l’alimentation, les obligations des États et les recommandations sur les mesures à prendre. Dans ce rapport qu’il a présenté au Conseil des droits de l’homme en mars 2009, le Comité consultatif a analysé les conséquences de la crise alimentaire sur la situation des paysans, et il a recommandé au Conseil des droits de l’homme de le charger de faire une étude sur « La crise alimentaire actuelle, le droit à l’alimentation et les droits des paysans » (9).

En mars 2009, à l’occasion de la discussion des recommandations formulées par le Comité consultatif, les débats ont été vifs au Conseil des droits de l’homme. Plu­sieurs États latino-américains étaient en faveur d’une étude sur la crise alimen­taire, le droit à l’alimentation et les droits des paysans, mais d’autres États (occidentaux en particulier) s’y sont opposés. Le compromis trouvé, exprimé dans la résolution 10/12 du Conseil des droits de l’homme du 20 mars 2009, a été de demander une étude au Comité consultatif sur « la discrimination dans le contexte du droit à l’alimentation, recensant notamment les bonnes pratiques en matière de politiques et de stratégies de lutte contre la discrimination » (par. 36).

L’étude sur la discrimination dans le contexte du droit à l’alimentation doit être présentée en mars 2010 au Conseil des droits de l’homme. Pour la préparer, J. Zie­gler a rédigé deux documents de travail. Le premier document de travail a porté sur le noma, maladie négligée qui touche les enfants malnourris ; le second a été intitulé « Les paysans et le droit à l’alimentation : une histoire de discrimination et d’exploita­tion ». Dans ce rapport, J. Ziegler décrit les différents types de paysans et les mul­tiples discriminations dont ils sont victimes depuis des siècles. Il présente ensuite le mouvement international La Vía Campesina et son travail pour défendre les droits des paysans (10).

Les deux documents de travail rédigés par J. Ziegler ont été discutés pendant la troisième session du Comité consultatif, en août 2009, et le Comité consultatif a chargé son groupe de rédaction sur le droit à l’alimentation d’élaborer le rapport sur la discrimination dans le contexte du droit à l’alimentation d’ici la fin 2009. Dans ce rapport, qui sera discuté pendant la quatrième session du Comité consul­tatif, en janvier 2010, et présenté au Conseil des droits de l’homme en mars 2010, la discrimination contre les paysans et les paysannes aura une place centrale.

3. Perspectives d’avenir : quelle place pour la reconnaissance des droits des paysans au sein des Nations Unies ?

Le Comité consultatif présentera son rapport sur la non-discrimination dans le contexte du droit à l’alimentation au Conseil des droits de l’homme en mars 2010. Dans ce rapport, une partie sera consacrée aux discriminations contre les paysans et les paysannes et le Comité consultatif pourrait recommander au Conseil des droits de l’homme de tenir compte de l’adoption de la Déclaration des Droits des Paysannes et des Paysans par La Vía Campesina, en se penchant sur les diverses possibilités de reconnaître et de protéger les droits des paysans aux Nations Unies.

L’appel à la mobilisation de La Vía Campesina sera alors essentiel pour convaincre les États de la nécessité de compléter la reconnaissance des droits des paysans par l’adoption d’un nouvel instrument. La place pour l’élaboration de nouveaux instru­ments de protection des droits de l’homme est relativement réduite aux Nations Unies. Mais elle existe. Dans le passé, la reconnaissance d’une discrimination inac­ceptable contre les femmes, les populations indigènes ou les personnes migrantes a amené les États à adopter de nouvelles conventions ou déclarations. Il n’y a aucune raison objective pour que la discrimination vécue par les familles paysannes depuis des siècles ne soit pas reconnue par les États, et qu’un nouvel instrument interna­tional ne voit le jour pour y remédier.

Conclusion

Dans l’histoire, ancienne ou récente, les paysans et les paysannes ont toujours été parmi les premières victimes de la faim et de multiples discriminations. Les viola­tions des droits des paysans recensées par La Vía Campesina sont massives et la plupart ont été commises en toute impunité. Cette situation s’est encore aggravée depuis l’éclatement de la crise alimentaire en 2007 et 2008. Et certaines solutions choisies par les États pour y remédier, comme l’achat de terres à l’étranger, vont certainement entraîner de nouvelles violations des droits des paysans.

Pour proposer une solution concrète aux violations répétées des droits des paysans, La Vía Campesina a adopté la Déclaration des Droits des Paysannes et des Paysans en juin 2008. Elle a également fait de la reconnaissance, de la connaissance et de la protection des droits des paysans trois de ses objectifs prioritaires.

Il est vrai que les droits des paysans sont en partie reconnus dans les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, comme le PIDESC, le PIDCP, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ces instruments ont été complétés par une interprétation progressiste des droits qu’ils consacrent par les comités de surveillance et les experts du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Et dans les directives sur le droit à l’alimentation adoptées en novembre 2004, les États ont accepté cette interprétation progressiste et ils se sont engagés à respecter en grande partie les droits des paysans.

Pourtant, la reconnaissance des droits des paysans par les Nations Unies, telle que conçue par La Vía Campesina, est à la fois utile et impérative. Elle est utile pour re­connaître dans un seul instrument les nombreux droits qui sont déjà reconnus aux paysans et aux paysannes, dans le but de leur donner une visibilité et une cohé­rence. Mais elle est également impérative, car la reconnaissance actuelle des droits des paysans n’est pas suffisante pour protéger pleinement les familles paysannes, notamment contre le contrôle croissant exercé par les entreprises transnationales, et obliger les États à lutter contre les discriminations dont elles sont victimes ; elle doit être complétée par de nouveaux droits reconnus aux paysans, comme le droit à la terre, aux semences ou aux moyens de production.

Depuis 2007, les États se sont engagés à de nombreuses reprises à réinvestir dans le développement rural et l’agriculture de proximité pour faire face à la crise ali­mentaire (11). Des engagements identiques avaient été pris en 1974 et 1996, après des crises alimentaires similaires. Mais ces promesses n’ont jamais été tenues et le nombre de personnes sous-alimentées a continuellement augmenté, avant d’explo­ser en 2008 et 2009. La reconnaissance des droits des paysans aux Nations Unies garantirait, espérons-le, que cet engagement n’est pas qu’une chimère.

1 Cf. Déclaration de la Vía Campesina à l’Assemblée générale des Nations Unies, 6 avril 2009, disponible sur le site inter­net de la Vía Campesina, www.viacampesina.org.
2 CoDH, Background Note : Analysis of the World Food Crisis by the U.N. Special Rapporteur on the Right to Food, O. De Schutter,2 May 2008, p. 14.
3 CoDH, L’impact négatif de l’aggravation de la crise mondiale de l’alimentation sur la réalisation du droit à l’alimentation pour tous, A/HRC/S-7/1, 22 mai 2008, cette résolution est disponible dans le Rapport du Conseil des droits de l’homme sur sa 7ème session extraordinaire, A/HRC/S-7/2, 17 juillet 2008, pp. 3-5.
4 Ibid., § 3.
5 Assemblée générale, Politiques semencières et droit à l’alimentation : accroître l’agrobiodiversité et encourager l’inno­vation. Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, A/64/170, 23 juillet 2009.
6 Cf. Déclaration de La Vía Campesina à l’Assemblée générale de lONU, 6 avril 2009, disponible sur le site internet de La Vía Campesina et Déclaration de P. Nicholson au CoDH, 9 mars 2009, www.unog.ch/unog/website/news_media.nsf/(httpNewsByYear_en)/83A0C5C3CFF6B0B8C12575740043C2BB?OpenDocument.
7 CETIM, Le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes, cahier critique n° 1, 2008.
8 CoDH, Rapport du Comité consultatif sur sa première session. Genève 4-15 août 2008, A/HRC/10/2, A/HRC/AC/2008/1/2, 3 novembre 2008.
9 CoDH, Rapport du Comité consultatif sur sa deuxième session. Genève 26-30 janvier 2009, A/HRC/10/68.
10 Comité consultatif, Peasant Farmers and the Right to Food: a History of Discrimination and Exploitation, Document de travail de J. Ziegler (membre du Comité), A/HRC/AC/3/CRP.5, 4 août 2009.
11 CoDH, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, O. de Schutter, A/HRC/12/31, 21 juillet 2009, § 13-25.

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