Synthèse des échanges de la session 2004, Namur
Helen Barthe-Batsalle, Roger Hagelstein, Yves Hanin, Rémi Dormois
2004
1. Introduction
La première édition de la plate-forme d’échange sur les agglomérations urbaines a eu lieu à La-Chaux-de-Fonds (Suisse) les 22, 23 et 24 mai 2003. L’objectif de ce séminaire était de confronter les expériences et les réflexions dans les trois pays représentés – la Belgique, la France et la Suisse – sur «la création et les modalités de fonctionnement des agglomérations : premiers enseignements des pratiques nationales» (1).
Questions-clés posées lors de la première édition
Plusieurs questions communes aux participants des trois pays avaient été discutées sans que n’apparaissent nécessairement des convergences :
quelles définitions donner aux concepts d’agglomération, pour quel(s) territoire(s) pertinent(s), selon une approche par les objectifs, les moyens, les outils ou les institutions,
qu’est-ce qu’un projet d’agglomération, spécifiquement urbain,
à travers les pratiques de responsables d’agglomération, quels sont les objectifs poursuivis, les clés du succès, les instruments de mise en oeuvre de cette vision.
Questions abordées lors de la deuxième édition
Trois thématiques ont été retenues pour structurer la deuxième plate-forme tenue à Namur (Belgique) les 18, 19 et 20 mars 2004.
1° Quelle définition pourrait-on donner à la communauté d’agglomération, au travers des expériences des trois pays ?
2° Quelles sont les problématiques spécifiques des agglomérations transfrontalières ?
3° Que nous apprennent les projets d’agglomération sur les processus d’apprentissage collectifs, les modes de régulation, les démarches innovantes ?
Lors de la première rencontre, des études de cas, avec rencontre d’acteurs comme dans le cas du projet de Réseau urbain neuchâtelois (RUN), étaient apparues nécessaires pour stimuler les débats.
Tenant compte des souhaits exprimés par les participants, la deuxième édition de la plate-forme d’échange a été structurée en trois ateliers :
pratiques innovantes de projets d’agglomération
problématiques des agglomérations transfrontalières
politique wallonne des agglomérations : pistes pour de nouvelles stratégies
Une matinée de visite in situ a permis de découvrir la Communauté urbaine du Centre (CUC - La Louvière) et de questionner ses ambitions, ses réalisations et les enjeux sous-jacents.
Cette synthèse est destinée aux participants de la plate-forme namuroise. Elle expose les principales questions débattues lors des ateliers, présente les positions en présence et dégage de nouveaux questionnements. La conclusion propose une évaluation collective réalisée au terme du séminaire et suggère des thèmes possibles pour la troisième édition.
2. Pratiques innovantes de projets d’agglomération
En partant de projets d’agglomération innovants, le premier atelier a porté sur le contenu et les modalités d’élaboration de tels projets. Il est apparu intéressant de revenir sur les expériences wallonne (La Louvière) et suisse.
Eléments de débat autour des pratiques d’agglomérations wallonnes et suisses
En examinant les actions proposées par la CUC (2) (le « possible » du projet), P. Olivier a mis en évidence la question « existentielle » qui génère le projet collectif : perte de 60.000 emplois en 30 ans, absence de reconnaissance institutionnelle de l’agglomération comme territoire de solidarité, concurrence entre villes voisines, double appartenance de certaines communes déchirées entre La Louvière et Charleroi.
En l’absence d’un processus initié par l’Etat central, la dynamique du projet (je veux) provient de la base (les porteurs du projet, principalement quelques élus) alors que la contrainte institutionnelle (je dois) s’oppose plutôt à la constitution de communautés de communes. La double appartenance d’une partie des communes est porteuse de contradictions : elle fait obstacle en termes de cohésion dans l’action. Mais ce statut ambigu instaure une dynamique de négociation voire de partenariat sur une base volontaire entre territoires antagonistes, ceux de Charleroi, de La Louvière et de Mons. On peut se demander si le fait d’institutionnaliser le statut de double appartenance ne conduit pas à freiner le dynamisme interne à l’agglomération louviéroise. L’expérience montre cependant qu’on peut gérer avec souplesse ces solidarités intercommunales à géométrie variable en veillant à ne pas mettre en concurrence des agglomérations voisines dans des domaines tels que le développement économique, la fiscalité ou le transport.
En interrogeant les expériences helvétiques3 (les agglomérations de Bâle, Neuchâtel, Fribourg, Lausanne et Genève), on observe une diversité de pratiques innovantes qui traduit une recherche de modes opératoires les plus adéquats. La contrainte institutionnelle de la politique fédérale des agglomérations pousse à innover, mais les villes, prudentes, procèdent plutôt pas à pas. L. Boulianne analyse les expériences en cours comme un processus d’apprentissage en boucle. Celui-ci explicite le développement des projets d’agglomération en les faisant évoluer autour de logiques fonctionnelles (celle des leaders) / institutionnelles (celle élus et fonctionnaires) et relationnelles (celle des citoyens / supporters).
Le débat fait apparaître que la dynamique du projet d’agglomération en Suisse provient d’un jeu d’acteurs multiples, conduisant à des solutions diverses selon les cantons. Le processus consiste à inventer des démarches.
Le processus en boucle amène à quelques constats. Selon le cas, le projet se développe en spirale (effet d’amplification) ou s’épuise. Le temps est une composante non neutre dans ce processus : après un temps, il n’y a plus de point de départ bien identifié dans le processus.
Certains postulent qu’il faut professionnaliser le pilotage du projet (les leaders), un des facteurs-clés du succès, pour pérenniser le processus. Deux positions s’opposent sur un autre facteur de succès : certains plaident pour une dynamique d’association des acteurs par projets singuliers, d’autres pour la mise en œuvre de stratégies globales initiées par la voie institutionnelle. Sur le terrain, on observe souvent un démarrage du processus par des projets initiés sur la base d’une collaboration volontaire ; ensuite, lorsque le projet atteint les limites de la collaboration spontanée, on constate la nécessité d’une institutionnalisation qui rend la collaboration contraignante.
Les échanges peuvent être synthétisés autour de deux dimensions du processus du projet d’agglomération : la territorialité et la temporalité. Ces deux dimensions sont largement mises en tension selon que le processus est construit à partir des initiatives locales ou qu’il est incité, c’est-à-dire donné, à partir du contexte institutionnel national.
La question de la territorialité du processus de projet d’agglomération urbaine
Lorsque le processus est donné, le contenu, l’étendue, les compétences, les problématiques, les acteurs, les outils voire même les moyens semblent être clairement déterminés. La nécessité d’établir un nouveau niveau territorial d’agglomération est présentée comme une évidence par les promoteurs. Dans ce contexte, le poids du cadre « obligatoire » (je dois) l’emporte. En cas de difficultés de mise en œuvre, les évaluations mettent en évidence les effets pervers, l’usage opportuniste, le manque de solidarité entre communes, l’incapacité du leader à s’imposer… Les difficultés sont également expliquées par un manque de synchronisation des temporalités entre acteurs (leaders, élus, citoyens…) ou d’incapacité à franchir les étapes.
A l’inverse, lorsque le processus est initié sur la base de dynamiques locales, il est fréquemment dominé par le « souhaitable » (je veux). Dans ce cas, le contenu, l’étendue spatiale, les modalités de concertation… sont habituellement peu similaires d’une initiative à l’autre. Le projet global se construit en fonction des projets singuliers d’acteurs locaux. Le projet d’agglomération se présente alors sous forme d’un assemblage de multiples projets sectoriels et partiels. Certains définissent cette diversité comme une fuite en avant et un manque de coordination ou de vision globale.
Néanmoins, que le processus soit donné ou construit, il apparaît une convergence sur deux points. D’une part le processus vise à reconnaître par le haut ou par le bas un territoire à l’étendue nouvelle caractérisé par les questions de relations entre ville et périphérie, des dynamiques associatives et enfin des services, des équipements et de grandes infrastructures à usages communs. D’autre part le processus s’appuie sur la complémentarité entre les dynamiques initiées ou incitées et le diagnostic qui vise à objectiver, à évaluer, à prendre conscience d’enjeux spécifiques sous-jacents et à reconnaître aussi bien des disparités internes que des échelles spatiales pertinentes au sein de l’aire considérée.
La question de la temporalité du processus de projet d’agglomération urbaine
Lorsque le processus est donné, un calendrier, des échéances voire même un phasage sont prescrits. A l’inverse, lorsque le processus est construit, la temporalité du processus relève essentiellement des acteurs locaux. Dans ce cas la synchronisation des calendriers des acteurs locaux est souvent une difficulté à court et moyen termes.
Mais cette question de la temporalité apparaît aussi au travers du jeu des générations. Plusieurs participants ont en effet souligné la difficulté de mettre en phase le projet d’agglomération avec le contexte local qui apparaît comme relevant d’un autre âge (gestionnaires traditionnels, situation de crise non dépassée…). A l’inverse, une difficulté résulte aussi des acteurs à l’initiative du projet qui recherchent des groupes pour assurer la succession.
Cette seconde perspective du « transfert » peut être également approchée au travers des séquences du processus du projet territorial. Concrètement quatre phases ont été évoquées.
La première est celle de l’innovation enclenchée soit par les autorités supérieures dans le cas d’un processus incité, soit par le ou les nouveaux acteurs locaux lorsque le processus est initié et construit.
La seconde phase vise à mobiliser au-delà de ces groupes porteurs. Lorsque le processus est incité, le contenu va s’orienter vers la transversalité et la multiplication des facteurs déclencheurs et stimulateurs. A l’inverse, lorsque le processus est construit, la mobilisation conduit à élaborer progressivement un contenu en fédérant des projets en gestation ou sectoriels. L’objectif dans les deux dynamiques de processus est naturellement d’impliquer d’autres acteurs : administration, politique, association professionnelle, habitants… Cette seconde phase a été également décrite comme le moment où « il faut faire prendre la mayonnaise ». La stratégie de négociation est alors prépondérante en recourant tantôt à l’autorité, tantôt à la souplesse. Cette phase est celle qui se caractérise par la conviction de la nécessité du nouveau niveau de territoire. Que le processus soit incité ou initié, il faut faire prendre conscience de l’intérêt du projet collectif à cette échelle spatiale. Il faut donc sortir des craintes des doubles emplois et de la perte d’autonomie. Pour certains il s’agit de construire une nouvelle scène politique à cette échelle spatiale pour permettre le débat, favoriser la conscience du territoire émergent et la construction d’une aire de coopération.
La troisième phase correspond à l’institutionnalisation du territoire par l’affirmation des autorités compétentes et des procédures.
Enfin la quatrième phase, qui semble être la plus redoutée, concerne la routine. Les instances sont reconnues et les projets sélectionnés. Cette phase est alors essentiellement marquée par des enjeux de soutien dans l’exécution et la gestion des chantiers.
Cette vision en terme de territorialité et de temporalité démontre à nouveau que la question centrale est celle de la définition ou de la spécificité du projet d’agglomération. En effet, sur de nombreux points les aspects développés sont analogues à ceux rencontrés dans d’autres démarches de projets territoriaux.
Les pratiques innovantes montrent des jeux complexes et des mouvements incessants de remise en question. Le processus, qu’il soit incité ou initié, comporte en effet de nombreux feed-back. En d’autres mots le processus semble davantage relever de dynamiques cumulatives, complexes, singulières voire même de certains hasards.
3. Problématique des agglomérations transfrontalières
L’objectif du deuxième atelier relatif aux agglomérations transfrontalières était d’aborder trois aspects spécifiques à celles-ci :
les spécificités des enjeux territoriaux
les pratiques innovantes de coopération
et enfin, les contraintes et opportunités de cette coopération transfrontalière.
Ces aspects avaient été présentés dans le schéma suivant proposé dans la note de conception générale de la plate-forme.
Les débats de la plate-forme ont été enrichis par diverses présentations d’agglomérations transfrontalières (4) :
l’agglomération transfrontalière franco-belge de la COPIT, Lille-Mouscron-Tournai-Kortrijk-Roeselare (5) ;
l’agglomération transfrontalière du Pôle Européen de Développement, PED (6) ;
l’agglomération transfrontalière de Sarrebrück-Moselle Est (7) ;
l’agglomération trinationale de Bâle-Saint-Louis-Weil-am-Rhein (8) ;
l’agglomération transfrontalière franco-valdo-genevoise (9) ;
et un exposé sur la problématique des agglomérations transfrontalières en général (10).
L’agglomération transfrontalière (métropole) franco-belge de la COPIT
L’imbrication des territoires français et belges a engendré une « communauté de problèmes » dans cette agglomération située à la rencontre de la France, de la Wallonie et de la Flandre. Depuis une vingtaine d’années, les collectivités sont contraintes de chercher des solutions communes (reconversion industrielle, eau…). L’agglomération a bénéficié au début des années 90 d’importants travaux d’équipements (carrefour TGV nord européen…), confortant son rang européen. Le développement transfrontalier n’a pas été seulement géré de façon binationale, mais triculturelle, afin de respecter l’identité des trois composantes. Ce souci d’équilibre se retrouve dans la structure de l’outil commun : la Conférence permanente intercommunale transfrontalière (COPIT) créée en 1991 et formalisée depuis 2000 sous forme d’une association franco-belge de droit français (loi 1901)11.
En 1998, les cinq intercommunales de la métropole franco-belge (Communauté urbaine lilloise, IDETA-Tournai, IEG-Mouscron, LEIEDAL-Kortrijk et WVI-Ieper et Roeselare) réunies au sein de la COPIT et de l’Agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole ont créé un Atelier transfrontalier, chargé d’élaborer le projet de Schéma transfrontalier d’aménagement et de développement (Grootstad). Ce Schéma aborde différents thèmes tels que la métropolisation du territoire, la valorisation des ressources en eau, la mobilité, la concurrence et la complémentarité économiques, la mise en cohérence de la planification locale…
Ce projet s’est conclu en 2001 et a abouti à la publication d’une Proposition de stratégie pour une métropole transfrontalière, dont l’objectif général est de faire du territoire transfrontalier un système métropolitain intégré, doté d’une stratégie commune de développement et de faciliter l’émergence et la réalisation de projets transfrontaliers (12).
La spécificité transfrontalière de cette agglomération (13) relève de trois caractéristiques fortes :
la complexité du système urbain : complexité géographique, fonctionnelle et institutionnelle ;
le caractère urbain de la frontière (on pourrait dire « une frontière intime ») ;
un relatif équilibre dans la répartition des forces entre les deux pays et des atouts de part et d’autre de la frontière (ce qui se lit dans l’attractivité des centres, les flux de travailleurs, la puissance des acteurs politiques et économiques).
On note des pratiques innovantes dans la méthodologie (processus) d’élaboration du projet d’agglomération transfrontalière (14) :
le processus ascendant, parti des intercommunales, pour mobiliser les niveaux d’échelle supérieure ;
la multitude d’acteurs et de réseaux d’acteurs : le partenariat s’est noué entre les intercommunales mais s’est élargi aux autorités provinciales, régionales et nationales, comme aux acteurs économiques et culturels ;
le démarrage d’actions qui précède la création des outils adéquats (et non l’inverse).
Les atouts au sein du projet (15) sont une volonté commune d’élaborer une stratégie de développement transfrontalier et une ambition de positionnement métropolitain qui repose sur une réalité combinant :
proximité géographique et interdépendance ;
relations fonctionnelles entre les territoires de coopération ;
volontarisme politique et institutionnel
On identifie deux points d’approfondissement (perspectives) pour ce projet de métropole transfrontalière (16) :
la gouvernance, devant s’illustrer par la création de structures décisionnelles et opérationnelles plus élaborées au regard des ambitions et de la réalité de la coopération ;
le concept d’Eurodistrict qui constitue un défi à relever allant au-delà de la transformation des structures juridiques actuelles et devant aboutir à une plus grande cohérence d’ensemble et une plus forte capacité à mobiliser des moyens.
Le Pôle européen de développement, PED
La coopération transfrontalière au sein de l’agglomération trinationale de Longwy est probablement celle où l’Etat s’est le plus impliqué politiquement et financièrement. La volonté de reconvertir un site en crise, après la disparition des activités du bassin sidérurgique, a abouti à la création, en 1985, du Pôle européen de développement à Longwy. Dédié initialement à la création d’emplois, ce projet multifonctionnel a finalement couvert l’ensemble des composantes de la vie locale avec pour principal objectif de « faire d’une communauté de problèmes une communauté de destin ».
Dès octobre 1993, 21 maires et bourgmestres des trois pays déclaraient leur intention de créer une agglomération transfrontalière soutenue par une résolution commune de la part des trois Etats concernés. L’enjeu était d’associer tous les acteurs locaux au projet de territoire et de faire en sorte qu’ils se l’approprient. Cette passation de management du projet de l’Etat vers les collectivités ne s’est pas faite sans difficulté. La création d’un Observatoire transfrontalier de l’urbanisme en 1994 à Longwy, puis d’une Association transfrontalière, en 1996, réunissant les élus de 21 communes et les représentants des Etats, ont permis de redonner un nouveau départ au PED en créant un périmètre précis et en constituant un référentiel territorial homogène entre les trois pays (cartographie SIG avec mise en cohérence des documents d’urbanisme, statistiques, harmonisation des définitions…).
Cette nouvelle phase s’est accompagnée de l’élaboration d’une Charte d’agglomération transfrontalière qui a défini les projets structurants et a appuyé les projets locaux en misant sur leur plus grande intégration transfrontalière. Le PED a poursuivi son développement avec la transformation de l’Observatoire en Agence d’urbanisme transfrontalière (AGAPE) … et notamment le développement d’une zone d’activité transfrontalière sur le Point Triple (Parc international d’activités tertiaires, devant devenir à terme le nouveau cœur de l’agglomération) (17).
La spécificité transfrontalière de cette agglomération (18) réside dans le fait qu’il s’agit d’une agglomération trinationale, tripolaire. Au niveau morphologique, elle correspond à une conurbation tout en devenant sur le plan fonctionnel de plus en plus une banlieue de Luxembourg. L’histoire sidérurgique est un dénominateur commun fort des trois parties nationales de l’agglomération dont le centre de gravité, jadis occupé par les hauts fourneaux, est désormais vide.
Les pratiques innovantes dans la méthodologie (processus) d’élaboration du projet d’agglomération transfrontalière (19) sont :
la fabrication de nombreux outils communs : mise en place d’un SIG transfrontalier, intranet et extranet de gestion de projet ;
la structuration d’une gouvernance territoriale avec l’Association transfrontalière ;
la Charte d’agglomération transfrontalière et le Schéma de développement.
On identifie deux points d’approfondissements (perspectives) pour ce projet de métropole transfrontalière (20) :
pérenniser les outils et les équipes techniques sans lesquels le projet n’aurait pas abouti ;
la gouvernance transfrontalière est à approfondir à l’échelle du territoire.
L. Reitz fait remarquer que, dans le transfrontalier, c’est le citoyen qui a le pouvoir de faire changer les choses contrairement à d’autres cas où c’est l’élu (21).
L’agglomération transfrontalière de Sarrebrück-Moselle Est
La conurbation sarroise constitue un véritable bassin de vie transfrontalier. Forte de plusieurs opérations réalisées dans le cadre d’Interreg, et bénéficiant de part et d’autres de la frontière d’une forte intercommunalité, des projets transfrontaliers plus concrets devraient émerger, menés dans le cadre de la maîtrise d’ouvrage d’une seule collectivité.
Cinq réalités de la dynamique territoriale et la situation de Sarrebrück-Moselle Est (22) contribuent au projet.
Il s’agit de « passer d’une agglomération transfrontalière de fait, en mutation rapide mais en reconversion et réhabilitation, à une agglomération transfrontalière de projet dynamisée par l’innovation interculturelle et par une coopération interne poussée ».
Pour cela, ces cinq réalités doivent se vivre simultanément pour la mise en mouvement collective du territoire vers une agglomération transfrontalière de projet :
le sentiment d’appartenance, l’identité commune, les valeurs communes, dont on parle souvent de la face visible, « l’image territoriale », signes d’une réalité plus intérieure ;
les interactions : elles sont particulièrement fortes en Sarre/Moselle Est ;
la vision ou la « représentation commune », on parle aussi de « carte mentale commune », elle est là, en partie, elle se cherche, avec des tâtonnements ;
l’objectif qui permet de cheminer vers la vision : bien reliés à la vision, les objectifs de développement deviennent des évidences, des jalons sur un chemin dynamique ;
la structure, ou plutôt, une gouvernance, avec plusieurs éléments de structure, qui peut être souple, à partir de l’existant.
L’agglomération trinationale de Bâle-Saint-Louis-Weil-am-Rhein
L’agglomération trinationale de Bâle-Saint-Louis-Weil-am-Rhein développe sa coopération transfrontalière à travers une structure associative de concertation technique et politique, l’Agglomération trinationale de Bâle, et un projet d’aménagement d’un équipement à vocation transfrontalière, le Technoport des trois frontières, géré par un syndicat aménageur français. D’autres actions, plus thématiques, sont menées dans le cadre d’Interreg.
L’agglomération franco-valdo-genevoise
L’agglomération franco-valdo-genevoise est l’un des sites transfrontaliers urbains les plus intégrés d’un point de vue géographique (morphologie urbaine et flux transfrontaliers multiples). Sur le mode institutionnel, elle s’illustre par un grand nombre d’organismes en présence. Leur neutralisation mutuelle a freiné pendant un certain temps l’avancement de la coopération. La coopération transfrontalière urbaine actuelle prend sa source dans le Comité régional franco-genevois, créé en 1974, un an après la Commission mixte consultative franco-genevoise, pour gérer les problèmes de voisinage transfrontaliers. Le CRFG a voulu s’impliquer davantage dans la coopération de proximité depuis 1992 en passant de la gestion de questions de voisinage à un projet d’agglomération transfrontalière, d’où la publication d’un Livre blanc recensant les défis à relever pour cet espace et proposant une série de mesures concrètes.
De 1993 à 1995, un travail d’élaboration d’une charte transfrontalière, qui fonde 10 projets concrets, a été mené mais il associe très peu les communes concernées. Cette charte, qui s’accompagne d’un schéma d’aménagement de l’espace valdo-franco-genevois, préconise la réalisation de nombreuses infrastructures, en particulier dans le domaine des transports (métro léger transfrontalier CEVA entre Annemasse et le CERN…), et a permis, entre autres, le lancement d’une phase de création de pôles de développement économique ou la mise en place d’un observatoire statistique transfrontalier. Deux projets sont récemment entrés en phase pré-opérationnelle : la création d’un pôle de développement économique transfrontalier autour de l’aéroport international de Genève (projet Rectangle d’Or), et d’un pôle d’activités mixtes sur des friches ferroviaires de la gare d’Annemasse (projet de l’Etoile Annemasse/Genève) ( 23).
S. Lin rappelle la spécificité transfrontalière de cette agglomération (24} :)
Si la ville est transfrontalière comme les autres, son centre est dans un pays et la périphérie dans un autre, entraînant des problèmes centre-périphérie qui se doublent de difficultés caractéristiques d’une relation entre deux pays. La situation de Genève, ville suisse extérieure à l’Union européenne, à l’inverse de sa périphérie française, renforce cette spécificité locale.
La pratique innovante d’élaboration du projet d’agglomération transfrontalière (25) est de ne pas avoir additionné les spécificités de chaque territoire mais d’avoir travaillé tout de suite sur des thématiques déclinées sur des actions communes. Un aspect méthodologique bénéfique a résidé dans l’aller-retour incessant entre les phases d’élaboration stratégique et la mise en place d’actions sur le terrain. Ce lien constant entre une politique globale et la conduite d’actions concrètes semble fondamental pour affiner la démarche d’un projet d’agglomération transfrontalière.
Il s’agit également d’une invention d’institutions (les organes de coopération informels, les conventions de coopération interétatique, les groupements locaux de coopération transfrontalière, les structures de management transfrontalières, SEM…) et d’une construction européenne par le bas.
La prochaine étape doit permettre à l’agglomération de se doter d’une plate-forme institutionnelle engageant davantage les autorités compétentes sur un mode contractuel avec un élargissement vers des thématiques nouvelles (économie, formation, harmonisation des politiques du logement).
Synthèse sur la problématique des agglomérations transfrontalières26
Les expérience présentées amènent à réfléchir un certain nombre de concepts : la frontière, le territoire et l’agglomération dans un contexte transfrontalier.
Qui dit transfrontalier dit frontière. Lieu symbole de la construction d’une identité nationale, la frontière est à la fois une réalité politique, économique, sociologique et culturelle incontournable, et une dimension psychologique profondément inscrite dans les esprits. L’approche transfrontalière, dans le cadre du développement territorial, n’a pas pour ambition de faire disparaître la frontière, mais de l’aborder comme une ressource et non comme un handicap. Grâce à la coopération transfrontalière, le territoire transfrontalier peut alors devenir un lieu positif, support de projets associant des hommes, des savoir-faire, des dynamiques et des moyens. Pour autant, cette approche doit prendre en compte la diversité que recouvre la notion même de frontière.
On peut distinguer :
la frontière glacis : matérialisée par des obstacles naturels (chaîne montagneuse, massifs forestiers) et donc faiblement peuplée, elle est davantage perçue comme un lieu de protection (barrière) que comme un lieu de flux et d’échanges. Pendant plusieurs siècles, sa vocation a été principalement militaire.
La frontière creuset : caractérisée par une absence d’obstacle naturel, elle doit son tracé à l’histoire davantage qu’à la géographie. Elle connaît souvent une urbanisation importante des deux côtés de la frontière. Lieu de passage et d’échanges humains et économiques, elle a favorisé le brassage et facilité l’émergence de références culturelles communes (langue par exemple).
Dans les deux cas, il est possible de développer des projets ponctuels et plus largement de territoires transfrontaliers. Le second cas nécessitera cependant une volonté politique plus affirmée pour se forger, entre partenaires de deux ou trois pays, un avenir commun sur un même territoire.
Un territoire transfrontalier est un espace de projet délimité. Il suppose donc une volonté forte de se donner un destin commun.
Le territoire transfrontalier naît ainsi d’une volonté politique forte de favoriser le développement local et la coopération transfrontalière; mais il ne se conçoit pas sans l’inscription dans un espace géographique, socio-économique et culturel précis.
Il peut être le lieu d’un ou plusieurs projets ponctuels, ou celui d’un seul projet à vocation plus globale. On parle alors de projet de territoire. Le plus souvent, la mise en oeuvre débute par des actions ponctuelles, l’exemplarité des résultats et les habitudes de travail en commun permettant ensuite d’envisager une approche plus large et transversale.
Lorsqu’il est le support de projets multiples, un territoire transfrontalier peut avoir des périmètres différents selon les thématiques abordées.
Une agglomération transfrontalière se définit moins par un concept strictement morphologique (ensemble urbain transfrontalier traversé par une frontière) que par un éventail plus ou moins large de fonctionnalités urbaines transfrontalières, doublé d’un projet politique commun sur un territoire défini.
Ces agglomérations transfrontalières témoignent également des dynamiques économiques contemporaines à l’oeuvre, résultant d’un certain « effet frontière » : différentiels de législations, de coût de main d’oeuvre, de l’immobilier, etc. qui stimulent la croissance économique et permettent aux entreprises et à la population de tirer profit de ces différences.
Petite typologie des agglomérations transfrontalières aux frontières de la France et des pays voisins
Les agglomérations transfrontalières strictes : elles constituent un ensemble d’urbanisation dense et continue, dans la plupart des cas, polycentrique avec hiérarchie des centres (un centre principal et des centres secondaires). Ce sont des agglomérations transfrontalières qui constituent la forme la plus intégrée de la coopération de proximité.
Les réseaux urbains transfrontaliers : ils constituent des espaces urbains transfrontaliers beaucoup plus linéaires où la continuité urbaine n’est pas complète (nombreux espaces tampons ruraux). ils s’apparentent plus à un réseau urbain avec une urbanisation souvent littorale en filament. Cependant dans certains cas, la réalité des flux ou le projet politique transfrontaliers n’en est pas moins forte.
Emergence des agglomérations transfrontalières
La coopération transfrontalière urbaine de proximité s’est développée à des rythmes très différents selon les frontières et les régions. Il est souvent difficile d’en détecter l’origine précise, tant elle prend ses racines dans la coopération institutionnelle à travers un grand nombre de projets, dont les supports ont été le plus souvent urbains. Accélérée grâce au programme Interreg il y a une dizaine d’années, elle s’individualise et devient progressivement plus autonome pour devenir une composante spécifique de la coopération transfrontalière de niveau régional. Plus ou moins complexe selon la taille et les fonctions des agglomérations, selon les accords, les traités, les traditions culturelles, la communauté de langues, elle prend une forme particulière pour pratiquement chacune des agglomérations concernées. Il est donc très difficile d’en déduire un modèle applicable partout de façon uniforme. D’autant que l’on n’en est encore qu’au début d’une coopération qui prend progressivement ses marques en s’adaptant à des configurations spatiales et juridiques très différentes.
Enjeux et problèmes spécifiques des agglomérations transfrontalières
Quand on entre dans le détail des problématiques qui font l’objet de coopérations, tous les thèmes qui font une agglomération « nationale » peuvent être abordés dans un projet d’agglomération transfrontalière : transports, santé, déchets, planification… Toutefois, d’autres questions relatives au management transfrontalier sont également posées : la citoyenneté urbaine transfrontalière, les modalités de financement des actions, les problèmes de fiscalité locale, le management interculturel d’une telle agglomération, le développement local…
Les enjeux qui caractérisent ces agglomérations transfrontalières sont multiples : sociaux, économiques, politiques, spatiaux et culturels. Ils sont considérables par les potentialités de développement qu’ils sous-tendent.
L’articulation des différents niveaux de planification entre chaque pays est une donnée essentielle afin de mener à bien un projet d’agglomération transfrontalière27.
Enjeux économiques
Les agglomérations transfrontalières sont des territoires à fort potentiel de développement économique. L’enjeu est de faire de la frontière une ressource et non plus un handicap. Il s’agit également de réaliser des économies d’échelles en misant sur la complémentarité et en évitant de réaliser les mêmes équipements de part et d’autre de la frontière.
Enjeux politiques
Ces agglomérations constituent de véritables laboratoires de la construction européenne car elles sont à la fois des lieux de convergence des politiques nationales et le creuset de la citoyenneté européenne. A l’échelle européenne, les coopérations qui s’y nouent représentent aujourd’hui l’expression d’une forme d’intégration économique, sociale, culturelle européenne en même temps qu’un renforcement des possibilités des collectivités locales d’agir en transfrontalier pour créer et gérer en commun des services d’intérêt général. Encourager la mise en place de structures de co-décision ou de management à l’échelon du territoire urbain transfrontalier, par des initiatives communautaires, l’évolution des législations et des droits nationaux, est un des enjeux majeurs de leur développement.
Conclusion provisoire
De nombreux problèmes perturbent la vie quotidienne des populations et gênent les acteurs de projets transfrontaliers et les élus dans leur volonté de créer une cohérence urbaine et une « communauté de destin » avec leurs voisins sur un territoire commun.
Un certain nombre d’écueils ont été mentionnées : pression immobilière et foncière, dégradation des paysages périurbains frontaliers, saturation croissante des infrastructures routières, surcoût de non agglomération transfrontalière (gestion séparée des services), incompatibilités des systèmes administratifs et juridiques, articulation des échelles de coopération, problème du financement de la coopération transfrontalière…
Cependant, il est évident que les expériences en cours dans les agglomérations transfrontalières avancent malgré les contraintes institutionnelles nationales diverses. Il apparaît aussi que ces agglomérations tirent parti des dynamiques de coopération comme des dynamiques de concurrence entre territoires voisins, en adoptant tantôt des attitudes de coopération compétitive, tantôt de compétition coopérative selon les jeux d’intérêts réciproques.
4. Politique wallonne des agglomérations :
pistes pour de nouvelles stratégies
Le troisième atelier s’est focalisé sur la politique wallonne des agglomérations. L’objectif était, à travers le regard des participants français et suisses, de mettre en évidence les particularités mais aussi les lacunes du processus de coopération supracommunal dans les villes wallonnes. Cet atelier s’est terminé par un débat avec trois représentants du monde politique wallon intéressés par les travaux de la plate-forme.28
Au-delà d’un état des lieux constatant les carences29, une série de raisons justifient la mise en place en Wallonie d’associations supralocales dans les agglomérations urbaines :
assurer sur le plan territorial la cohérence, la complémentarité et la coopération entre acteurs pour une gestion stratégique de certaines politiques de développement urbain,
assurer une meilleure visibilité de toute une région sur le plan économique et renforcer les liens (économiques ou autres) de région à région,
affirmer l’identité d’une communauté d’agglomération pour attirer les investisseurs privés ou publics, bénéficier des subsides européens (taille critique), donner une image positive ou encore faciliter les partenariats, par exemple sur le plan international,
renforcer des liens entre les différentes entités constituantes (relation centre-périphérie, entre communes rurales et communes urbaines).
L’Union des Villes et Communes de Wallonie30, groupe de pression représentatif des pouvoirs locaux, réclame l’adoption par la Région d’un décret qui organiserait les modalités des communautés d’agglomération et communautés de communes par collaborations souples, sur une base conventionnelle, en vue de concrétiser des projets bien déterminés. Parmi les réticences suscitées par cette revendication, il y a la préoccupation de ne pas alourdir le paysage institutionnel déjà complexe en Belgique, la crainte de double emploi (entre autres avec les sociétés intercommunales de gestion et de développement), le manque de transparence et de représentativité équilibrée des communes. Rappelons qu’il n’existe pas, en Wallonie, de cadre légal autorisant la création de communautés institutionnellement reconnues.31
L. Maréchal32 souligne que l’idée d’une coopération supracommunale est apparue à la demande des forces vives lors de la consultation publique portant sur le schéma de développement de l’espace régional (SDER). Elle s’est traduite par la définition d’aires de coopération, d’aires supracommunales à la fois urbaines et rurales, d’eurocorridors. Elle soulève immanquablement le problème des externalités entre pôles et au sein des pôles urbains. Des approches fonctionnelles et politiques s’affrontent : en Wallonie, la dynamique d’agglomération relèverait plutôt de volontés politiques fondées sur des valeurs que sur une approche relationnelle à partir du vécu des populations.
Les interventions amènent à questionner les différentes positions en présence.
L’option d’une structure d’agglomération souple, sans cadre légal strict et impératif couvrant toute la Wallonie, ouvre un débat parlementaire de tous les risques : quelle assurance aura-t-on que les particularismes locaux ne l’emportent pas sur l’intérêt général, non seulement dans les aspects institutionnels mais surtout sur les enjeux financiers (péréquation fiscale) ? Peut-on résoudre les problématiques d’externalités projet par projet ?
La question de la supracommunalité de projet entraîne un reformatage des institutions provinciales (dont on veut limiter l’influence) et des sociétés intercommunales « de gestion » (dont on cherche à réduire de moitié le nombre) ; mais sur quelle base démocratique serait établie la communauté « de projet », avec quel degré de contrainte ? L’option politique proposée d’une élection au deuxième degré des mandataires de la communauté d’agglomération est préférée car l’option de l’élection directe n’offrirait pas la garantie d’éviter les « égoïsmes » communaux.
Le débat wallon semble conduire à une remise en cause de l’institution communale elle-même. Comment la légitime-t-on aujourd’hui dans une structure institutionnelle ? Est-elle un fait acquis, intangible, intouchable ? Deux modèles de l’Etat semblent s’opposer : une représentation fondée sur un Etat référé au territoire communal et un modèle d’une société translocale, relationnelle, fluide.
Au travers des questions posées par l’émergence du territoire d’agglomération – l’échelle pertinente, les ressources endogènes mobilisables, la démocratie participative ou représentative, la quête identitaire – on découvre des stratégies de groupes sociaux cherchant à tirer avantage d’un projet collectif, dont la (non-)solidarisation de la ville-centre et des communes de type « classe moyenne » de la périphérie est un des aspects.
Enfin, le risque d’emballement institutionnel que l’on connaît en Wallonie suite aux nombreuses réformes récentes incite à la prudence et à laisser du temps à l’expérimentation.
Conclusion provisoire
En l’absence d’une volonté affirmée de favoriser la coopération entre les pouvoirs locaux, il est peu probable que la Wallonie se dote à court terme d’un cadre légal instituant des communautés d’agglomération ou des communautés de communes.
Le Gouvernement entend évaluer les expériences actuelles et envisagera ultérieurement la place qu’il convient de leur donner dans l’architecture institutionnelle de la Région wallonne.
L’heure est donc à l’expérimentation en vue de démontrer l’efficacité et la nécessité de coopérations entre pouvoirs locaux et Région. Cependant, les principes de ces coopérations sont rappelés dans les documents de politique régionale : subsidiarité (principe qui implique que les missions relevant de l’intérêt public soient attribuées au niveau le plus adéquat et, en cas d’équivalence, à la collectivité), connexité (principe qui garantit aux collectivités l’attribution de moyens suffisants corrélativement à l’attribution de nouvelles missions), objectivité et responsabilité.
Reste à espérer que ces « bricolages institutionnels » seront porteurs de nouvelles dynamiques et de solidarités volontaires au sein des territoires d’agglomération.
5.Thématiques pour la plate-forme 2005
Au terme de la deuxième édition de la plate-forme, on se rend compte qu’il y a une réelle difficulté liée d’une part au vocabulaire (projet, agglomération, développement, durable, urbain…) et d’autre part au métadiscours (la gouvernance, la solidarité…). On propose d’élaborer préalablement aux séminaires un lexique des termes utilisés préalablement aux séminaires, mais tous ne se rallient pas à cette idée. On a du mal à structurer le débat. On a tendance à transformer des constructions intellectuelles (« projet d’agglomération ») en objets substantiels : on devrait « faire » du projet pour développer l’agglomération. Or, un projet crée de l’inégalité, de la dualisation en même temps qu’il produit de l’identité. Il faut réfléchir à la portée épistémologique des discours ambiants, aux postulats idéologiques des positions prises, au processus mouvants et ancrés dans les territoires et dans le temps.
Il a été proposé que la prochaine plate-forme soit organisée à Toulouse en mars 2005. Au vu des travaux de la plate-forme 2004, on peut proposer les thématiques suivantes qui structureraient la suite des discussions :
les échelles territoriales d’agglomération et l’articulation entre celles-ci ;
la gouvernance territoriale et le management stratégique des agglomérations : du passage de la référence au citoyen à la reconnaissance de l’usager ou du consommateur (l’exemple de la mobilité et démocratie ou des conseils de développement) ou encore la question de la contractualisation ;
la compétition entre territoires et les solidarités entre populations : comment réguler la compétitivité, comment créer des situations « gagnants-gagnants », quel impact des politiques européennes (Interreg), quels jeux d’exclusion / inclusion ?
comment construire une vision globale au-delà des projets singuliers ?
la question de la complexité des problématiques, des processus, des politiques ;
la question des solidarités : des discours et des pratiques.
Parmi les améliorations à apporter au déroulement du séminaire, il est suggéré que la visite de terrain fasse partie intégrante du programme, qu’il y ait moins de présentations de cas et que les participants soient présents à l’ensemble des travaux.
Le nombre de cas d’étude pourrait être réduit. La place du débat local sur la Wallonie aurait pu être plus réduite pour dégager du temps pour les discussions. Les grilles d’analyse proposées dans la note préparatoire pourraient davantage être utilisées comme clés de lecture et comme points de référence pour le questionnement. Il est nécessaire que le groupe puisse s’approprier et travailler les schémas proposés.
L’équipe du CIRUS prend en charge la préparation de la troisième édition de la plate-forme qui aura lieu les 17, 18 et 19 mars 2004. Il est suggéré d’associer, hors séminaire, des équipes de recherche qui travaillent sur ces questions. L. Boulianne propose d’inviter des partenaires québécois qu’il rencontrera prochainement.
Quelques points de vue personnels formulés à l’issue de la seconde plate-forme sur les agglomérations (Namur 18-20 mars 04)
Par Rémi Dormois, 22 mars 2004
1) Où se situe l’innovation dans les projets d’agglomération ?
Un constat partagé que les démarches de projet d’agglomération marquent un renouvellement des modes de conduite de l’action publique urbaine dans le sens d’une place plus importante accordée à l’incrémentalisme, au « pas à pas », au procédural…
Ce qui apparaît en revanche encore comme en débat :
Le degré d’ouverture des projets d’agglomération à des thématiques telles que les solidarités sociales, le développement durable par rapport aux sujets classiques (développement économique, transports) n’est pas encore une règle générale. Rares sont les initiatives présentées qui faisaient par exemple explicitement référence à une valorisation des ressources endogènes au territoire. Les projets d’agglomération restent dominés dans leur élaboration par des enjeux de positionnement économique (concurrence inter-cités, attractivité et offre urbaines). Certes dans le cas du projet de la Louvière figurent la prise en compte des réfugiés et celle d’une réflexion sur l’évolution du surendettement des ménages. De même, dans le projet genevois a été inscrite la question du développement des prestations sanitaires et de formation. En revanche dans les autres cas présentés, il n’y a pas de rupture sensible avec ce qui est fait traditionnellement et qui s’avère insatisfaisant pour mailler les préoccupations économiques, sociales, politiques et environnementales.
Les cadres d’appréhension des relations entre les sous-entités d’une agglomération sont eux aussi très largement reconduits. C’est ainsi que le modèle centre/périphérie est encore très prégnant dans la façon d’appréhender la problématique de l’étalement urbain.
2) La question de la construction d’une capacité d’action collective à l’échelle des agglomérations.
Le cas belge met en évidence comment la construction d’une capacité de gouvernement à l’échelle d’une agglomération peut être envisagée différemment qu’en termes de création d’une institution politique dotée de compétences élargies et d’une fiscalité propre. Les communes belges se regroupent, en effet, sur le mode d’associations, dénommées « les intercommunales », qui peuvent avoir des objets d’intervention sectoriels (transports, traitement des déchets,…) ou des objets plus transversaux. Une même commune pourra, dans ce système d’aires de coopération intercommunale, appartenir en même temps à deux associations. Dans le cas genevois, une réflexion comparable est en cours avec le projet de mettre en place un club des collectivités regroupant les deux cantons suisses et les intercommunalités françaises.
Certains praticiens se sont démarqués de cette position d’une institutionnalisation « molle » en exprimant clairement le besoin de la mise en place de véritables institutions de gouvernement urbain en particulier sur les espaces transfrontaliers. Des attentes ont été exprimées dans ce sens à destination de la Commission Européenne pour qu’une loi soit définie à ce niveau décisionnel. Pour les défenseurs de cette position, la gouvernance territoriale correspond à un mode d’action publique « improductif » qui ne permet pas de prendre des décisions tranchées et parce qu’il n’apporte pas de lisibilité sur les responsabilités.
La réflexion sur le besoin d’une capacité d’action collective apparaît fréquemment comme une nécessité imposée par l’extérieur (en l’occurrence la compétition inter-cité ou la contractualisation avec les échelons régionaux et centraux) que par une volonté locale. Est-il surprenant alors que fréquemment le projet d’agglomération soit présenté par les intervenants comme un objet technocratique sans réel portage « citoyen » ?
La formation d’une action collective semble conditionnée à la mise en place de jeux gagnants/gagnants. C’est ainsi que le canton de Genève espère mobiliser les intercommunalités françaises pour la mise en œuvre d’un projet d’agglomération en reconduisant la rétrocession des financements prélevés sur les salaires des frontaliers à destination des communes frontalières françaises mais en la conditionnant à un droit de regard sur l’utilisation de cette manne financière.
Un débat intéressant a porté sur la question des facteurs explicatifs d’une non émergence d’une capacité d’action collective.
i) Plusieurs mettaient sur la sellette les élus en dénonçant leur incapacité à dépasser leur logique de défense d’intérêts politiques territoriaux (souvent une logique communale). Dans le cas liégeois était avancée une hypothèse en termes de « co-sanguinité » des élites politiques et techniques locales qui expliquerait le faible renouvellement des cadres de pensée.
ii) D’autres intervenants ont pris leur distance avec cette première analyse en considérant que la difficulté à structurer des gouvernements politiques d’agglomération pouvait tenir aussi à des pressions de groupes sociaux (notamment les classes moyennes s’installant dans les espaces périphériques qui supporteraient les initiatives de structuration d’intercommunalités défensives / à la ville-centre).
iii) D’autres intervenants ont considéré qu’un contexte de crise de l’économie locale pouvait être une situation favorable pour la structuration de cette capacité de gouvernement. Ce dernier point a été constaté dans le cas de l’agglomération transfrontalière Luxembourg/France/Belgique où la crise de l’emploi sidérurgique n’a pas provoqué la naissance d’une forte dynamique d’action locale et où la question de la réindustrialisation n’a jamais été réinterrogée (elle s’est imposée alors même que les évolutions de l’emploi pointaient l’enjeu du développement des services).
iv) Les acteurs peuvent aussi avoir intérêt à ne pas coopérer dans la mesure où la fragmentation institutionnelle est la cause d’avantages économiques. Le développement économique de plusieurs agglomérations transfrontalières repose ainsi sur l’existence de différentiels de taux de fiscalité locale, de régimes indemnitaires contrastés entre pays voire à des partages territoriaux à l’issue duquel moyennant une indemnité financière une partie du territoire accueille des équipements nuisants (cela semble par exemple le cas de St-Louis sur la question du traitement des déchets de l’agglomération bâloise).
3) La construction des agglomérations conduit-elle à un effacement des frontières ?
Deux éléments viennent nuancer la représentation d’une coopération intercommunale qui se traduirait par un effacement des frontières entre communes, voire entre Etats quand il s’agit d’une agglomération transfrontalière.
i) Les frontières institutionnelles représentent des contraintes (problème de compétences,…) mais sont aussi des creusets. On l’a déjà dit mais le dynamisme économique des espaces transfrontaliers reposent très fréquemment sur l’effet frontière en termes de différence de cadre fiscal ou de cadre juridique pour le droit du travail.
ii) Plusieurs exposés ont mis en évidence que l’intégration institutionnelle pouvait se traduire dans les faits par la renaissance de frontières au sein de la nouvelle agglomération. Par exemple, réapparaissent nettement des clivages entre groupes sociaux (c’est par exemple le cas dans les communes françaises du genevois entre les résidents « classiques » et les résidents « frontaliers » qui ont des niveaux de revenu plus élevés et une relation au territoire local différente)