ou comment des coopératives ouvrières sont devenues une petite multinationale
07 / 2008
Mondragón Corporacion Cooperativa (MCC ou par la suite appelée Mondragón pour simplifier le texte) est une petite multinationale dont le noyau est constitué de coopératives ouvrières, principalement situées à Mondragón, dans le pays basque espagnol. Ces coopératives sont propriété des travailleurs, les socios (travailleurs sociétaires). MCC fabrique essentiellement des machines-outils, des appareils électroménagers, des équipements automobiles… Elle détient également la chaîne de supermarchés Eroski et comptait en 2006, 81 880 employés (mais plus de la moitié ne sont pas des socios). MCC détient aussi des participations financières dans des entreprises capitalistes (certaines sous forme de joint venture) ou possède des filiales en Pologne, en France ou au Maroc. MCC a ouvert sa propre banque, La Caja Laboral, qui est devenue une des premières banques espagnoles. Elle possède aussi un centre de recherche technologique, alliant ainsi recherches scientifiques, formation avec l’université privée Mondragón, et production.
L’expérience développée par MCC depuis plus de 50 ans est remarquable à plusieurs titres. Elle combine démocratie d’entreprise, solidarité, compétitivité et efficacité économique (MCC est le 7ème groupe industriel espagnol).
Eléments historiques de MCC
En 1941, José María Arizmendiarrieta, un jeune curé « rouge » arrive à Mondragón. Très inspiré par les idées pragmatistes et humanistes du courant personnaliste inspiré par Emmanuel Mounier, il crée l’Ecole professionnelle, aujourd’hui Mondragón Eskola Politeknikoa, démocratiquement administrée et ouverte à tous les jeunes de la région. Cette dernière jouera un rôle décisif dans la naissance et le développement de l’expérience coopérative.
En 1956, cinq jeunes, issus de cette école, établissent à Mondragón, avec 24 coopérateurs, la première unité de production de l’actuelle corporation : ULGOR (aujourd’hui Fagor Electrodomésticos), consacrée au départ à la fabrication de fourneaux et de réchauds au pétrole. Appliquant les principes que leur école leur avait inculqués, ils accordent la primauté du travail sur tous les autres facteurs de production, l’autofinancement et l’association des travailleurs à l’entreprise. D’autres coopératives naissent sur le même modèle que Fagor et dans les années 1980, pour faire face aux défis de la mondialisation et de la construction de l’Union européenne (CEE à l’époque). Les coopératives sont structurées par secteurs, conformément à leurs domaines de production.
Puis, dans les années 1990 la Mondragón Unibertsitatea, qui comprend trois facultés et plusieurs centres de recherches théoriques et pratiques, est créée. La formation continue d’être un pilier important du groupe. En 1991, le groupe se dote d’un fonds d’investissement qui permet de placer des capitaux dans ses coopératives ou des entreprises capitalistes.
Fonctionnement
La direction de chaque entreprise est élue par l’assemblée des travailleurs (sur le principe une personne, une voix) car chaque travailleur sociétaire possède une part du capital de sa coopérative et en est donc propriétaire. Cette assemblée définit aussi les orientations et élit le Conseil social qui joue le rôle d’un syndicat (interdit dans les coopératives, sauf pour les travailleurs non sociétaires). Chaque travailleur reçoit son salaire à titre d’« avance » sur une partie des bénéfices auxquels il a droit chaque année. L’autre partie des bénéfices doit obligatoirement être réinvestie dans la coopérative. De cette manière, le travailleur sociétaire et l’entreprise ne dépendent pas de la puissance des actionnaires, comme c’est le cas dans les autres entreprises capitalistes, et il est directement responsable de sa coopérative. En somme, le capital est un instrument au service de l’entreprise et de ses travailleurs et non l’inverse. Les dirigeants des coopératives ont des comptes à rendre uniquement aux travailleurs sociétaires, mais cela n’empêche pas les rapports de pouvoir, ni n’implique que les classes sociales soient supprimées.
Ainsi chaque sociétaire travaille pour lui et ses collègues, ce qui est hautement motivant. L’éventail salarial varie officiellement entre 1 et 6 (mais cela peut être légèrement plus important suivant les coopératives). Mais les salaires des cadres restent 30 % inférieurs à ceux du privé (coopérative oblige), tandis que ceux des ouvriers sont 15 % supérieurs à la moyenne. Il faut cependant noter que tous les travailleurs dans les coopératives ne sont pas des sociétaires et que certains d’entre eux, qui sont plus souvent des femmes, sont engagés avec un contrat à durée déterminée (los eventuales) ou sur une base intérimaire. Ces salariés sont donc des « non-citoyens » de l’entreprise (mais depuis 2003, MCC étudie la possibilité de faire participer les non-sociétaires à la propriété et gestion de l’entreprise). On remarque aujourd’hui que l’accès à des emplois stables est plus fréquent pour les jeunes, après leurs 35 ans.
Lorsqu’une coopérative rencontre des difficultés financières, les sociétaires renoncent à une partie de leurs bénéfices, voire diminuent leurs salaires ou effectuent des heures supplémentaires non payées. Dans une entreprise capitaliste, les actionnaires optent pour le licenciement des travailleurs… Le fonds inter-entreprises du groupe MCC permet également de soutenir les coopératives en difficulté. Si des postes de travail doivent être supprimés, les salariés sont replacés dans une autre coopérative du groupe. Un fonds commun pour la formation et un autre pour la prévoyance sociale existent aussi. Mondragón consacre aussi beaucoup de ressources à la recherche-développement. Les coopératives du groupe MCC ne sont pas côtées en bourse, mais certaines d’entre elles doivent faire appel à des investisseurs extérieurs. Cependant, ces derniers n’ont aucun pouvoir sur la gestion de la coopérative.
La direction du groupe est élue par un congrès annuel de représentants de toutes les coopératives.
Facteurs du succès et nouveaux questionnements
Le succès et la longévité de Mondragón sont dus à un certains nombres de facteurs. Le premier d’entre eux est certainement la spécificité culturelle et géographique du pays basque avec ses valeurs traditionnelles de solidarité, d’autonomie, de résistance et de travail. A cela se rajoutent l’éthique humaniste, le catholicisme social (plutôt de gauche) et les valeurs du courant personnaliste. Son intégration dans la communauté constitue également un facteur de poids. MCC a aussi développé un projet de développement collectif du territoire, renforçant le tissu social local. Reconnu comme un partenaire social à part entière, Mondragón participe ainsi au développement local et finance des oeuvres sociales, renforçant la démocratie locale et dynamisant aussi le tissu économique local. Le taux de chômage n’est que de 3 % dans la région de Mondragón (contre 7 % dans le pays basque et 11 % en Espagne).
Cependant, si l’expérience de Mondragón reste exemplaire, comme le souligne Joël Martine, il n’en demeure pas moins que cette multinationale tendrait à se comporter comme les autres multinationales à l’étranger, utilisant des sous-traitants et jouant aussi sur la division internationale du travail.
Et Joël Martine de poser les problématiques suivantes. Pourquoi ne pas transformer ses filiales à l’étranger en coopératives pour que ses travailleurs bénéficient des mêmes avantages et aient la chance de pouvoir vivre autrement leur relation au travail ? Cela reste plus facile à dire qu’à faire, car il faudrait qu’un statut de coopérative existe dans la législation nationale des pays où sont implantées les filiales (ou pour le moins un statut européen) et surtout qu’une culture coopérativiste et de la solidarité internationale soit aussi développée chez les salariés des filiales… ce qui reste problématique, surtout dans les pays de l’Est où nombre de personnes ont des préjugés sur les coopératives. Une solution possible serait de transformer les filiales en semi-coopérative, permettant de responsabiliser petit à petit les salariés et le groupe MCC vis-à-vis de ses filiales. Mais peut-on exporter le modèle pragmatique et solidaire de Mondragón, basé sur des valeurs propres à Mondragón ? De plus, la volonté de traduire cette expérience dans une pensée globale et multiculturelle existe-elle chez les dirigeants et les sociétaires de MCC ? L’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes pourrait certainement contribuer à l’essor des coopératives.
Entre temps, il reste à divulguer et promouvoir le mode de fonctionnement des coopératives ouvrières qui prouvent qu’il est possible de produire autrement et durablement, en associant tous les travailleurs et en donnant un autre sens au travail.
economia solidária, cooperativa, desenvolvimento alternativo
, Espanha
Produire de la richesse autrement
Cette fiche est un résumé de l’article de Joël Martine « Mondragón, des coopératives ouvrières dans la mondialisation : adaptation ou contre-offensive ? », publié dans l’ouvrage collectif Produire de la richesse autrement : usines récupérées, coopératives, micro-finance,… les révolutions silencieuses, PubliCetim n°31, octobre 2008, éditions du CETIM, Genève. ISBN 2-88053-059-5, 6 € - 10 CHF.
Joël Martine est enseignant, militant altermondialiste à Marseille. Voir : millebabords.org
Certains éléments historiques ont été tirés du site internet de Mondragón Corporacion Cooperativa (MCC).
Contact : Mondragón Corporacion Cooperativa (MCC), Pº José María Arizmendiarrieta, nº 5 20500 Mondragón. Guipúzcoa, Espagne. Tél. : +34 943 779 300, fax : +34 943 796 632, www.mcc.es, wm (at) mcc.coop
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