09 / 2005
L’origine de la loi de 1991
La loi connue sous le nom de « loi Bataille », du nom de son rapporteur à l’Assemblée nationale, est intervenue en 1991 pour réouvrir une situation totalement bloquée en France – comme dans d’autres pays – sur la gestion des déchets hautement radioactifs.
Les débats menés au sein de l’industrie nucléaire en concertation avec la puissance publique avaient conduit, au début des années quatre-vingt, à conclure que ces déchets devaient inévitablement faire l’objet d’un stockage géologique et à lancer des recherches sur l’identification et la validation des meilleurs sites dans différents types de formations rocheuses sur le territoire national.
Face aux blocages politiques et devant les oppositions très fortes des populations locales refusant l’enfouissement des déchets, le Gouvernement décida en 1989 un moratoire sur la procédure de recherche de sites. La France, l’un des principaux utilisateurs du nucléaire – et donc producteurs de déchets – au monde, se trouvait ainsi sans aucune perspective de programme pour la gestion des plus problématiques de ces déchets.
La loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs (Journal Officiel, n° 1 du 1er janvier 1992, récemment codifiée sous la forme des articles L.542-1 et suivants du Code de l’environnement), adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale comme par le Sénat, visait donc essentiellement à proposer un cadre législatif – dans un pays où l’activité nucléaire en général en manque singulièrement – apportant suffisamment de garanties pour la reprise d’un tel programme.
Les principales dispositions de la loi
Elle établit d’abord un principe de droit essentiel en affirmant que « la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue doit être assurée dans le respect de la protection de la nature, de l’environnement et de la santé, en prenant en considération les droits des générations futures » (art. 1er).
Elle introduit ensuite pour les déchets nucléaires (et par extension pour tous « produits dangereux ») une double condition réglementaire pour tout « stockage souterrain en couches géologiques profondes » (art. 2) : d’une part, il est obligatoirement soumis à autorisation administrative, d’autre part, cette autorisation ne peut avoir qu’une validité limitée dans le temps. Sur ce point essentiel dans la problématique de réversibilité ou non des installations, la loi renvoie à plus tard toute décision sur une durée illimitée : « les conditions et garanties selon lesquelles certaines autorisations peuvent être accordées ou prolongées pour une durée illimitée (…) seront définies dans une loi ultérieure » (autrement dit les conditions d’autorisation d’un stockage géologique définitif).
Autre principe essentiel, la loi s’oppose à la gestion définitive en France de déchets radioactifs issus de producteurs étrangers : tout en prenant acte du développement de contrats de retraitement pour le combustible irradié d’électriciens européens ou japonais, la loi impose que « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement » (art. 3).
La partie la plus visible de la loi concerne l’organisation des recherches sur la gestion des déchets (comme le précise son titre, son objet est bien celui-là et non la gestion elle-même de ces déchets). Elle fixe d’abord les grands axes d’un programme de recherche (généralement dénommés axe 1, 2 et 3) :
« la recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans ces déchets »;
« l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains »;
« l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets. » (art. 4)
Mais elle établit également, dans le même article, un cadre pour l’évaluation, le contrôle et la validation de ces recherches : elle oblige le Gouvernement (qui a respectivement confié le pilotage des axes 1 et 3 et de l’axe 2 au CEA et à l’Andra) à remettre chaque année un rapport d’avancement au Parlement, qui doit en saisir l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Elle crée pour établir ces rapports, publics, une Commission nationale d’évaluation (CNE) composée de spécialistes. Elle donne enfin un délai de 15 années maximum, ce qui nous amène à l’échéance de 2006, au Gouvernement pour remettre au Parlement un rapport global d’évaluation accompagné d’un projet de loi.
La loi introduit ensuite un certain nombre de dispositions d’ordre plus technique dont les principes restent cependant essentiels. En premier lieu, elle donne un statut juridique spécifique et établit la procédure d’autorisation « des laboratoires souterrains destinés à étudier les formations géologiques profondes où seraient susceptibles d’être stockés ou entreposés les déchets radioactifs à haute activité et à vie longue ». (art. 5 et suivants). Elle précise notamment les conditions de concertation avec les populations
locales et interdit la présence de sources radioactives dans ces laboratoires autres que temporaire à des fins d’expérience.
Elle permet de plus de constituer des groupements d’intérêt public (GIP) pour l’accompagnement économique des territoires sur les sites des laboratoires. Elle impose parallèlement la création, autour de chaque laboratoire souterrain, d’un comité local d’information et de suivi (CLIS) composé d’élus nationaux et locaux et de représentants de la société civile (associations, syndicats, etc.).
Enfin, la loi transforme l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), qui était jusque-là un département du CEA, en établissement public industriel et commercial (statut EPIC) indépendant, définit sa tutelle gouvernementale (ministres en charge de l’industrie, la recherche et l’environnement) et établit ses missions, notamment : participation aux recherches, gestion de tout stockage définitif de déchets radioactifs, et inventaire exhaustif des déchets radioactifs présents sur le territoire national.
Les principales lacunes de la loi
Arrivé à l’échéance des 15 années prévues à l’origine, outre les difficultés spécifiques dans la mise en œuvre et les avancées des recherches prévues (voir fiche Des recherches non conclusives), le cadre établi en 1991 montre un certain nombre de lacunes.
La plus grave, car elle atteint la légitimité même du processus, est l’impossibilité dans laquelle les pouvoirs publics se sont trouvés d’implanter plus d’un laboratoire de recherche souterrain, alors que la loi en prévoit explicitement plusieurs. Après la désignation d’un site en argile dans la Meuse, à Bure, et l’abandon du second site envisagé dans le Gard, l’échec de la « mission granite » de concertation pour désigner malgré tout un second laboratoire en massif granitique pose un problème fondamental : comment le Parlement pourrait-il, s’il abandonnait le projet d’un second laboratoire en 2006, conserver la confiance des populations en ne respectant pas la règle qu’il s’est lui-même fixée ?
Les autres problèmes concernent plutôt l’absence de définitions rigoureuses nécessaires, dans un domaine éminemment technique, à l’application de certains principes posés par la loi. Il en va ainsi d’abord de l’accception même des « déchets à haute activité et à vie longue » qui sont au cœur de la loi. Son périmètre est généralement considéré comme celui des déchets dits haute activité (HA) d’une part, et moyenne activité à vie longue (MA-VL) d’autre part. Mais l’OPECST restreint aujourd’hui son champ aux seuls déchets HA. À l’inverse, pourquoi les déchets à vie longue, même faiblement actifs, n’entreraient-ils pas dans le champ de la loi ?
La loi reste également trop floue sur la question des déchets étrangers. Malheureusement, ni les débats du Parlement ni aucun texte réglementaire n’ont établi ces « délais techniques », dont une interprétation très extensive, en amont (entreposage du combustible dans les piscines) comme en aval (entreposage des déchets issus du retraitement), est aujourd’hui pratiquée par Cogema à La Hague. De plus, la loi ne fixe pas de cadre à la pratique contractuelle de Cogema consistant à faire des « swaps » (échanges) d’unités de radioactivité entre clients, et conduisant à ce que chaque client ne récupère pas réellement les déchets physiques liés à son combustible mais un équivalent calculé par l’exploitant de La Hague.
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Les déchets nucléaires (HS Global Chance, septembre 2005)
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