Les Brésiliens ont pratiquement de tout en abondance. La base de ce « tout » qu’ils ont est : la Terre. Même les plus petites villes ont des voies doubles pour le trafic routier, des voies rapides et de gigantesques « ronds points ». Autant de gaspillage dans l’utilisation de la terre m’effraie. En tant que Flamand, c’est un contraste très fort si l’on pense à l’usage intensif que l’on fait, depuis le Moyen Age, du territoire restreint dont nous disposons.
Les données
Pourquoi protester à cause de 1 500 hectares (équivalent à la superficie de la réserve naturelle de « Merode », entre Averbode et Westerlo [Belgique]), plus ou moins ?
« Le Brésil a une superficie territoriale de 850,2 millions d’hectares. De cette superficie totale, les secteurs de conservation environnementale représentaient fin 2003, environ 102,1 millions d’hectares, les terres indigènes 128,5 millions d’hectares et la superficie total des immeubles enregistrés au Cadastre de l’INCRA, environ 420,4 millions d’hectares. La somme totale de ces superficies est donc de 651 millions d’hectares, ce qui veut dire que le Brésil possède encore environ 199,2 millions d’hectares de terres inoccupées. Soit, des terres qui peuvent être considérées selon la législation, comme des terres publiques appartenant aux états et à l’Union. Même si l’on retire 29,2 millions d’hectares occupés par les eaux territoriales intérieures, par les zones urbaines et par les routes, ainsi que par les propriétés qui devraient être régularisées, il reste encore 170 millions d’hectares. Ces terres inoccupées sont donc du domaine public et sont situées dans tous les états du pays ». (1)
L’état de Bahia, par exemple, ne sait pas du tout quelles terres appartiennent à l’état et quelles sont celles qui appartiennent à des particuliers. C’est pour cette raison que la propriété de nombreuses zones est fréquemment disputée par deux ou trois instances. Ici, des disputes rurales ont lieu tous les jours.
Selon l’INCRA (Institut national de la Colonisation et de la Réforme agraire), en 2003, 4 238 421 propriétés sont réparties sur 420 345 382 hectares. La superficie totale des 27 plus grandes propriétés équivaut à l’état de São Paulo. Les 300 plus grandes propriétés occupent une superficie équivalente à São Paulo et au Paraná réunis.
1 338 711 petites propriétés font moins de 10 hectares chacune. Elles disposent, en moyenne, de 5,7 hectares et occupent 1,8 % des terres agricoles.
1 102 999 propriétés font entre 10 et 25 hectares. Elles disposent, en moyenne, de 17,2 hectares et occupent 4,5 % des terres agricoles disponibles.
Encore quelques chiffres : plus la grandeur en hectares augmente, plus le nombre de propriétaires diminue drastiquement.
Si l’on fait les comptes, on observe que 2,4 millions de propriétés (57,6 % du total) occupent 6 % des terres, soit, 26,7 millions d’hectares. Moins de 70 000 propriétés (1,7 %) occupent un peu moins de la moitié du total des terres enregistrées au Cadastre : 183 millions d’hectares, soit 43,8 %.
Entre 1985 et 1995, 1,3 millions d’hectares ont été annexés à de grands domaines de plus de 10 000 hectares. Avant, ils appartenaient à des petites propriétés de moins de 10 hectares.
Certaines données de l’INCRA (2003) révèlent qu’entre 1984 et 2002, grâce à des mouvements comme, entre autres, le MST, 28,4 millions d’hectares ont été partagés entre 553 928 familles. Durant cette même période, des entreprises de plus de 2 000 hectares ont augmenté leurs propriétés de 56 millions d’hectares.
Quel est le rapport entre ces données et le soja ?
Le Brésil est le numéro un mondial en ce qui concerne la « concentration des terres aux mains d’une petite élite ». Cette réalité historique, héritage de la colonisation portugaise, a été accentuée par le drame du soja. Au XVIe siècle, d’énormes zones de terres ont été distribuées aux amis du roi du Portugal. L’un des objectifs était d’empêcher la progression des colonisateurs espagnols et, aussi, d’affaiblir la résistance des peuples indigènes. Au début du XIXe siècle, certaines terres au sud du Brésil ont été offertes à plusieurs organismes pour contrôler les frontières avec le Paraguay et l’Argentine. De nombreuses personnes ont tout simplement pris possession de régions et, à partir de 1850, les ont déclarées comme étant leur propriété (2). D’autres encore réitèrent cette pratique en envahissant la forêt amazonienne et les réserves indigènes pour planter du soja ou élever du bétail.
Le soja, comme nous l’avons précédemment mentionné, est le grand accélérateur de cette exclusion. Au fil du temps, de grandes entreprises se sont installées dans les plaines et l’agriculture familiale a été expulsée vers les flancs de collines rocheux et aux précipices importants. Les exploitants ont ordonné la coupe de presque toute la forêt ; ou ont pratiqué, depuis la Révolution verte, la dénommée « reforestation », avec du pin et de l’eucalyptus. Dans les zones éloignées, où l’agriculture familiale, littéralement marginalisée, essaie de survivre, il existe encore une végétation endémique. J’ai rarement pu observer ce contraste aussi fortement que cette semaine, en voyant des propriétés dans la région montagneuses aux alentours de Chapecó, Santa Catarina (3).
La réforme agraire ?
Depuis les années 50, en Amérique latine, on assiste à une forte clameur autour de la réforme agraire. À l’époque de la Guerre froide, cela sonnait comme une dangereuse revendication communiste. La réponse, à partir des années 60, n’a pas été la tant espérée réforme agraire de la Révolution rouge mais celle de la « Révolution verte ». Au lieu de redistribuer les terres, le problème n’a fait que s’aggraver, justement à cause du « paquet technologique des super semences et des pesticides ». À cause des prix élevés du soja de ces quatre dernières années, le prix de la terre dans certaines régions a été multiplié par quatre. Les « Terres à soja » au Brésil, deviennent des « terres à fumier » en Flandre. Les « fièvres » des deux côtés de l’océan font grimper le prix des terres jusqu’à atteindre des sommes astronomiques. Une fondation à but non lucratif, comme ‘Land-in-zicht' (4) [Terre en vue], essaie de trouver une solution à l’intérieur de la réalité de Flandre, là où il y a peu de terre disponible. Au Brésil, le gouvernement Lula a déclaré que la tant attendue réforme agraire était une de ses priorités. Le problème, c’est que cette opération est devenue assez coûteuse, car de moins en moins de zones peuvent être déclarées « improductives ». Selon la loi, dans ce cas, il ne peut y avoir désappropriation. Si, malgré tout, le gouvernement souhaite acquérir des terres pour mener à bien son programme, cette « Réforme agraire », deviendra extrêmement onéreuse pour les états comme, par exemple, le Paraná (5). Le propriétaire peut en exiger un prix élevé. Des projets identiques tel que « Première terre », objet de la lutte des jeunes de Fetraf depuis 2003, sont devenus trop coûteux à cause des terres à soja. Ainsi, les Sans-Terre du MST, les jeunes de l’agriculture familiale et le gouvernement payent pour les erreurs politiques du passé. S’ajoute à cela la revendication de la restitution des terres ancestrales par les peuples indigènes qui ont été expulsés de leurs territoires par le passé. S’ils peuvent prouver, légalement, que leurs ancêtres vivaient dans telle ou telle région, ils pourront atteindre leur objectif qui est d’occuper de nouveau ces zones. Et là, les exploitants ne seront pas les seuls à devoir partir, mais également de nombreux agriculteurs familiaux qui cultivent ces terres depuis deux ou trois générations. Leurs ancêtres ont acheté, généralement de bonne foi, ces terres à des tiers qui, à cette époque, avaient dépossédé les indigènes de leurs terres. Les gouvernements d’état et les politiciens corrompus de l’époque ont une grande responsabilité dans le drame social qui se déroule actuellement. Au lieu d’être des alliées, qu’elles sont de fait, les victimes se retournent les unes contre les autres. Elles se battent contre le mauvais ennemi, de la même manière que les mouvements environnementaux agriculteurs en Flandre se battent entre eux. Alors que le Grand Capital, l’agro-industrie et les autres responsables du problème restent introuvables.
Et, pour finir, un dernier chiffre
Pour la récolte de 2004-2005, le Brésil et l’Argentine prévoient de planter, ensemble, 37 millions d’hectares de soja. Ce qui représente une augmentation de 150 % par rapport à 1990-1991. Les deux pays souhaitent que la zone de culture au Brésil soit agrandie de plus de 3 millions d’hectares cette année. La presse pense que le pays a le potentiel pour que « l’agrobusiness » augmente de plus de 210 millions d’hectares ces prochaines années. Cependant, les journaux nous informent sans cesse qu’à cause de l’excès de production en Argentine, au Brésil et aux États-Unis, le prix mondial du soja chute irrémédiablement. Cela implique probablement une augmentation de la dégradation du Brésil. Revenons pour le moment au thème de la « terre » : l’agriculture à grande échelle perd, actuellement, 20 tonnes de terre par hectare. Pour chaque kilo de soja produit avec ce système, l’environnement perd dix kilos de terre. Nous pouvons ici aussi rechercher notre image qui se reflète dans ce miroir étrange : qu’en est-il de l’érosion découlant de la culture du maïs dans la région montagneuse de « Hageland », en Flandre ou dans d’autres régions au relief accidenté de l’Europe occidentale ?
La Terre est la base de cette activité
Wervel a été créé en 1990 et le groupe a immédiatement mis au grand jour le problème social et écologique des importations de l’alimentation animale dans la colonne Opinies [Opinion], du journal De Standaard. Dans le premier document que nous avons édité (6) nous parlions, entre autres, de l’exode de la population rurale dans le Rio Grande do Sul. Avec l’augmentation du pouvoir de la GATT/OMC, c’est devenu un des axes principaux du travail de Wervel : d’un côté, l’importation de soja et de terre ; de l’autre, les problèmes d’excès de fumier et de culture de maïs en Belgique.
Capital, terres (et redistribution de ces terres), soja, fumier et OMC ont-ils un rapport avec la base de cette activité (7) ?
soja, acesso a terra, agricultura de exportação, reforma agrária
, Brasil
Des navires qui se croisent dans la nuit : une autre image du Soja
Ce texte est extrait du livre « Navios que se cruzam na calada da noite : soja sobre o oceano » de Luc Vankrunkelsven. Edité par Editora Grafica Popular - CEFURIA en 2006.
Il a été traduit du portugais par Elisabeth Teixeira.
Fetraf (Fédération des travailleurs de l’agriculture familiale) - Rua das Acácias, 318-D, Chapecó, SC, BRASIL 89814-230 - Telefone: 49-3329-3340/3329-8987 - Fax: 49-3329-3340 - Brasil - www.fetrafsul.org.br - fetrafsul (@) fetrafsul.org.br
Wervel (Werkgroep voor een rechtvaardige en verantwoorde landbouw [Groupe de travail pour une agriculture juste et durable]) - Vooruitgangstraat 333/9a - 1030 Brussel, BELGIQUE - Tel: 02-203.60.29 - Bélgica - www.wervel.be - info (@) wervel.be