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L’industrie de la canne à sucre en Colombie

Héctor MONDRAGÓN

2008

C’est au cours des premières décennies du XXe siècle qu’a commencé l’industrialisation du pays. L’augmentation subite du marché du sucre a permis l’implantation d’usines industrielles. Apparaissent alors les usines Riopaila dos Caicedo, Providencia dos Cabal et Mayagüez dos Hurtado Holguín, qui sont encore aujourd’hui les principaux producteurs de canne à sucre.

Toutefois, le grand saut des usines de Valle del Cuca, qui a construit son oligopole sur le marché du sucre colombien, a eu lieu durant la période connue sous le nom de « La violência » (la violence) entre 1946 et 1958, durant laquelle deux millions de personnes ont été forcées d’abandonner leurs terres et ont perdu 350 000 propriétés. Le département qui enregistra le plus grand nombre de personnes expulsées fut Valle del Cauca avec près d’un demi million de personnes ayant perdu 98 400 propriétés.

À l’heure actuelle, le conglomérat Ardila Lülle est des plus importants de Colombie. Il est basé sur l’industrie des boissons rafraîchissantes, et représente un quasi monopole. Son seul concurrent sur le marché est Coca-Cola, la franchise de Pepsi lui appartenant. Il possède des entreprises textiles et la chaîne de radio et de télévision RCN, l’une des deux chaînes qui contrôlent les médias colombiens. Il est propriétaire de l’usine Cauca, possède 52 % de l’usine Providencia et au moins 35 % de l’usine Risaralda, fondée en 1979 grâce à l’investissement de la Fédération des caféiculteurs, de l’état et de la Corporation financière de l’Occident, cette dernière dominée par la Citibank.

Ardila Lülle est le principal promoteur des projets de production d’éthanol en Colombie. Ses usines Cauca, Providencia et Risaralda produisent 65 % de l’éthanol colombien à partir de sucre, alors que l’usine Manuelita produit 20 % et que Mayagüez produit 15 %.

Cette production d’éthanol est le résultat du grand champ de manœuvre du capitalisme bureaucratique en Colombie (1). La loi n° 693, du 19 septembre 2001 stipule que, à partir de septembre 2006, l’essence dans les villes colombiennes de plus de 500 000 habitants doit contenir de l’éthanol. Cette obligation qui s’appuie sur de supposées motivations écologiques et sociales est décisive. En effet, le coût de production de l’éthanol est supérieur à celui de l’essence, mais, outre cela, l’obligation permet à Ardila Lülle de vendre le gallon d’éthanol à 2,40 dollars américains, alors que l’essence est vendue à 1,26 dollar américain par Ecopetrol (Serrani 2007).

De plus, la loi n° 788, de 2002, exonère l’éthanol de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et des taxes et surtaxes sur les combustibles, dispenses qui coûtent à l’état 100 millions de dollars par an.

Le programme « essence oxygénée », avec 10 % d’éthanol, a débuté en novembre 2005 dans le Sul Ocidente et dans la zone caféière et en février 2006 à Bogota.

Pourquoi Ardila Lülle et d’autres oligopoles du sucre peuvent imposer ces megaprofits ?

  • Car ils contrôlent l’état. Ardila Lülle a apporté son soutien aux élections des présidents Pastrana et Uribe, et des présidents du congrès qui soutiennent leurs gouvernements.

  • Ardila Lülle contrôle l’information par le biais de la chaîne RCN, qui s’est chargée, ces dernières années, de faire l’apologie des paramilitaires qui ont assassiné près de quatre mille syndicalistes et qui ont un contrôle politico-militaire sur de grands territoires du pays.

  • Les États-Unis souhaitent que la production d’éthanol et d’autres biocombustibles augmente pour solutionner leur crise énergétique et, concrètement, dans le cas de la Colombie, ils veulent que le pétrole soit exporté. De fait, il est préférable pour eux que la Colombie consomme des biocombustibles à un coût de production plus important que celui de l’essence, ce qui laisse une plus grande quantité de pétrole pour l’exportation vers les États-Unis à un prix moindre.

La situation des travailleurs

30 000 travailleurs sans contrat de travail sont repartis dans les treize usines sucrières. Les grands syndicats de l’industrie ont été réduits au minimum et l’embauche se fait par de supposées « coopératives », créées pour cacher les relations de travail.

Cependant, les « coopératives » de coupeurs de canne ont débuté des mouvements de grève en 2003, lorsque 1600 ouvriers ont arrêté l’usine La Cabana, et plus récemment, en mai 2005, lorsque 2 700 coupeurs de l’usine Cauca ont arrêté le travail, suivis de 7 000 ouvriers de l’usine de Mayagüez, de Manuelita et d’autres usines. La méconnaissance des relations de travail a empêché de déclarer l’illégalité des grèves et l’invention des « coopératives » s’est retournée contre ses inventeurs.

Mais les conditions de travail des coupeurs de canne sont toujours aussi mauvaises. Edison Arturo Sánchez, instigateur de la grève à Castilla, a été assassiné. Dans l’usine La Cabaña, tous les accords avec les travailleurs n’ont pas été respectés et les grévistes ont été renvoyés.

Triste histoire et triste futur pour le palmier à huile

En Colombie, le palmier à huile est entre les mains de grands propriétaires qui ont exploité la terre saisie dans les régions comme le Magdalena Médio, après la grande expulsion des paysans durant la période de la « Violence » de 1946 à 1958.

Les entreprises de palmiers, dont la principale était l’Industrial Agrária La Palma Indupalma, de la famille Gutt, ont imposé la surexploitation des travailleurs. Les syndicats sont parvenus à encourager certaines luttes pour leurs droits, mais la réponse fut la répression, l’illégalité des grèves et les conseils de guerre contre les instigateurs.

La défaite des travailleurs s’est exprimée dans les organisations et la plupart d’entre eux à abandonner les syndicats et a dû souscrire aux « coopératives de travail associé » établies pour cacher les relations de travail.

Les entreprises préfèrent cultiver sur les terres d’autrui, ou mieux encore, abîmer les terres d’autrui, ce qui permet également d’éviter les taxes foncières et d’établir de prétendues « alliances stratégiques » ou « associations productives » avec les paysans et indiens qui remettent leurs terres et qui, outre le fait qu’ils donnent leurs terres, mettent également à disposition leurs main d’œuvre sans contrat de travail, comme s’ils étaient de soi-disant « associés ».

Les entreprises ont réussi une chose exceptionnelle, en échappant au paiement de la terre et des taxes, en réduisant de manière substantielle les salaires et en éliminant le paiement des charges sociales. De plus, la société assume le coût environnemental de l’exploitation du palmier, tandis que les entreprises amassent les bénéfices.

Les entreprises transnationales du secteur de l’huile végétale, comme Unilever, sont les principales sur ce marché, en dynamisant la plantation de palmier à huile dans tout le monde tropical : elles ont commencé par la Malaisie et l’Indonésie et ensuite elles ont pu étendre les plantations jusqu’au Cameroun, jusqu’au Nigeria et d’autres pays d’Afrique, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, ce qui a entraîné une baisse des prix sur le marché international de l’huile et qui a avantagé ces mêmes transnationales.

Plus récemment, alors que le prix du palmier chutait, la hausse extraordinaire des prix du pétrole a donné un nouvel élan aux planteurs de palmier à huile. On espère multiplier les plantations pour produire du biodiesel. L’affaire est présentée comme l’une des plus extraordinaires de l’histoire et on affirme même qu’elle aura des répercutions écologiques formidables.

Toutefois, pour les nations et les régions productrices, les effets peuvent être plus négatifs. Tout d’abord, leurs forêts et leurs végétations endémiques sera détruite, ce qui réduira la biodiversité ; ensuite, les sols seront détériorés une fois le cycle de production de chaque plantation de palmier terminé et qu’il faudra éliminer les troncs par des moyens chimiques. Et si les plantations s’étendent tout comme on le dit, elles représenteront un risque pour la sécurité et la souveraineté alimentaire des populations locales, car les agriculteurs arrêteront de produire des aliments pour produire des « combustibles propres » pour les États-Unis et l’Europe.

La législation relative au palmier à huile établit que sa production est exempte d’impôts, tout comme la production de biodiesel. Le Plan Colombia et la Banque mondiale ont mis en place des programmes de soutien pour le palmier à huile. Des projets de loi actuellement en cours prévoient des subventions et des investissements de la part de l’état dans le secteur.

1 Selon Héctor Mondragón, le « capitalisme bureaucratique » est le capitalisme installé en Colombie depuis la moitié du XIXe siècle, caractérisé par le contrôle direct de l’état, qui grâce à ses moyens, favorise l’oligarchie et plus particulièrement dans les secteurs liés à la production de la canne à sucre.

Palavras-chave

agrocombustible, produção agrícola, condições de trabalho, cana de açucar, produção de energia


, Colômbia

dossiê

L’agroénergie : mythes et impacts en Amérique latine

Notas

Traduit en français par Elisabeth Teixeira (babethteixeira (at) yahoo.fr)

Les textes de ce dossier sont le résultat du séminaire sur l’expansion de l’industrie de la canne à sucre en Amérique Latine, qui a eu lieu à São Paulo, au Brésil, du 26 au 28 février 2007.

Ce dossier est aussi disponible en anglais, espagnol et portugais.

Fonte

Caña de Azúcar, Palma Aceitera Biocombustibles y relaciones de dominación, Héctor Hernán Mondragón Báez

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