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L’économie politique de la défécation

Le fleuve Yamuna très pollué après sa traversée de Delhi, en cause une mauvaise gestion de ses eaux usées et de ses stations d’épuration

04 / 2005

Sous ce titre emprunté à Anil Agarwal, le fondateur du CSE, c’est l’histoire des relations de Delhi avec son fleuve : l’une des plus riches cités de l’Inde traversée par l’une de ses rivières les plus sacrées. Pour tenter de purifier ses eaux, on a dépensé des centaines de millions de roupies au kilomètre, en vain. Malgré les dévotions ancestrales, Delhi continue de remplir de ses déjections le fleuve sacré.

En avril 1993, le gouvernement central lançait son Plan d’action pour la Yamuna (YAP), financé en grande partie par une aide bilatérale japonaise. Sur le papier, c’était très bien 

  • Construction de stations d’épuration pour les effluents domestiques,

  • Construction d’installations regroupées pour les effluents industriels,

  • Réparation du réseau d’égouts urbain (canaux collecteurs, pompes, conduites…),

  • Installation de systèmes d’égouts et de cabinets publics bon marché dans les bidonvilles, avec raccordement aux stations d’épuration,

  • Construction de crématoriums fonctionnant à l’électricité.

Dans la réalité c’est nettement moins bien. Tout d’abord l’argent n’a pas été judicieusement réparti. La plus grosse part a bénéficié à l’Haryana et à l’Uttar Pradesh alors que le secteur de Delhi, représentant pourtant 70 % de la pollution du fleuve, n’a obtenu que 2,7 % des nouvelles capacités de traitement dans le cadre du YAP. Il n’y a pas eu d’harmonisation entre volume des eaux usées et capacités d’épuration. Avec seulement 20 % des charges polluantes, l’Uttar Pradesh obtenait 54 % des nouvelles capacités. Le contraste était encore plus marqué pour l’Haryana : 9 % des charges polluantes mais 43 % des nouvelles capacités de traitement.

Toujours dans le cadre du YAP, 1 146 toilettes publiques ont été construites pour des bidonvilles « illégaux » et des quartiers de relogement. Actuellement 60 % de ces installations sont inutilisées, parce qu’il n’y a pas d’eau, qu’elles sont trop chères, ou mal entretenues ou mal situées. Le YAP prévoit aussi d’installer des égouts dans des colonies (zones d’habitation) « autorisées » qui ne sont pas reliées au réseau officiel. Mais entre 40 % et 50 % de la population de Delhi vit « illégalement » dans des quartiers (colonies, bidonvilles) « non autorisés ». Au cours de la dernière décennie, les gouvernements successifs ont tout fait pour accuser de malpropreté et déloger les populations démunies qui squattent le long des berges de la Yamuna. Or les gros coupables sont plutôt les gens qui consomment beaucoup d’eau. Et dans la capitale de l’Inde, la répartition de l’eau est profondément inéquitable. Elle profite essentiellement aux riches et aux puissants tandis que la majorité de la population n’a pas sa ration quotidienne.

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Choses vues

Notre investigation sur le terrain commence par une visite à une station d’épuration située à l’est de Delhi. Cette usine, appelée Yamuna Vihar, a une capacité de 90 millions de litres par jour. Des responsables nous ont montré diverses éprouvettes pour preuve de son bon fonctionnement. Voilà donc de l’argent dépensé à bon escient pour la purification du fleuve… Nous demandons où passent les eaux traitées. Silence ; nous insistons ; ils nous conduisent à l’extérieur près d’un grand collecteur à ciel ouvert qui charrie des effluents bruts. C’est là que l’usine déverse ses eaux fraîchement traitées. Nous posons la question qui va de soi : comment cela peut-il se faire ? L’explication donnée est la suivante : la station d’épuration a été construite à cet endroit parce qu’il y avait un terrain libre. Le canal à côté est pollué parce qu’il contient des effluents « illégaux ». Ils ne sont donc pas pris en charge par l’Administration parce qu’ils proviennent de quartiers « non autorisés et illégaux » non reliés au réseau d’égouts.

Nous suivons ce canal, appelé Drain n° 1, jusqu’à sa jonction 14 km plus bas avec le canal de Ghazipur. Dans ce secteur, le gouvernement a construit une autre station d’épuration, appelée Kondhli, d’une capacité de 205 mlj. Les effluents traités par la station de Yamuna Vihar et déversés, comme on vient de le dire, dans le canal n° 1, passent aussi dans cette station d’épuration avant d’arriver au fleuve. Allons un peu plus bas. Le collecteur de Ghazipur fait sa jonction avec l’émissaire de Shahdara. L’idée était d’intercepter les eaux usées et de les faire passer par la station de Kondhli. Cela paraissait logique. Si ce n’est que, un peu en aval, tous ces mélanges, après un nouveau passage en station d’épuration, sont déversés non pas dans la Yamuna toute proche mais dans un canal fort pollué (la continuation de l’émissaire de Shahdara) qui traverse sur 5,5 km une zone insalubre avant de confier sa charge au fleuve. Voilà les faits. Cette zone avait besoin d’installations capables de traiter 500 mlj. En 2004, on ne disposait que de la moitié de cette capacité, et pourtant seulement 63 % de la capacité disponible était effectivement utilisée. Et tous ces mélanges se font dans une zone où 40 % de la population n’est pas reliée au réseau d’assainissement.

Tentatives d’explication

17 stations d’épuration, 10 installations de traitement inter-usines, collecteurs, canalisations, cabinets publics bon marché, des milliers de personnes déplacées au nom de la purification du fleuve. Pourquoi les résultats sont-ils si médiocres ? Il faut tirer les leçons des erreurs du passé. Sinon ce sera encore plus d’argent gaspillé et plus de pollution.

La vérité incontournable c’est que les capacités de traitement des eaux usées ne suivent pas le rythme d’accroissement de la population. Les infrastructures dont dispose Delhi peuvent théoriquement traiter entre 60 % et 80 % de ses effluents urbains. Mais la Yamuna continue à recevoir d’énormes quantités d’eaux usées et déchets divers. Les installations existantes sont curieusement sous-utilisées. C’est le cas de 13 stations d’épuration sur 17. L’une d’entre elles n’a même rien à faire tandis que d’autres, recevant trop de matière première, ne peuvent fonctionner correctement. Les 17 stations traitent seulement 1 470 mlj, soit moins de 40 % de ce qui passe dans le fleuve. Il existe bien des canaux collecteurs sensés transporter les effluents jusqu’aux usines de traitement, mais la Régie des eaux va sans doute consacrer une éternité à tenter de les réparer, de les nettoyer.

Ces usines ont été construites là où il y avait du terrain disponible, sans schéma directeur, de sorte que le coût de traitement des eaux usées est parfois inférieur au coût de leur acheminement, surtout dans les grandes stations. Station d’épuration d’Okhla, Delhi. Près de la moitié des gens de Delhi produisent des effluents non officiels, illégaux. Dans les colonies classées comme « non autorisées » mais « régularisées », des services publics sont à l’oeuvre depuis des années, sans grand succès. Dans la plupart des colonies « non autorisées et non régularisées », il n’existe pas d’action concertée, mais les eaux usées de ces endroits finissent aussi par atteindre les grands canaux. Cette production « clandestine » reste en dehors des calculs officiels. Il est clair que le système actuel (avec raccordement à un réseau de collecte+stations d’épuration) ne remplit pas sa mission. Continuer dans cette direction sans rien modifier c’est littéralement jeter l’argent dans les égouts.

Suggestions

Delhi devrait avoir honte de son fleuve. Le gouvernement devrait avoir honte de l’inanité de son action en matière de pollution malgré tout l’argent dépensé, le temps consacré officiellement au nettoyage de la Yamuna. Pour toute action de sauvetage du fleuve, il faut bien évidemment intégrer les données relatives à la consommation d’eau et au volume des effluents de la mégapole. Il ne suffit pas de construire ici ou là des stations d’épuration sur des parcelles disponibles. Il est également impératif de prévoir les modes de réutilisation des eaux usées et de réduire au maximum le voyage des eaux usées et des eaux traitées.

Autre aspect incontournable : pendant pratiquement neuf mois de l’année, la Yamuna n’est plus, dans le secteur de la capitale, un vrai cours d’eau. Car, juste en amont, au barrage de Wazirabad, Delhi prélève tout ce qu’elle peut, de sorte que dans le lit du fleuve il ne reste plus que les effluents de Delhi : ce n’est plus un fleuve mais la Claoca Maxima. L’eau devenant une denrée précieuse pour tout le monde, les voisins de Delhi ne sont guère disposés à laisser passer plus d’eau vers la capitale, laquelle ne se gêne pas pour consommer largement. Le scénario actuel ne peut pas durer : si les remèdes ne sont pas à la hauteur du mal, le fleuve ne pourra jamais guérir.

  • Tous les effluents, qu’ils soient légaux ou illégaux, doivent être captés et traités. Arrêtons de faire un distinguo spécieux entre ce qui a une existence officielle et ce qui administrativement parlant n’existe pas. Il n’y a que l’Administration à vouloir traiter de population sans aborder en même temps la question des déchets. Là où il y a du monde, il y a forcément du caca. Ne restons pas prisonniers d’infrastructures lourdes et cherchons les moyens appropriés pour assainir le plus rapidement possible tous les quartiers en mal d’existence légale.

  • Les effluents doivent être traités le plus près possible de leur source afin de réduire au maximum la longueur et donc le coût de leurs déplacements. Il faut absolument que les stations d’épuration cessent de renvoyer leurs eaux traitées dans des collecteurs qui charrient des eaux usées brutes. Les effluents traités iront diluer le milieu fluvial et non pas ajouter à sa pollution. Cela exige évidemment un respect scrupuleux des normes. Pour que les choses aillent mieux, nous devons faire les choses autrement. Tirer la chasse d’eau sans penser au reste n’est pas un geste anodin. Il faudrait que l’Inde respecte ses fleuves sacrés autrement que par d’antiques rituels.

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Palavras-chave

saneamento de água, poluição da água, favela, política da água


, Índia

dossiê

« Économie politique de la défécation » (Notre Terre n°23, sept. 2007)

Récolter l’eau de pluie (Notre Terre n°26, déc. 2008)

Notas

Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)

Fonte

CRISLA, Notre Terre n° 23, septembre 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.

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