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Le parent pauvre du développement

Le fleuve est presque totalement absent des débats actuels en Inde

Manoj Kumar MISRA

11 / 2008

Barrages, bassins de retenue d’eau, digues, inondations, irrigation ont un point commun : un fleuve. Mais notre conception du « développement » a ceci de spécifique que, alors que nous discourons sur les barrages, les bassins de retenue d’eau, les digues, les crues, l’irrigation, le fleuve est presque totalement absent des débats actuels. Le fleuve est un écosystème unique au monde qui pourtant a disparu de l’imagination populaire : c’est le seul circuit qui comprend de l’eau qui coule et de ce fait, il instaure une zone d’influence où des plantes et des animaux d’une diversité étonnante se développent.

Les fleuves ne sont pas seulement des entités écologiques uniques, ils sont aussi des ressources économiques clés. Le Nil, Le Tigre, L’Indus et Le Fleuve Jaune ont été le berceau de très anciennes civilisations et les fleuves apportaient aux habitants l’eau, la nourriture, le transport mais aussi l’environnement propice à toute personne en quête de spiritualité.

L’eau entravée

L’avènement de la révolution industrielle en Europe, il y a environ trois cents ans, a fait des fleuves de véritables dépotoirs pour les déchets industriels et les ordures des hommes. L’utilisation de l’énergie hydraulique pour la production d’électricité et de canaux d’irrigation pour l’agriculture est désormais au centre des aspirations de l’homme pour son développement.

La construction de barrages pour contenir les eaux des fleuves, l’érection de digues sur leurs rives sont devenues des prouesses techniques populaires. Le fleuve qui coule, une entité libre, naturelle, a perdu son identité et son importance suprême.

Très vite, les effets néfastes de la manipulation technique sur les fleuves sont devenus manifestes quand des membres de la société civile ont commencé à exprimer des réserves sur la pertinence de ces soit-disant activités de « développement ». En Inde, les barrages de Narmada et de Tehri sont devenus des symboles de la résistance de la population aux grands barrages. Mais ces actions de la société civile reposent sur une mauvaise évaluation stratégique : ils se sont polarisés sur les barrages et les dommages qu’ils pouvaient générer plutôt que de penser au fleuve.

Il est regrettable de ne pas avoir saisi cette occasion non seulement pour chercher à trouver des réponses raisonnables sur la manière de maîtriser le fleuve mais aussi pour que que soit repensée l’essence même de nos fleuves.

Kosi a offert, dans un contexte de tragédie humaine, hélas, l’occasion d’un débat passionné et a lancé l’action qui en découlait ; elle pourrait avoir comme conséquence de replacer le fleuve au centre des débats. Le pays doit d’abord comprendre ses fleuves, leur dynamique et a besoin de concevoir une approche qui appréhende les fleuves. N’est-ce pas ironique de constater que, alors que nous avons une Rashtriya Barh Ayog (Commission Nationale sur les inondations), une Commission Mondiale sur les Barrages et une réglementation nationale de l’eau, nous n’avons jamais fait l’effort d’élaborer une politique nationale pour les fleuves du pays.

Nos fleuves sont donc traités comme des parents pauvres. Ici, c’est le service de l’irrigation qui contrôle une partie de fleuve, là, c’est le service des forêts, ailleurs, c’est une structure de développement local comme à Delhi et ailleurs encore, c’est la municipalité qui assure le contrôle du fleuve.

Faute de réglementation, y compris sur l’utilisation de la terre, les plaines d’inondation des fleuves sont de plus en plus perçues comme des espaces offrant de réelles opportunités de développement immobilier ou alors, elles sont envahies par des personnes n’ayant nulle part où aller.

Le dépotoir

Sur les rives des fleuves, des égouts déversent en permanence eaux usées et ordures en provenance des habitations urbaines, transformant ainsi quasiment les fleuves en canal d’évacuation.

Le fait que des projets comme le plan de sauvetage du Gange, de la Yamuna, engagés pourtant depuis des dizaines d’années, aient échoué, que des changements importants, malgré les dizaines de millions de roupies engagées, n’aient pas pu être apportés pour préserver la santé du fleuve est une bien triste illustration de la politique suivie par le Gouvernement et de son manque de ligne directrice.

Y a-t-il un moyen d’avancer ? Oui. Il faudrait mettre en place une commission nationale sur les fleuves présidée par un juge à la retraite ou en exercice à la Cour Suprême, dont les membres seraient des experts dans un certain nombre de domaines, y compris dans le domaine social. La commission devrait avoir pour mandat d’amener tous les membres à se mettre d’accord sur des mesures d’ensemble concernant les fleuves du pays.

Jusqu’à ce que la commission mène à bien cette tâche, que ces recommandations soient débattues publiquement et qu’un consensus émerge, aucune initiative en matière de développement ne devrait être autorisée dans le pays, ni sur les fleuves, ni sur leurs plaines d’inondation.

Ceci pourrait signifier un moratoire sur les barrages, les môles, les digues, l’urbanisme fluvial des communes. Mais cela ramènera le fleuve dans le discours populaire.

Palavras-chave

represa, poluição da água


, Índia

Notas

Manoj Kumar Misra préside Yamuna Jiye Abhiyaan, consortium de la société civile pour la renaissance du fleuve Yamuna.

Traduction en français : Michèle JAMMET (CRISLA)

Cette fiche est également disponible en anglais : The orphan of development

Fonte

CSE, Down To Earth, 1-15 novembre 2008

Down To Earth est une revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.

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