Adaptation aux changements climatiques : scénario d’anticipation d’une inondation en région parisienne
2004
La question de l’adaptation aux changements climatiques ne concerne pas que les pays en développement, loin s’en faut. La preuve dans ce scénario d’anticipation, où l’on constate que la menace plane…
Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont à juste titre mis l’accent sur l’importance des risques d’inondation par débordement de la Seine et de ses principaux affluents en région parisienne. L’ampleur des enjeux est en effet considérable et mérite que l’on examine l’incidence des débats sur le changement climatique sur les décisions à prendre.
Les conséquences socio-économiques sur l’agglomération parisienne d’une inondation atteignant le niveau de la crue mémorable de 1910 seraient considérables en raison de l’importance de la population inondée (880 000 personnes environ), du grand nombre d’établissements humains concernés (de l’ordre de 170 000 entreprises) et de la présence de nombreux centres de décision gouvernementaux, politiques, financiers ou économiques dans une ville capitale.
Le fonctionnement de notre société urbaine actuelle est beaucoup plus vulnérable aux inondations qu’en 1910. A cette époque, les trains pouvaient circuler malgré la présence de quelques centimètres d’eau sur les voies. Actuellement, les dispositifs électromécaniques et informatiques ne le supporteraient pas. En 1910, les Parisiens pouvaient, dans un mois de janvier particulièrement froid, continuer de se chauffer au charbon. Aujourd’hui, vivre dans un appartement sans électricité ni chauffage serait beaucoup plus délicat.
Les études menées dans les années 1990 ont conduit à une première alerte des pouvoirs publics : le montant des dégâts d’une crue de type 1910 était alors évalué à 4,6 milliards d’euros (situation 1990). Ces études estimaient que les désordres toucheraient : 50 % de la production d’eau potable, 70 % du trafic du métro et 50 % du trafic RER pendant trente à cinquante jours, plus de 200 000 abonnés à l’électricité, plus d’un million d’abonnés au téléphone, etc. Les évaluations les plus récentes ont porté ce chiffre à plus de 12 milliards d’euros. Aux dégâts directs, il faut en effet ajouter les coûts engendrés par l’altération ou l’arrêt du fonctionnement d’un grand nombre de services publics. Des effets de « château de carte » viennent ainsi propager les conséquences de l’inondation dans des périmètres très éloignés des zones inondées : l’estimation des dommages indirects ne cesse de croître au fur et à mesure qu’ils sont mieux étudiés.
Moyens de protection
Les départements de la petite couronne sont équipés de murettes anti-crue et de diguettes. Paris a connu un important rehaussement de ses quais. Les niveaux de protection ainsi adoptés sont hétérogènes. Les murettes anti-crues du Val-de-Marne ont, pour la plupart, leur sommet à la cote de la crue de 1924 (inférieure de près d’un mètre et demi à celle de 1910) mais n’assurent pas une étanchéité continue le long de la Seine ou de la Marne et laissent de nombreux points d’entrée d’eau par des canalisations. Les réseaux d’assainissement ne sont la plupart du temps pas pourvus de clapets anti-retour comme c’est le cas dans les pays plus habitués aux inondations (Hongrie par exemple).
Des barrages-réservoirs situés en tête de bassin sur les rivières Aube, Marne, Seine et Yonne participent à l’écrêtement des crues en amont de la région parisienne, en complément des zones naturelles d’expansion de crue (vallée moyenne de la Marne, territoire de la Bassée, etc.). En comptant les volumes supplémentaires réservés à cet effet dans les barrages hydroélectriques du Crescent et du Bois-de-Chaumeçon (bassin versant de l’Yonne), le volume total s’élève à 830 millions de m3, alors que le volume total de la crue de 1910 représente de 3 à 6 milliards de m3 selon les estimations.
Les ouvrages actuels assurent une protection efficace contre les crues fréquentes et une réduction appréciable des risques et des dommages des crues les plus importantes. Il n’est guère envisageable aujourd’hui de modifier très sensiblement ce niveau de protection, même si des améliorations sont en cours.
Au-delà de ces dispositifs, le moyen le plus évident pour se protéger des inondations reste sans aucun doute d’éviter de construire dans les zones inondables et de préserver les champs d’inondation. La réalisation des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) est (enfin) bien engagée : fin 2003, la plupart des zones à enjeux des grands cours d’eau d’Ile-de-France sont maintenant dotées d’un PPRI approuvé ou en cours d’élaboration. Ces mesures salutaires sont rassurantes (on évite d’aggraver la situation) mais ont été prises alors que le niveau d’urbanisation des zones inondables était déjà très grand : elles ne changent pas fondamentalement le niveau d’exposition collectif aux risques.
Préparer la crise
Les pouvoirs publics l’ont compris tardivement, une crue importante de la Seine et de ses affluents en Ile-de-France est une catastrophe nationale qui plonge le pays dans une situation de crise majeure : centaines de milliers de réfugiés à héberger et à alimenter pour plusieurs semaines, activités économiques paralysées, etc. Si l’on se reporte seulement aux conséquences politiques de la canicule de l’été 2003, ou à celles des crues en Allemagne ou de la coupure prolongée du métro de Prague, il ne fait pas le moindre doute qu’un événement tel que la crue de 1910, outre ses conséquences directes dramatiques, générerait un raz-de-marée politique auquel aucun gouvernement et aucune autorité municipale ne résisterait.
Nous ne pouvons malheureusement rêver d’aucune solution technique réduisant très sensiblement l’ampleur du risque. Il faut donc vivre avec. Seules voies possibles : diminuer la vulnérabilité et améliorer la gestion de crise. Il faut repérer les points faibles fonctionnels du système et mettre en place une organisation performante pour mobiliser les moyens nécessaires. Les plans de secours spécialisés sont destinés à répondre à ces préoccupations. Leurs préconisations procèdent du seul bon sens et demandent des aménagements dont le coût, même élevé, reste dérisoire au regard des bénéfices en cas de crue. Les médias se sont fait l’écho des insuffisances et incohérences qui traduisaient une impréparation coupable de l’ensemble des acteurs publics et ont eu un impact salutaire pour les placer devant leurs responsabilités. Pour être efficace, une prévision de crue à plus long terme que les prévisions actuelles à 24 heures est nécessaire. L’objectif pour le nouveau service de prévision des crues qui sera mis en place est de passer à une prévision de 72 heures, en conservant une fiabilité satisfaisante, ce qui est parfaitement réaliste.
Il est difficile de chiffrer les économies que l’on peut attendre de ces travaux, mais il est clair que quelques dizaines de millions d’euros de mesures adaptatives sont de nature à réduire du quart, ou du tiers, les conséquences concrètes de la catastrophe, permettant des économies chiffrées en milliards d’euros.
Prendre en compte le changement climatique
La situation que nous avons ainsi décrite révèle une inadaptation à trois niveaux. Structurelle : la ville occupe aujourd’hui des zones inondables de façon inadéquate. Fonctionnelle : la ville vit encore aujourd’hui sans prendre en compte le risque auquel elle est exposée et en multipliant artificiellement les conséquences d’une inondation par simple impéritie. Organisationnelle : l’impréparation de la gestion de crise vient ajouter la désorganisation et l’inadéquation potentielle des décisions à la vulnérabilité des systèmes.
Dans ce contexte, les hypothèses de changement climatique paraissent pouvoir être prises en compte par le cheminement suivant :
– l’appréciation de l’évolution des statistiques climatiques correspondant à la génération des crues est très délicate : tous les auteurs soulignent la dispersion des résultats de modélisation de la phase eau atmosphérique à échelle régionale et la profusion d’études hydrologiques « exploitant des sorties de modèles climatiques » est aujourd’hui sans doute prématurée. Vraisemblablement ces questions se seront précisées d’ici cinq ans ;
– la traduction concrète de scénarii de changement du climat du bassin serait, après modélisation, prise en compte par des modifications de la structure, voire simplement des paramètres du processus stochastique que constituent le bilan pluie-débit sur le bassin. Il se traduirait alors par une modification des statistiques de débits extrêmes, mais aussi dans une nouvelle répartition des apports sur l’ensemble des situations intermédiaires : les consignes des ouvrages sont alors à réexaminer et réoptimiser. Une plus grande abondance, ou au contraire une plus grande sécheresse en été, conduisent nécessairement à un besoin différent de remplissage des ouvrages en fin de printemps, renforçant ou relâchant les contraintes pesant sur la gestion de crue ;
– les impacts significatifs des évolutions climatiques semblent à échéance de quinze, vingt-cinq, cinquante ans. Entre temps, les réformes de la politique agricole commune seront venues modifier, peut-être très radicalement, les occupations des sols et les spéculations agricoles, modifiant la nature des besoins. Les études doivent préalablement intégrer ces données majeures.
Nous avons aujourd’hui une situation critique d’inadéquation à un aléa connu. Les mesures urgentes à prendre constituent un effort sensible par rapport aux pratiques actuelles. Une aggravation de ce risque ne ferait que renforcer leur pertinence, sans en bouleverser la nature : si la crue centennale était cinquantennale, ferions-nous aujourd’hui un autre raisonnement quant aux mesures à prendre ? En théorie oui, en pratique non : si tel était le cas nous ne serions pas dans la situation d’inadaptation flagrante actuelle.
La question de l’inadaptation n’est pas réservée aux pays en développement. Paradoxalement, nous avons affaire ici à un dispositif urbain riche et développé, mais victime de sa fragilité face à un risque insuffisamment pris en compte. Le niveau technologique des équipements et l’absence d’intégration préalable de ce type de risques contribuent à rendre très difficile cette adaptation : supporter, en en minimisant simplement les conséquences, un événement extrême devient une difficulté majeure. Pour les années qui viennent, cet enjeu domine très largement la prise en compte des effets possibles du changement climatique, encore difficiles à étudier au plan opérationnel.
mudança climática, processo de adaptação, política urbana, degradação do meio ambiente
, Franca, Ile-de-France
Pierre-Alain Roche - Directeur général de l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN, 51 rue Salvador Allende, 92 027 Nanterre cedex, FRANCE - www.eau-seine-normandie.fr)