Le billet Bia richement coloré a suscité une vive curiosité au Forum Social Asiatique de 2003. Les billets de la monnaie communautaire y ont été présentés par de jeunes activistes thaï lors d’une session sur la responsabilisation locale. Pornpita Khangpukiaw a ainsi expliqué que « le Bia faisait partie d’un mouvement vers l’autonomie. C’est une réponse à la perte d’intimité et de liens à l’intérieur de la communauté, lié à la course à l’argent ».
Comment ça marche ?
La belle finition artistique du billet Bia Kud Chum pourrait rivaliser avec le billet le plus sophistiqué au monde. Mais, contrairement aux monnaies classiques, ces billets ne portent pas des portraits de héros nationaux ou de pères fondateurs. Les Bia sont vivants, avec des peintures colorées de paysans au travail dans les rizières, des scènes de danse communautaire ou des enfants à l’école ou en train de jouer. Là où se trouve d’habitude le message « promesse de payer » du Gouverneur de la Banque centrale, il est écrit : « Le Bia est destiné à l’échange de biens exclusivement à l’intérieur de la communauté (…) afin que cette monnaie n’en sorte pas. »
Le Bia Kud Chum a été mis en circulation dans le district de Pomprab en Thaïlande en 2000. Il équivaut au baht thaï mais ne peut pas être échangé contre la monnaie officielle. Il existe des coupures de 1, 5, 10 et 20 Bia. Le terme « bia » signifie semis et fait référence à cette expérience qui se voudrait telle ces petites graines qui croissent pour faire de grands arbres. L’objectif est d’alimenter et de faire croître l’économie locale en encourageant l’achat de produits locaux.
Chaque Bia est signé par un représentant de la Banque Bia et par un moine bouddhiste qui est hautement respecté par la communauté. Les billets Bia sont émis par la Banque Bia à Santisuk. Tout membre de la communauté qui s’est enregistré peut « emprunter » jusqu’à 500 Bia, sans intérêt. L’adhésion est réservée aux personnes vivant dans les cinq villages avoisinants. Ces membres peuvent alors échanger le Bia contre un large éventail de biens dans leur localité. Les villageois non enregistrés sont intégrés au cercle en acceptant les Bia comme des coupures valables.
Le Bia est né du projet de Système de Monnaie Communautaire Thaï né en 1997 de l’effort collectif de plusieurs organisations non gouvernementales thaï. L’émergence du Bia participe d’un courant plus large d’initiatives fondées sur les communautés visant à assurer l’autonomie locale. Par exemple, il existe des associations de praticiens traditionnels par les herbes, des groupes d’auto-suffisance, des communautés possédant leur propre moulin pour produire du riz organique, des magasins coopératifs, des groupes de femme produisant du lait de soja, du shampoing aux herbes ou du liquide vaisselle…
Les responsables élus du comité de travail Bia ont trois fonctions principales. Ils maintiennent les comptes et enregistrent toutes les transactions Bia. Ils encouragent l’extension des activités pour soutenir l’efficacité et l’utilisation équilibrée du Bia entre les membres. Ils contrôlent et évaluent en permanence l’utilisation du Bia.
La monnaie Bia, l’autonomie villageoise et le rapport à la loi
L’apparition du Bia sur le marché ayant attiré beaucoup d’attention de la part des mass media, des officiels, à tous les niveaux du gouvernement, sont venus pour enquêter : des représentants du district et de la province, la police, l’armée, la sécurité intérieure, des membres du cabinet du Premier Ministre et de la Banque centrale de Thaïlande. Certains considèrent que l’utilisation du Bia pourrait violer la loi ou constituer une menace à la sécurité nationale. Certains ont même suggéré que ce pourrait être une stratégie pour créer un Etat indépendant. Sous l’autorité de la Banque de Thaïlande, l’usage du Bia a été suspendu à la fin du mois d’avril 2000, un mois seulement après sa mise en circulation. A ce moment il y avait 120 membres Bia dont 33 avaient retiré un total de 7.000 Bia.
La Banque de Thaïlande a décrété que l’utilisation du Bia Kud Chum violait la loi sur la monnaie de ce pays qui interdit à quiconque de fabriquer, distribuer, utiliser ou émettre tout matériel qui remplacerait la monnaie, sauf autorisation du Ministère des Finances. Le comité de travail de Bia Kud Chum a répliqué en changeant le nom du système de Banque Bia en « Groupe de Développement et d’Autonomie Communautaire ».
« Dans leur effort pour devenir autonomes, les villageois des cinq communautés ont été accusées de violer la loi, une accusation loin d’être justifiée. Bien que le Gouvernement ait annoncé son intention d’encourager le développement d’économies communautaires fortes et autonomes, le cas de Bia Kud Chum montre qu’il l’empêche en réalité d’advenir (comment se fait-il que quand le grand capital émet ses coupons il semble ne pas y avoir de problème légal, alors que quand c’est le cas de villageois, il y en a ?). Il est peut-être temps pour les officiels du Gouvernement de se joindre aux villageois afin d’explorer les moyens de légitimer le Bia pour qu’une économie communautaire autonome et des communautés fortes puissent devenir une réalité. »
Il semble qu’il y ait un lien entre l’émergence du Bia et le Sawat Upahat, un réseau local de brasseries qui revendique 100.000 membres et a défendu une forme de sécurisation des moyens de subsistance à travers des luttes sur le terrain et des interventions au niveau politique. La Thaïlande a une vieille tradition de whisky fabriqué à partir de riz et d’un mélange de plantes. C’est une composante essentielle de nombreuses cérémonies traditionnelles. En 1958, le gouvernement thaï avait le contrôle de toutes les brasseries et interdisait la production locale. Ceci a mis la production entre les mains des compagnies commerciales dont les prix étaient trop élevés pour de nombreuses personnes. Le mouvement Sawat Upahat encourage la population à défier l’interdiction sur l’alcool local et à faire renaitre la tradition.
Du point de vue d’un économiste classique, le Bia est inutile puisqu’il ne permet pas d’acheter dans l’économie nationale de la Thaïlande, pas même un ticket de bus pour sortir du village. Mais, Pranomporn Tetthai, du groupe de travail Bia Kud Chum, répond : « C’est exactement ça ! Nous essayons de réduire le nombre de biens que les villageois achètent à l’extérieur de la communauté et d’encourager le soutien aux biens et services produits par la communauté. […] Notre revenu tiré de l’agriculture (de la vente de riz jasmin) sera toujours en baht. Donc nous aurons toujours des baht pour les dépenses indispensables telles que les soins à l’hôpital. Mais pour les biens et services locaux, nous pouvons réduire les dépenses en échangeant en Bia. »
Les monnaies communautaires à travers le monde
L’émergence du Bia en Thaïlande est le signe de la présence nouvelle de monnaies communautaires en Asie, y compris Hong Kong, l’Indonésie, le Japon, la Corée, la Papouasie Nouvelle Guinée. Le Japon vit une explosion de formes diverses de monnaies complémentaires dont les SEL (Systèmes d’Echange Locaux) et les HOURS. Bernard Lietaer, auteur du Futur de la Monnaie, note avec fascination que dans le domaine des soins de santé de nombreux Japonais préfèrent les services basés sur les HOURS que celui organisé sur la base du Yen. Il apparaît que les services sous le système des HOURS offre une meilleure qualité de soins que le professionnel pris dans la transaction de marché.
A l’autre bout du monde, au Mexique, il existe un système de crédit mutuel dénommé Tlaloc d’après le dieu aztèque de la pluie. Cette monnaie prend la forme de chèques qui doivent être encaissés par l’utilisateur qui signe au revers. Les crédits échangés sont enregistrés par un coordinateur dans un ordinateur. Les membres de Tlaloc et de Bia restent en lien entre eux et apprennent du succès et des échecs des uns et des autres.
Le site Internet du réseau Appropriate Economics comporte des rapports sur les formes modernes et traditionnelles de monnaie locale à travers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Il existe également sur Internet un Journal International de Recherche sur les Monnaies Communautaires (International Journal of Community Currency Research, IJCCR) qui sert de lieu de débat entre activistes et chercheurs.
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, Tailândia, Ásia
Une Economie du bien-être: regards sur les alternatives économiques
Traduit de l’anglais par Valérie FERNANDO
Cette fiche est également disponible en anglais: Bia Kud Chum, a Thai Experience in Community Currency
Pour plus d’informations sur les monnaies communautaires, voir Appropriate Economics et International Journal of Community Currency Research
A lire:
Bernard LIETAER, « L’Avenir de la monnaie », extraits traduits en français de The Future of Money: Beyond Greed and Scarcity, London, Random House, 2001
Livro
Rajni BAKSHI, An Economics For Well-Being, Centre for Education and Documentation, Mumbai & Bangalore, 2007
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