09 / 2007
Les promoteurs des énergies renouvelables mettent en avant, la plupart du temps avec raison, l’absence ou la faiblesse des émissions de gaz à effet de serre de ces énergies. Leurs détracteurs, souvent promoteurs d’énergies concurrentes, en particulier l’énergie nucléaire, prétendent au contraire que certaines de ces énergies, l’éolienne ou le photovoltaïque par exemple, mais aussi la biomasse, émettent des quantités de gaz à effet de serre non négligeables et remettent ainsi en cause l’intérêt de ces sources d’énergie pour la lutte contre le réchauffement climatique. Les considérations qui sont à l’origine de cette polémique récurrente proviennent de plusieurs raisons :
– La mise en œuvre des énergies renouvelables nécessite des installations de production dont la construction inclut des dépenses énergétiques potentiellement émettrices de gaz à effet de serre. La fabrication de photopiles par exemple induit des dépenses d’électricité qui sont susceptibles, selon l’origine de la production d’électricité, d’avoir suscité des émissions de GES. Il en est de même pour la construction et l’installation des éoliennes ou des systèmes hydroélectriques. Ces dépenses d’énergie ne sont heureusement pas récurrentes et sont engagées une fois pour toutes. A la fin de vie de ces installations, d’autres dépenses d’énergie peuvent se révéler nécessaires au démantèlement des installations, avec des conséquences du même type pour les émissions de GES.
– Le fonctionnement même des installations énergétiques renouvelables peut conduire à des émissions de gaz à effet de serre : ainsi la combustion du bois entraîne l’émission de CO2 et éventuellement de CH4 et de N2O, tous trois gaz à effet de serre. Pour le CO2, le bilan dépend du fait que la biomasse utilisée est ou non renouvelée.
– Enfin, l’intérêt en termes d’économies d’émissions de GES de leur introduction dans une région déterminée dépend du bouquet énergétique existant.
Il n’est donc pas simple d’effectuer des bilans précis pour chacune des filières énergétiques puisque les résultats dépendent à la fois des technologies de transformation, des modes d’exploitation des ressources et de la nature et des quantités des énergies fossiles éventuellement mises en œuvre pour préparer les produits énergétiques finaux. S’ajoute à cette complexité le fait que plusieurs de ces filières renouvelables, par exemple les agro carburants conduisent à la production de coproduits (tourteaux pour l’alimentation du bétail, lignine pour combustion, etc) des produits énergétiques. Les règles d’affectation des émissions à chacun de ces produits sont évidemment déterminantes dans l’élaboration du bilan GES des produits énergétiques.
On peut néanmoins apporter des éléments d’appréciation des fourchettes d’émissions de GES de chacune des principales filières et les comparer avec les filières fossiles et nucléaires.
Les filières primaires renouvelables de production d’électricité et de chaleur
Il s’agit des filières qui produisent directement de l’énergie électrique à partir d’une énergie mécanique (éolien, hydraulique, houle) ou d’une énergie photonique (photovoltaïque), ou de l’énergie thermique par captation d’une source de chaleur, qu’il s’agisse du soleil (chauffe-eau solaires, centrales à concentration), ou de la chaleur de l’air, du sol ou de l’eau (géothermie, pompes à chaleur, énergie thermique des mers), éventuellement suivie d’une transformation en électricité par voie thermodynamique.
Toutes ces filières supposent la réalisation d’appareils de captation et de transformation dont la construction peut induire des dépenses d’énergie responsables d’émissions de GES. Il en est de même du démantèlement en fin de vie de ces installations. On évalue les émissions unitaires de GES de ces filières (en grammes d’équivalent CO2 par kWh) en rapportant ces émissions à l’énergie produite au cours de l’existence de l’installation considérée.
Le tableau ci-dessous illustre les difficultés auxquelles on est confronté sur l’exemple du photovoltaïque relié au réseau, en fonction des zones climatiques d’implantation des systèmes photovoltaïques, des dispositifs employés (photovoltaïque en toiture ou en façade) et des sources d’énergie fossile utilisées pour produire l’électricité nécessaire à la fabrication des photopiles.
Temps de retour énergétique et émissions de CO2 du photovoltaïque relié au réseau
Energie investie/kW | Temps de retour énergétique | Emissions de CO2/kWh* | |
Electricité photovoltaïque multicristallin sur réseau | 2500 kWh électriques | ||
En façade | 2,7 - 4,7 ans | 30 - 130 g | |
Sur les toits | 1,6 - 3,3 ans | 20 - 90 g |
Source IEA (1)
* dans l’hypothèse de fabrication des photopiles avec de l’électricité d’origine fossile (gaz ou charbon)
On voit immédiatement que les fourchettes de résultats sont larges. Néanmoins les chiffres d’émission de CO2 obtenus restent toujours très inférieurs à ceux de l’électricité d’origine fossile, (entre 400 g et plus de 800 g par kWh selon les technologies, sans même compter les émissions liées à l’installation initiale des centrales électriques). Bien entendu si la part d’électricité d’origine fossile utilisée dans la fabrication des photopiles est plus faible, comme par exemple en Europe, les émissions sont plus faibles. C’est ainsi qu’à Lyon par exemple, des photopiles fabriquées en Europe (où le kWh émet de l’ordre de 350 g de CO2) et placées sur les toits, provoqueront des émissions de l’ordre de 30 g/kWh.
Le même type d’analyse pour l’éolien est résumé dans le tableau ci dessous pour une éolienne de 3 MW construite et implantée au Danemark.
Temps de retour énergétique et émissions de CO2 de l’éolien au Danemark
Energie investie/kW | Temps de retour énergétique | Emissions de CO2/kWh* | |
Electricité éolienne | kWh/kW (Elect et chaleur) | ||
Terrestre (2 600 h/an) | 1 400 kWh | 0,53 ans | 4,6 |
Offshore (4 600 h/an) | 2 600 kWh | 0,57 ans | 5,3 |
Source : Life cycle assesment of onshore and offshore sited wind power plants of Vestas V90 3 MW turbines. (2)
Les énergies renouvelables de combustion
Ce sont celles qui produisent de la chaleur par combustion (il s’agit de la biomasse et du biogaz), chaleur transformée éventuellement ensuite en énergie mécanique ou en énergie électrique par voie thermodynamique.
Dans ce cas, il faut prendre en compte, en plus des émissions des installations de combustion et de transformation de l’énergie thermique en force motrice fixe ou mobile, les paramètres suivants :
Les dépenses énergétiques et les émissions associées à la récolte, au transport et à la mise sous la forme de produits énergétiques utilisables par les technologies considérées. Ces émissions, au contraire des précédentes, sont proportionnelles aux quantités de produits énergétiques mis en œuvre par la filière considérée.
Les émissions liées à la combustion même des produits énergétiques mis en œuvre, CO2 mais aussi CH4 et N2O pour certaines des filières envisagées. Le bilan CO2 à prendre en compte dépend au premier chef du caractère renouvelable ou non de la biomasse qui est à l’origine du produit énergétique brûlé. Il peut être nul si le remplacement de la biomasse mise en œuvre est assuré à un rythme suffisant pour reconstituer une réserve de biocarbone équivalente. Il peut être positif si les prélèvements effectués (la déforestation par exemple) conduisent à une diminution du stock de biocarbone disponible. Il peut même devenir négatif si la biomasse est brûlée dans une chaudière équipée d’un dispositif de capture et de stockage du CO2. Pour les autres GES, aucun processus naturel ne vient compenser les émissions qui dépendent alors uniquement de la composition chimique des combustibles et des technologies de combustion et d’épuration des fumées.
Les gaz à effet de serre
La Convention climat prend en compte les gaz à effet de serre suivants : le gaz carbonique, CO2, le méthane CH4, le peroxyde d’azote N2O, l’ozone O3 et une série de gaz appelés halocarbures, qui n’existent pas à l’état naturel et qui sont produits par l’activité industrielle. Ces différents gaz ont des pouvoirs d’effet de serre différents et des durées de séjour dans l’atmosphère différents.
Durée de séjour approximative dans l’atmosphère des gaz à effet de serre
Gaz carbonique CO2 | 100 ans |
Méthane CH4 | 12 ans |
Péroxyde d’azote N2O | 120 ans |
Halocarbures Cn Halp | Jusqu’à 50 000 ans |
Afin de pouvoir faire des comparaisons, on calcule, pour chacun des gaz à effet de serre, un « pouvoir de réchauffement global » ou PRG, qui permet de savoir de combien on augmente l’effet de serre lorsque l’on émet un kg du gaz considéré.
Il se définit comme le «forçage radiatif» (c’est à dire la puissance radiative que le gaz à effet de serre renvoie vers le sol), cumulé sur une durée donnée d’une quantité de gaz donnée. Cette valeur se mesure relativement au CO2 principal gaz à effet de serre. Le PRG d’un gaz est donc «combien de fois plus» (ou combien de fois moins) un gaz «fait d’effet de serre sur une période donnée» (c’est à dire combien d’énergie il renvoie vers le sol sur cette période) comparé à ce que ferait une même quantité de CO2 émise au même moment. On parle alors de «PRG relatif».
Le pouvoir relatif de réchauffement d’un gaz dépend donc de la période prise en compte comme le montre le tableau suivant pour les gaz à effet de serre principaux :
PRG relatif/CO2 à 100 ans | PRG relatif/CO2 à 20 ans | |
CO2 | 1 | 1 |
CH4 | 23 | 63 |
N2O | 298 | 298 |
Si l’on émet 1 kg de méthane dans l’atmosphère aujourd’hui, on produira le même effet, sur 20 ans que si on émet aujourd’hui 63 kg de gaz carbonique, et sur 100 ans 23 kg de gaz carbonique. On pourrait résumer en disant qu’un kg de méthane fait 23 fois l’effet de serre cumulé sur un siècle d’un kg de gaz carbonique, ou encore que le méthane est un gaz 23 fois plus puissant que le gaz carbonique pour l’effet de serre sur cette période.
Les PRG employés actuellement par la communauté internationale pour chiffrer les actions proposées sont ceux à 100 ans.
Le tableau ci-dessous illustre ces points sur l’exemple du chauffage au bois. Il est réalisé pour différentes applications en France en faisant l’hypothèse que la forêt se renouvelle à un rythme au moins égal à celui de la consommation de bois de feu. Il donne les valeurs d’émission de CO2 et de méthane de fonctionnement pour un kWh d’énergie utile dans chacun des cas (3). On y donne aussi à titre de comparaison les émissions des technologies fossiles correspondantes.
Émissions de GES du chauffage domestique : habitat individuel
Émissions de GES du chauffage domestique : habitat collectif
Source : le bois énergie en France (Les Cahiers du CLIP n° 3) (4)
Dans tous les cas les émissions des chaudières à bois, malgré leurs rendements inférieurs à celles des chaudières à énergies fossiles et les dépenses d’énergie engendrées par le transport du bois et sa préparation (déchiquetage) sont donc négligeables par rapport à celles de leurs concurrents fossiles.
Il n’en est pas toujours de même pour les agrocarburants. En effet, les dépenses énergétiques liées à la culture des plantes (engrais, irrigation, récolte, etc.) mais surtout au processus industriel de transformation de la biomasse en carburant utilisable par les automobiles sont loin d’être négligeables. Mais des difficultés méthodologiques de calcul apparaissent dans cette évaluation des dépenses énergétiques, car les processus industriels les plus courants sont à l’origine de coproduits des agrocarburants. La question de l’affectation des dépenses énergétiques à chacun des produits ainsi élaborés est évidemment centrale. Elle explique, au moins en partie, les nombreuses controverses actuelles sur le rendement énergétique de ces filières.
En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, les résultats dépendent aussi très fortement de la nature des énergies mises en œuvre pour la transformation industrielle de la biomasse en carburant. En Europe ce sont principalement des énergies fossiles (charbon et fuel) qui sont utilisées alors qu’au Brésil par exemple, c’est principalement la bagasse de canne à sucre qui produit la chaleur nécessaire au process de distillation. Ces divers points expliquent aisément la très grande disparité des chiffres publiés sur ces sujets. Les résultats de deux études récentes illustrent bien cette disparité : l’une, française, affecte les émissions de gaz à effet de serre au prorata des masses des différents coproduits, et l’autre, européenne, affecte l’intégralité des émissions à l’agro carburant en lui retranchant un crédit correspondant aux émissions qu’aurait généré la production par des voies classiques des mêmes quantités de coproduits.
Agro carburants de première génération : émissions de GES selon deux études aux méthodologies différentes
Etude française | Etude européenne | Référence (5) | |
Ethanol ex blé | 65 g CO2/km | 114 g CO2/km | 164 g CO2/km |
Ethanol ex betterave | 64 g CO2/km | 111 g CO2/km | 164 g CO2/km |
Ethanol canne à sucre | nd | 36 g CO2/km | 164 g CO2/km |
Carburant diesel colza | 47 g CO2/km | 73 g CO2/km | 156 g CO2/km |
Carburant diesel tournesol | 39 g CO2/km | 34 g CO2/km | 156 g CO2/km |
Huile végétale pure colza | 35 g CO2/km | nd | 156 g CO2/km |
Huile végétale pure tournesol | 26 g CO2/km | nd | 156 g CO2/km |
Source : Étude Ademe/Direm 2002 et étude JRC/EUCAR/CONCAVE 2006
On constate des disparités importantes, en particulier pour l’éthanol ex blé ou betterave, dont l’intérêt en termes d’économie d’émissions n’est que de l’ordre de 30 % selon l’étude européenne alors qu’il dépasse 60 %
dans l’étude française. Il existe par contre un bon accord entre les résultats concernant le carburant ex tournesol qui permettrait, selon les deux études, des économies d’émission supérieures à 75 %. Bien que techniquement prometteurs en raison de leur potentiel planétaire global, il y a encore trop peu d’études complètes sur les cycles de production des agrocarburants de seconde génération pour avancer des chiffres d’émissions de CO2. Cependant, leur économie énergétique est a priori plus favorable que celle des agrocarburants de première génération parce qu’ils utilisent la totalité du carbone récolté «plante entière» et pas seulement la partie contenue dans la partie actuellement utilisée en première génération (graine, betterave, etc.). on peut espérer un gain d’émission d’un facteur deux à trois sur le simple ratio du carbone réellement mobilisé par rapport au carbone capturé dans la plante par photosynthèse.
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