Le retour des bidonvilles en périphérie des villes d’Île-de-France ?
09 / 2006
Des baraques faites de planches, de contreplaqués et de tôles récupérées sont alignées le long des boulevards des maréchaux, à quelques minutes à pied du parc de La Villette, dans le 19ème arrondissement de Paris. Entre les cahutes, des gamins jouent, des hommes discutent en tapant le carton, des femmes préparent le souper sur des grilles d’arbre transformées en plaques de cuisson de fortune au-dessus de flammes balbutiantes. De la musique tzigane, sortie d’un poste alimenté par une batterie de voiture, égaie le terrain vague métamorphosé en village. A l’intérieur des maisons de bric et de broc, un lit double, quelques chaises, parfois un fauteuil ou un meuble, un poêle pour l’hiver. Sur les parois de bois, constituant une improbable décoration, les souvenirs familiaux se mêlent aux affiches publicitaires. Et toujours les incontournables batteries de voitures, unique ressource en électricité. Les douze familles qui se sont installées à l’autre extrémité du terrain vague ont résolu le problème à leur manière. Elles se sont raccordées à l’alimentation électrique du périphérique. L’intérieur des maisons s’illumine le soir venu, en même temps que la chaussée. Une fontaine municipale, située dans un square à proximité, fournit l’approvisionnement en eau. Un peu plus d’une centaine de personnes survit dans ce quartier officieux, dont les plans de Paris tairont à jamais le nom. Certaines y sont installées depuis plus de trois ans. Protégé par un mur ou dissimulé sous des arbres, le petit bidonville est quasiment invisible de la rue. Invisible aussi des médias, qui ont durant l’été 2006 concentré leur attention sur les tentes des sans domiciles fixes.
Ainsi vivait le dernier bidonville installé à l’intérieur de Paris. Il a été évacué à la fin du mois d’août 2006. Ses habitants ont été provisoirement « relogés » via le Samu social dans des hôtels à bas prix de la périphérie. D’autres sont rentrés temporairement au pays, ou sont allés grossir l’un des bidonvilles – plus d’une vingtaine - qui poussent à nouveau en Île-de-France, sous un viaduc autoroutier, dans une friche industrielle ou sur un terrain vague. Environ 3 000 personnes, principalement des Roms venus d’Europe de l’Est – Roumanie et Bulgarie - y survivent. « C’est une population transparente. Eux-mêmes sont habitués à ne pas trop se montrer. Les Roms pâtissent de leur image : des voleurs, des profiteurs qui font travailler leurs enfants, des gens à qui on ne peut pas faire confiance », explique Juan Rodriguez, responsable de l’association Coup de main, basée à Pantin. Aidé de bénévoles, Français et Roumains, il apporte une aide matérielle aux communautés des bidonvilles et assure une médiation sociale avec les pouvoirs publics. Ces bidonvilles ne sont pas exempts de problèmes : mainmise d’un chef local sur « ses » ouailles, racket pour obtenir un emplacement, enfants réduits à la mendicité par certains parents, réseau familial de vol organisé ou de trafic de métaux, jusqu’à des cas de prostitution d’adolescentes.
Localement, certaines municipalités tentent de faire des efforts pour mettre en oeuvre de vrais programmes d’accompagnement social. La ville d’Aubervilliers a ainsi installé, fin 2007, une trentaine de familles dans des préfabriqués. Celles-ci ont été sélectionnées en fonction de leur volonté de « s’intégrer » en France : en échange d’un engagement à scolariser les enfants et à chercher un emploi, les familles obtiennent un logement, un accès à la couverture maladie universelle et un titre de séjour délivré par la préfecture. « J’espère qu’un jour, je pourrai envoyer mes enfants à l’école. Ici, un enfant dispose de tous les moyens : des livres, des ordinateurs. Savoir que ce sera mieux ici pour eux me donne la force de tenir », témoigne un couple de jeunes Roumains, partie prenante du projet.
Hormis de rares initiatives de ce type, la question des bidonvilles est encore largement niée, ou traitée par la répression : évacuation, démolition, voire expulsion du territoire de certains migrants, y compris citoyens de l’Union européenne. Aucune coordination pour lutter contre cette forme de misère n’existe au niveau régional, et encore moins au niveau de l’Etat qui traite la question sous l’angle de la lutte contre l’immigration ou l’insécurité. « C’est une patate chaude que les pouvoirs publics se renvoient. En attendant, ils vivent dans des conditions indignes, constate Véronique Stella, de la Fondation Abbé Pierre. Il faut arrêter de les nier. Comme ils n’existent aux yeux de personne, ils se rendent encore plus invisibles. Souvent, il ne reste plus que le mouvement caritatif pour prendre soin d’eux. »
Le plus récent exemple en date de cette politique de la négation est la destruction début septembre 2008 à coups de pelleteuses du bidonville de Saint-Ouen qui abritait un demi millier de personnes, parties ailleurs… La Fondation Abbé Pierre estime à 41 000 le nombre de personnes vivant en France dans un « habitat de fortune », en très petits groupes ou en véritables villages.
favela, moradia precária
, Franca, Ile-de-France
Europe : pas sans toit ! Le logement en question
Ivan Du Roy est journaliste pour l’hebdomadaire Témoignage chrétien et pour le site Bastamag (www.bastamag.org).
Cet article a été publié par Bastamag en septembre 2006. Il a été réactualisé pour cette édition.
Texte d’origine : www.bastamag.org/journal/article…