Les obstacles à une réappropriation équitable de la terre par l’Etat et sa population
12 / 2007
Généralement très sensible en Afrique australe, la question foncière constitue un enjeu politique majeur au Zimbabwe. L’inégale répartition des terres constitue en effet un lourd héritage historique lié à la ségrégation raciale et la colonisation. A la veille de l’indépendance en 1980, 5 000 propriétaires blancs détenaient la moitié des terres arables, soit 15 millions d’hectares. Les populations noires étaient pour leur part cantonnées sur des terres communautaires dans les zones les moins productives. C’est ainsi que le problème de la terre s’est retrouvé au coeur de la lutte pour l’indépendance, le premier gouvernement mis en place après 1980 ayant pour priorité la mise en oeuvre d’une grande réforme agraire.
Les avatars d’une réforme
Mais l’Etat britannique avait tout prévu. Les velléités de réforme agraire du jeune Zimbabwe viennent se heurter aux accords de Lancaster House, signés en 1979 avec les Anglais pour fixer les conditions de l’accès à l’indépendance. Visant à protéger les intérêts de la population blanche, ils octroient aux anciens colons des garanties économiques pour les dix ans à venir. En matière foncière, toute expropriation et nationalisation généralisée est donc exclue tout au long de cette période. Pendant dix ans, l’Etat peut acquérir des terres uniquement dans le cadre de ventes de gré à gré (principe du « willing buyer, willing seller »). Le nouvel Etat se fixe néanmoins des objectifs ambitieux : redistribuer en trois années 11 millions d’hectares à 120 000 familles. Mais en 1989, seul un million d’hectares a été redistribué et en 1990, moins de 20 000 familles ont été installées sur ces terres.
A l’expiration des accords de Lancaster House, le gouvernement remet à l’ordre du jour la réforme agraire et édicte en 1992 le Land acquisition Act, permettant à l’Etat d’acquérir des terres tout en indemnisant les propriétaires. De 1992 à 1997, l’Etat publie de nouvelles lois visant à intensifier le programme de redistribution. A cette date, 3,5 millions d’hectares ont été redistribués au bénéfice de 71 000 familles. Mais si une élite noire paysanne investit dans l’agriculture commerciale, la majorité de la population continue de vivre sur des terres insuffisantes et peu productives. La majorité des ruraux souffre d’un manque de terres. De sporadiques invasions de fermes ont lieu pour obtenir de la terre mais l’Etat réprime ces manifestations. Avec l’aggravation de la crise économique, la sécheresse récurrente et le plan d’ajustement structurel, l’Etat n’a plus les moyens d’indemniser pour exproprier. D’autant que les bailleurs de fonds (Grande-Bretagne en tête) renâclent à soutenir financièrement cette réforme agraire comme il était pourtant prévu dans les accords de Lancaster.
Le foncier instrumentalisé
Au début des années 2000, le climat politique se dégrade. On assiste à la montée d’un parti d’opposition (le MDC) et à la propagation de revendications sociales face à la dégradation de la situation économique. Le référendum de février 2000 pour l’adoption d’une nouvelle Constitution est rejeté par la population, alors qu’elle autorisait l’Etat à acquérir des terres sans obligation de compensation. La légitimité du pouvoir de Robert Mugabe et de son parti est sérieusement écornée. Quelques jours plus tard, des invasions violentes de fermes sont menées par quelques 150 milices formées par le parti au pouvoir (la Zanu), qui mobilise les anciens vétérans de la guerre de libération réclamant depuis plusieurs années des pensions et des terres. L’armée et la police sont impliquées dans la coordination de ces occupations. En juin 2000, un quart des fermes blanches sont ainsi occupées avec plus ou moins de violences, des dizaines de personnes sont tuées parmi lesquelles des fermiers blancs. Pour les élections de juin 2000, Mugabe utilise le slogan « Land is the Economy, the Economy is Land » pour tenter de gagner les faveurs des zones rurales. Afin de canaliser le mécontentement général, notamment urbain, l’autocrate Mugabe va utiliser la réforme agraire comme un atout politique. En arguant de la lutte anticolonialiste, il proclame le retour de la terre au peuple et la nécessaire expropriation des fermiers blancs.
A partir de juillet 2000, se met en place la politique agricole appelée Fast track (réforme accélérée). Il s’agit à la fois d’offrir des terres (autour de 5 hectares) aux petits paysans (« modèle A1 ») et aussi de promouvoir une agriculture plus commerciale (« modèle A2 »). Dans le cadre du modèle A1 (petites fermes), 4,2 millions d’hectares sont redistribués et alloués à 130 000 familles. Dans le cadre du modèle A2, 1 672 fermes – soit 2,1 millions d’hectares – sont redistribués à 7 620 fermiers. Mais cette réforme n’entraînera pas les effets escomptés, notamment le modèle A2, pour des raisons d’incohérence de la réforme et de corruption. Beaucoup de proches du pouvoir se sont appropriés les plus grandes superficies, sans vraiment les exploiter et valoriser par la suite. Faute de moyens, l’Etat est également incapable de mettre en oeuvre une politique agricole de soutien (crédit, fourniture d’engrais, formation, etc.) pour aider ses nouveaux paysans.
De la corruption à l’insécurité alimentaire
Les conséquences de cette réforme agraire parfois violente et souvent mal organisée sont terribles pour la sécurité alimentaire du pays. La chute de la production agricole est très importante, aussi bien pour les productions de base (la production de maïs est passée de 1,7 à 1 million de tonnes entre 2000 et 2005) que pour les cultures d’exportation. Le tabac qui représentait 30 % des recettes en devises étrangères en 2000 a connu une baisse de production spectaculaire, avec 240 000 tonnes de feuilles de tabac exportées en 2000, et autour de 60 000 en 2005. L’industrie horticole, qui rapportait elle aussi beaucoup de devises, a perdu 60 % de recettes en 2005. Aujourd’hui, une personne sur trois (soit quatre millions de Zimbabwéens) reste menacée par la famine. Par ailleurs, l’expropriation des fermiers blancs a entraîné la mise au chômage de nombreux employés agricoles, dans la mesure où l’activité n’a généralement pas été poursuivie de la même manière par les nouveaux propriétaires. 350 000 travailleurs agricoles étaient ainsi employés au sein des 4 500 fermes blanches et faisaient vivre 2 millions d’habitants avant l’indépendance. Début 2003, seulement 100 000 travailleurs étaient encore employés.
Les fermiers blancs ont dans un premier temps essayé de contester devant les tribunaux la validité des expropriations. Mais l’Etat a édicté de nouvelles lois afin de rendre ces plaintes caduques et a changé les juges récalcitrants. En 2005, les invasions violentes de fermes se poursuivaient afin d’expulser les derniers fermiers blancs, le pouvoir ayant affirmé son objectif d’en débarrasser le pays. Aujourd’hui, 90 % des fermiers ont été expulsés. Beaucoup de terres récupérées deviennent la propriété de proches du pouvoir qui n’ont aucune expérience de l’agriculture. Cette politique désastreuse ne fait plus l’unanimité même parmi les cercles du pouvoir. Le processus violent de réforme agraire a largement contribué à l’insécurité alimentaire que connaît aujourd’hui le Zimbabwe. Le Zimbabwe illustre ainsi par la négative la nécessité de lier réforme agraire, stratégie de développement et consensus politique si l’on ne veut pas conduire un pays dans l’impasse.
acesso a terra, reforma agrária, colonização
, Zimbabwe
Accès à la terre : voyage au centre des impasses de la mondialisation
Bibliographie
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CRIDEV, Frères des Hommes, PEKEA. Accorder l’accès à la terre. Septembre 2007. 126 p.
Ce texte est extrait du CD-Rom qui accompagne l’ouvrage ci-dessus.
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