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Internet, un outil de réconciliation nationale en Guinée ?

Julien BRYGO

09 / 2009

En Guinée, en 207 déjà, l’armée a tiré sur la foule, et certains voudraient que ce crime d’État ne demeure pas sans nom, sans visages ni sans chiffres. Touré Booba Sidiki est de ceux-là. Il s’est engagé dans un vaste projet de recouvrement des preuves de ces massacres.

Touré Booka Sidiki a la rage au ventre. « J’ai vu les corps que les gens portaient sur leurs épaules. J’ai assisté au massacre de mes jeunes frères guinéens. Je ne peux pas oublier. » En janvier-février 2007, alors que des dizaines de milliers de Guinéens battent le pavé à l’appel des syndicats, pour un changement politique dans ce pays dirigé alors d’une main de fer par feu le général Lansana Conté, l’armée tire sur la foule, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes. Les chiffres des ONG font état de 186 morts et 1 200 blessés. Alors que les caméras se braquent sur la capitale Conakry, dans tout le pays des destructions et des disparitions ont lieu. Un massacre qui attirera les caméras européennes. Mais un massacre qui n’a jamais été jugé.

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« Lutter contre l’ethnicisation »

Plus de deux ans ont passé. Touré Booba Sidiki, directeur depuis 2004 de la Coordination régionale de la jeunesse de la Basse-Guinée veut collecter, recouper, montrer, projeter. Son objectif : arpenter la Guinée de long en large pour traquer les preuves des massacres et les publier, ensuite, sous divers supports : des pages Internet, des courts-métrages, des publications. « Je ne peux pas rester insensible à l’injustice. », dit-il. Son ambitieux projet consiste à « recenser les maisons cassées, trouver des preuves, des actes de décès, pour enfin ouvrir une ère de réconciliation nationale en Guinée, où l’ethnicisation des rapports dans la société est en train de devenir un vrai danger. On se souvient tous du Rwanda. Quand on regarde sereinement les faits, la plaie guérit mieux, même s’il y a des cicatrices. », dit-il, usant de grands mots (« compréhension », « tolérance », « respect ») et de grands noms (Malcom X, Martin Luther King…)… Son intention est double : il s’agit à la fois d’un travail d’historien contemporain et d’un travail de réconciliation de la jeunesse qui, selon lui, est « divisée en Guinée à cause de l’ethnicisation ». En Guinée, pays qui a, contrairement à ses voisins (le Libéria, la Sierra Léone), toujours été plus ou moins épargné par ce qu’on nomme en Europe les « divisions ethniques », le paysage politique commence, selon de nombreux observateurs, à sérieusement s’« ethniciser ». Il ne se passe pas une semaine sans qu’un parti politique soit créé, soit par un ancien ministre, soit par un regroupement de jeunes, soit par un groupe quelconque. On comptait mi-2009 plus de 70 partis politiques en Guinée !

Pour marquer les esprits, il faut des images. Pour avoir des images, il faut avoir du matériel d’enregistrement, des moyens de transport. Et pour cela, il faut des fonds. Sidi Booba part de zéro, ou presque. « Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a refusé de répondre à nos quatre demandes de subvention ! », explique-t-il avant de préciser : « Actuellement, le PNUD travaille en Guinée afin de permettre un dialogue sur la « réconciliation nationale », par rapport à la transition. Très bien. En 2007, nous avons déposé au PNUD un dossier de demande de subvention sur ce même sujet ! On n’a pas eu de réponse. Par la suite, on a ressayé trois fois : toujours pas de réponse. Cette année, inquiets des signes de dérapage en Guinée, le PNUD nous a appelés et deux experts sont venus nous voir pour lancer des appels à projets liés à la transition. Deux ans après, c’est donc le même thème qu’on nous amène : « dialogue social », « réconciliation »… Moi je leur ai dit : « c’est pas nous le problème, c’est vous ! Vous qui ne tenez pas compte de nous, les jeunes. » Les indicateurs, les signes qu’ils cherchent, au PNUD, ce sont nous, les jeunes. C’est nous qui connaissons la solution à apporter aux problèmes ! » raconte cet homme âgé de… 52 ans.

Blocage et pressions

En février 2007, après avoir instauré l’état de siège, Lansana Conté a nommé une personnalité dont la réputation est celle d’un connaisseur de l’économie, l’ancien ambassadeur de Guinée à l’ONU, Lansana Kouyaté. Il est accueilli à Conakry en héros, mais un de premiers actes symboliques, la pose d’un éléphant géant sur le rond-point de Bellevue, à Conakry (en Guinée, l’éléphant est le symbole du régime de Sékou Touré, ndla) fera l’objet d’une vive polémique, notamment de la part des victimes des massacres du Camp Boiro. La feuille de route de M.Kouyaté prévoit l’instauration d’une Commission d’enquête sur les massacres de janvier-février 2007. Une enquête de terrain aurait donc dû permet d’établir avec précision les données des fusillades. Mais devant les blocages du régime, celle-ci a renoncé. À peine la Commission d’enquête logée, dans le centre de Conakry, Lansana Conté donnait l’ordre à la banque de bloquer les comptes de la Commission. Les choses sont claires : la vérité n’éclatera pas au grand jour tant que « le vieux » sera au pouvoir…

« Au nom de Dieu »…

Cependant, en 2008, alors que le régime de Conté impose une « fin de règne sans fin » (1) à son pays, plusieurs représentants des victimes des massacres obtiennent une rencontre avec la première dame de l’époque, Me Henriette Conté, une personnalité au cœur de beaucoup d’« affaires » du pays. Face à elle, plusieurs jeunes issus de diverses organisations de la société civile (2) lui font part de leur volonté de justice suite aux massacres et souhaitent s’assurer de ce soutien de poids dans la réparation. « Madame la première dame, nous ne demandons pas la vengeance, qui est le premier sentiment qui anime une victime quand elle voit les mêmes personnes qui ont tiré sur la foule circuler dans la rue. Nous réclamons la justice et la vérité. », dit l’un d’eux (3). « Au nom de Dieu, je vous demande de pardonner. Sans pardon, on ne peut pas construire notre pays. Je vous demande de mettre cette situation au compte de notre créateur. », a répondu la première dame. En clair : les militaires n’ont tué personne, mais Dieu, lui, est un criminel. La religion est pratique parfois…

Maintenant que le régime de Conté est tombé, Touré Booba reprend confiance. Pour sensibiliser « le monde entier » sur ce drame, il compte sur Internet : « Dans le monde entier, des commissions « vérité et réconciliation » ont été mises en place et notre organisation pourrait s’inscrire dans cette longue liste des organisations qui se battent pour la paix et la justice. Nous comptons donc réaliser un site dédié aux massacres et un livre que nous aimerions titrer : « Vérité et témoignages sur les événements de janvier-février 2007 ». »

Prendre appui sur le mémorial du Camp Boiro

En Guinée, pays marqué par 26 années de règne sans partage de Sékou Touré, années pendant lesquelles le chantre de l’indépendance guinéenne fera éliminer plusieurs dizaines de milliers de prétendus opposants et autres contre-révolutionnaires, dans le tristement célèbre Camp Boiro, il est encore difficile, 25 ans après, de parler de cette époque. Elle divise profondément la société guinéenne. Les fantômes de Sékou Touré planent constamment sur la société guinéenne. Face aux crimes de ce régime qui apporta pourtant tant d’espoir sur le plan de l’émancipation panafricaine, des citoyens guinéens ont toutefois entrepris un impressionnant travail de recueil de données et d’identification des victimes, pour en faire un site : le mémorial du Camp Boiro (4).

Sidi Booba souhaite s’inspirer de cette base de données pour son projet. Il est en contact avec deux enfants de victimes du Camp Boiro. Comment réagirait le régime actuel, un régime militaire, face à ces accusations contre la Grande Muette ? Si des commissions « Vérité et réconciliation » sont en marche, le régime de Dadis Camara a pourtant exercé plusieurs pressions, notamment auprès d’un juge chargé de l’enquête. Pas sûr que ce béret rouge, qui exerçait au moment des massacres, accepte de lever le voile. Son discours par rapport aux méfaits des deux derniers régimes de Guinée est plutôt de l’ordre du « grand pardon », comme il l’a expliqué le 6 février dernier au Palais du Peuple de Conakry : « Il faudra que le peuple de Guinée, y compris les sages, les jeunes, les enfants, puissent pardonner, accepter le pardon! » Un discours qui lui vaudra ce titre tout en subtilité du journal satirique guinéen Le Lynx : « Leurre du grand pardon. » (5).

1Lire Odile Goerg, Fin de règne sans fin en Guinée, Le Monde Diplomatique, avril 2006. www.monde-diplomatique.fr/2006/04/GOERG/13335
2La Fondation Diallo Telli, l’association des victimes du Camp Boiro, le Conseil national des organisations de la société civile, l’organisation Guinéenne des droits de l’Homme (OGDH), l’association des jeunes de Guinée (AJG). (liste non-exhaustive).
3In « Cona’cris, La Révolution orpheline », film documentaire de Gilles Nivet, 2009.
4www.campboiro.org
5Le Lynx, 16/02/09. Pour une revue de presse de l’époque, cliquer ici.

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