02 / 2007
La communauté rurale de Kiliba se trouve à une quinzaine de kilomètres au Nord de la ville d’Uvira, le long de la frontière burundaise. Au moment de la fermeture de la sucrerie de Kiliba, pourvoyeuse historique d’emplois dans ce territoire, un comité de femmes, appelé Umoja wa Mama wa Kiliba (Union des Mamans de Kiliba - UMAKI) a vu le jour, se donnant pour mission d’encadrer les ménages et plus spécialement les femmes, victimes de l’arrêt de la sucrerie et de l’occupation de la zone par des soldats de l’armée congolaise. Face aux exactions commises quotidiennement par les militaires, l’objectif initial du comité était de libérer la parole de ces femmes victimes de violences. Ayant rapidement acquis la conviction qu’il leur fallait organiser la lutte en faveur de l’amélioration de leurs conditions de vie et pour le respect de leurs droits les plus élémentaires, les femmes de Kiliba se sont structurées pour faire entendre leur voix. L’UMAKI a initié des démarches de plaidoyer visant à dénoncer auprès des autorités les méfaits commis par les militaires, en envoyant notamment des lettres de dénonciations circonstanciées aux autorités concernées.
Face à l’absence de réaction de ces dernières, la décision fut prise d’organiser une “marche de colère” afin de faire entendre publiquement les revendications des paysannes et de sensibiliser les autorités sur leur situation. Parti à l’aube, le cortège est rapidement rejoint par des habitants des villages voisins, et ce malgré le refus de l’administrateur du territoire d’autoriser cette marche. Ce sont finalement plus de 3 000 personnes qui parvinrent en milieu de journée à Uvira, scandant des slogans qui dénonçaient les exactions commises par les militaires à l’encontre des populations civiles.
Malgré les nombreuses tentatives d’intimidation dont elles ont été la cible, les Mamans de Kiliba continuent jusqu’à aujourd’hui leur combat, qui a déjà porté ses fruits : plusieurs soldats auteurs de viols ont été condamnés à de la prison ferme et à payer des dommages et intérêts aux victimes ; et surtout, les villageois peuvent désormais cultiver leurs champs sans crainte des militaires. Aux actions de plaidoyer et de défense de leurs droits, le comité, qui encadre aujourd’hui plusieurs centaines de ménages, associe désormais des activités génératrices de revenus, des cours d’alphabétisation et des travaux agricoles communautaires. Si les actions judiciaires engagées contre les militaires ne sont pas toutes terminées, la dynamique sociale que l’UMAKI a fait naître au sein de la communauté représente déjà une grande victoire pour les femmes de Kiliba.
La culture de l’impunité qui a prévalu durant de nombreuses années dans certains pays de la région a profondément affecté le rapport au droit et à la justice des populations. On constate bien souvent une grande méfiance de la part de ces dernières vis-à-vis du système judiciaire.
En RDC, il a ainsi été difficile pendant longtemps d’obtenir la condamnation d’un officier de l’armée sans que celui-ci ait été auparavant déchu de ses fonctions par le président lui-même. On peut voir un avatar de cette période dans les revendications formulées par les mamans de Kiliba. Si elles exigent la traduction en justice des soldats auteurs de violations des droits humains à leur encontre, elles n’envisagent comme sanction pour l’officier à la tête de ces hommes, pourtant responsable des agissements de ses militaires, que la mutation dans un autre territoire… Requérir la traduction en justice d’un officier paraît totalement irréaliste aux yeux de ces femmes.
luta contra a impunidade, direito das mulheres, mobilização popular, violação dos direitos humanos
, República Democrática do Congo
Entretien réalisé avec les membres de l’Union des Mamans de Kiliba (UMAKI), au siège de l’UMAKI, le 16 novembre 2006.
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