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De l’occidentalisation à la mondialisation

Chen LICHUAN

12 / 2008

La mondialisation est souvent perçue comme une occidentalisation du monde. Et si l’avènement de la Chine sur la scène internationale changeait la donne et se traduisait aussi par le renouveau de valeurs collectives ? Réflexion sur la modernisation de l’Empire du Milieu.

L’histoire de la modernité chinoise (1) remonte au milieu du XIXème siècle. Elle a connu trois grandes périodes dont la troisième, qu’il est convenu d’appeler celle de l’ère socialiste, débute avec l’instauration de la République Populaire de Chine en 1949. Malgré de nombreuses tribulations dues aux pratiques du socialisme maoïste, certains tentent de justifier celui-ci en soulignant sa modernité. « Le socialisme de Mao Zedong, estime Wang Hui, se présente d’une part comme une idéologie de la modernisation, d’autre part comme une critique de la modernisation capitaliste de l’Europe et des Etats-Unis… La pensée socialiste de Mao Zedong est en quelque sorte une théorie de la modernité contre la modernisation à la façon capitaliste. » (2) Cette interprétation tient au fait que le communisme et le capitalisme, comme deux concurrents sur la voie de la modernisation, sont tous deux issus de l’idéologie du progrès et entretiennent la promesse d’un monde meilleur. Dès 1955, la Chine semble s’engager dans une course à la modernisation contre l’Occident. Mao lance le slogan « dépasser l’Angleterre et rattraper les Etats-Unis », ce qui revient à reconnaître en quelque sorte que la civilisation occidentale est parvenue à un stade de développement avancé. Mais ce mouvement de masse, baptisé « Grand bond en avant », plonge la Chine dans le gouffre d’une récession économique suivie d’une famine d’ampleur sans précédent.

La réforme de l’agriculture, qui commence en décembre 1978 dans une situation problématique à bien des égards, sonne comme un désaveu du socialisme maoïste sur le plan économique. Les structures des communes populaires sont progressivement démantelées, les paysans ont à nouveau le droit de disposer eux-mêmes de la terre qu’ils possèdent en exploitation et de vendre librement ce qu’ils produisent. Cette ouverture à l’initiative privée libérant les énergies de la masse paysanne finit par créer une vaste gamme d’industries locales. Bientôt, la politique de réforme et d’ouverture mise en œuvre par Deng Xiaoping met le cap sur l’économie de marché dans d’autres secteurs : création des zones économiques spéciales sur le littoral, réservées en partie à l’implantation de firmes étrangères ; libéralisation du secteur des services ; privatisation des entreprises d’Etat au bord de la faillite ; exploitation de la main d’œuvre à bas prix sans protection sociale. C’est ce multiple virage à droite qui accélère l’envol économique de la Chine avec des effets pervers tels que la corruption généralisée, les appropriations personnelles d’une partie du patrimoine public, l’expropriation des terres cultivables au profit des promoteurs immobiliers, le flot migratoire de la population rurale vers les métropoles, les inégalités géographiques et l’approfondissement de la fracture sociale… Toujours est-il que le PIB chinois est multiplié par dix entre 1978 et 2004.

Immobilisme et évolution

De nos jours, on a le sentiment que la modernité occidentale touche à sa fin au moment même où l’idéologie du progrès qui la fonde s’étend au reste du monde et est en passe de prendre une dimension universelle, à l’aune de la mondialisation économique et culturelle. C’est dans ce contexte pour le moins paradoxal que plusieurs voix s’élèvent en Chine pour dénoncer une idéologie du progrès qui autorise à porter des jugements de valeur sur les cultures du monde. « En matière de cultures, affirme Heqing (3), il n’est pas question de progrès ni de retard. Entre la culture chinoise et la culture occidentale il n’y a point d’écart, seulement des différences. » Ainsi préconise-t-il un nationalisme culturel visant à réhabiliter et re-légitimer la culture chinoise traditionnelle. « La Chine, suggère-t-il, doit préserver la culture chinoise comme substance et n’apprendre de l’Occident que la science et la technologie avancées, voire s’inspirer des modes de gestion de la société. » Cette vision des choses, qui n’est pas nouvelle, s’inscrit dans la logique des résistances identitaires que suscite la mondialisation non seulement du système économique de l’Occident, mais aussi de ses valeurs prétendues universelles. En pratique, cette objection pourrait conduire, dans un pays comme la Chine, à une stratégie de développement combinée qui se caractérise par un conservatisme culturel, un libéralisme économique et un autoritarisme étatique. Zhou Ning (4) décrit le dilemme chinois en ces termes : « Ce à quoi la Chine aspire, c’est à la modernisation, et non pas à l’occidentalisation ; or la modernisation est en soi une sorte d’occidentalisation. Par conséquent, le mouvement de modernisation chinois s’enfonce dès le départ dans une contradiction intrinsèque inextricable. Avec la modernisation, le choix que la culture chinoise doit opérer n’est pas entre l’évolution et la mort, mais entre mourir dans l’immobilisme ou dans l’évolution. La Chine modernisée peut progresser ou évoluer, mais ce ne sera plus la Chine, elle deviendra une autre culture, et les Chinois une autre race. » Le fait qui échappe probablement à Zhou Ning est que, dans la modernisation, il y a certainement une part d’occidentalisation, mais que la modernisation dans son ensemble ne saurait s’identifier à l’occidentalisation en ce qu’elle implique aussi un processus de rationalisation ou d’adaptation de ce qui existe déjà dans la culture traditionnelle. Cette démarche est loin d’être négligeable. L’expérience du Japon montre qu’une modernisation réussie est un processus dans lequel la tradition et la modernité se nourrissent mutuellement. Celle de la Chine dans les trois premiers quarts du XXème siècle met en évidence un double échec de la modernisation à sens unique : soit que l’inertie de la tradition détruise la modernité (c’est le cas de la restauration du régime impérial quatre ans après la proclamation de la République de Chine en 1911), soit que la modernité détruise la culture traditionnelle (c’est le cas des pratiques socialistes du temps de Mao). Avec le néo-confucianisme, nous assistons en Chine à un processus de dialogue et d’interaction entre tradition et modernité. « Plus progresse la modernisation de la Chine, souligne Luo Rongqu (5), plus elle est amenée à reconsidérer la tradition qui s’est forgée au cours de l’histoire. » Nous ne devons pas oublier le fait que le changement d’une culture n’est pas toujours le produit d’emprunts à une autre culture, mais parfois le résultat des oppositions et résistances internes, ou tout au moins des réticences à cette culture, de la rectification des erreurs commises ou de l’ajustement de trajectoires. Du temps de Mao, la politique chinoise était axée sur la lutte des classes, aussi bien par refus de la démocratie occidentale que par passion révolutionnaire, ce qui a provoqué une succession de mouvements politiques lourds de graves conséquences humaines. Du temps de Deng Xiaoping et de Jiang Zemin, la politique chinoise a été recentrée sur l’économisme et le consumérisme. De 1979 à 2007, le taux de croissance annuel moyen de la Chine s’élève à 9,8% (6), mais ce « grand boom en avant », comme on le dit moitié par admiration moitié par ironie, s’est aussi accompagné de l’accroissement rapide des disparités entre les riches et les pauvres. Plus que jamais il est temps pour la Chine de s’inspirer de la pensée du juste milieu de Confucius, d’où la nouvelle politique prenant pour mot d’ordre : « la construction d’une société harmonieuse ». Mais faut-il préciser que ce projet de société qui peut paraître flou et indéfinissable doit impliquer nécessairement une plus grande adhésion à l’idéal de l’Etat de droit ?

Creuset de la modernisation

« Nous sommes condamnés à la modernisation. » Ce mot d’Octavio Paz (7), laconique et lancinant à la fois, exprime bien le sentiment des vieilles nations, comme la Chine, à la croisée des chemins de leur destin. Si la modernisation était au départ un choix involontaire que le monde occidental lui a imposé, la Chine aujourd’hui l’a fait sien, convaincue qu’elle est d’y retrouver le rayonnement de son passé glorieux pour illuminer le monde de demain. Mais elle devra d’abord s’éclairer elle-même par un aller-retour incessant entre tradition et modernité, en quête d’une « altermodernité », quitte à revivifier en elle certaines valeurs qui n’ont pas attendu la modernité, telles que l’altruisme, la solidarité, la sympathie, la compassion, l’empathie, la loyauté, l’harmonie avec la nature et l’esprit des responsabilités envers autrui, autant de valeurs qui font peut-être défaut à « l’homme moderne » en tant que simple sujet économique dans la poursuite de son intérêt égoïste. Bien sûr, la Chine n’a pas le monopole de ces valeurs. Néanmoins du fait que certaines dérives de la modernité relèvent du culte du moi et de l’individualisation, le confucianisme, qui est une pensée de relation à autrui par excellence, devrait pouvoir contribuer à une reprise de conscience des responsabilités envers autrui dans la recherche de l’intérêt commun. Il s’agit pour la Chine de faire de sa civilisation, plusieurs fois millénaire, une source d’inspiration pour cette « altermodernité » qui doit s’inventer dans le creuset de la modernisation et de la mondialisation, et de relier enfin sa survie et son devenir au destin commun de l’humanité, dans le respect de la diversité culturelle de la planète et sur la base de la démocratie et de la paix.

1 L’auteur tient à remercier le professeur Léon Vandermeersch d’avoir bien voulu lire son article et le faire bénéficier de ses précieux conseils. L’intégralité de l’article dans lequel l’auteur développe notamment l’histoire de la modernité sur les deux premières périodes est consultable sur le site www.altermondes.org
2 Historien des idées, Wang Hui est le rédacteur en chef du magazine mensuel chinois, Dushu.
3 Heqing est professeur en histoire de l’art à l’Université de Zhejiang.
4 Zhou Ning est professeur en littérature chinoise à l’Université de Xiamen.
5 Luo Rongqu (1927-1996), historien chinois, professeur à l’Université de Pékin, spécialiste de l’histoire de modernisation chinoise.
6 Le PIB chinois a totalisé 3280 milliards de dollars en 2007, plaçant la Chine au 4ème rang mondial.
7 Octavio Paz (1914-1998), poète et écrivain mexicain, prix Nobel de littérature 1990.

Trois cultures en ordre inverse

Penseur et philosophe néo-confucianiste, Liang Shuming (1893-1988) (1) a analysé les trois sortes d’attitudes face à la vie, qui, à ses yeux, caractérisent les cultures occidentale, chinoise et indienne. La culture occidentale exprime avant tout la volonté d’aller de l’avant, d’où la conquête et la maîtrise de la nature, la recherche scientifique servant à transformer l’état des choses et la démocratie qui vient d’une lutte contre le pouvoir absolu ; la culture chinoise est animée par l’esprit d’ajustement, de limitation ou de modération des désirs, ainsi que la satisfaction ou le contentement de ce qu’offre l’existence ; la culture indienne manifeste le renoncement aux désirs par une mise en cause de l’existence ou par une sortie du monde. La vision de Liang Shuming est elle aussi imprégnée de l’idée du progrès, mais d’un progrès dont les étapes suivent un ordre inverse de l’ordre habituel qui fait de la culture occidentale la culture la plus avancée. Celle-ci, pour lui, ne constitue que la première phase de l’évolution de l’humanité, tandis que la culture chinoise et la culture indienne en représentent respectivement la deuxième et la troisième phases et sont donc, dans leur état présent, quelque peu prématurées, en discordance avec leur temps, fourvoyées pour s’être trompées d’étape. L’évolution de toute culture, selon Liang Shuming, est de passer de l’époque de l’homme face au monde matériel à l’époque de l’homme face à autrui, et de celle-ci à l’époque de l’homme face à lui-même.

1 Les cultures d’Orient et d’Occident et leurs philosophies, Liang Shuming, PUF, Collection de l’Institut Marcel Granet, 2000

Palavras-chave

identidade cultural, modelo cultural, tradição e modernidade, sistema de valores, diversidade cultural


, China

dossiê

L’impossible dialogue des cultures ?

Notas

Chen Lichuan est chroniqueur de la revue Dialogue Transculturel et Directeur de l’Association Culturemedia.

Fonte

Altermondes n°16 - décembre 2008 > février 2009, www.altermondes.org

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