L’innovation : origines et conséquences politiques, économiques, sociales, sociétales, techniques et culturelles
04 / 2006
Un article de la revue Sciences Humaines qui pose comme question celle de l’origine de l’innovation et de ses conséquences sociétales.
C’est François Caron spécialiste universitaire de l’histoire des innovations et des techniques qui va tenter d’y répondre, avec pour éclairage choisi celui du chemin de fer, parfait illustrateur de la « complexité d’une innovation technique » .
A l’origine de l’innovation
Première interrogation donc, d’où vient ce processus d’innovation ? Pour l’auteur, il s’explique bien évidemment par la volonté de résoudre des problèmes techniques, des blocages, des goulots d’étranglement mais aussi par la présence d’externalités technologiques – inventions technologiques liées aux contradictions que la mise en place d’innovations peut entraîner. Le chemin de fer, par exemple, en provoquant de nombreux accidents et incidents a ainsi malgré lui généré la création du block-system, lui même provenant du développement de la signalisation mécanique puis électrique qui amènera bien plus tard à l’automatisme des réseaux.
Mais à ces besoins purement techniques va venir se greffer une toute autre demande, cette fois-ci de nature sociale. François Caron insiste sur ce point : l’innovation a toujours pour origine une demande technique, une demande des ingénieurs mais aussi une demande sociale. La lumière en est l’illustration même : à l’origine de la lumière, on trouve la volonté de lutter contre l’obscurité, facteur aggravant de l’insécurité régnante dans les rues et – pour des raisons différentes – dans les usines.
L’accident tient également un rôle prépondérant dans la composition de la demande sociale, car chacun d’entre eux en marquant l’inconscient collectif va de fait entraîner, enclencher une volonté immédiate de recherche, d’innovation.
Perspectives politiques, sociales et culturelles
A l’origine de l’innovation il y a donc une demande technique et sociale mais aussi une demande politique : « une innovation n’est pas toujours neutre politiquement » , on serait même tenté d’aller plus loin en disant qu’elle ne l’est quasiment jamais. Ainsi le chemin de fer a clairement joué le rôle d’« instrument d’unification culturelle du territoire, de l’unité nationale » . Il aurait même été développé comme une entreprise d’unification linguistique de la France en complément de l’école publique.
Les innovations modifient donc les pratiques culturelles, sociales, mais aussi économiques et organisationnelles :
la révolution de la vapeur signera ainsi l’avènement du factory system,
la révolution du moteur à explosion et de l’électricité celui de la production et de la consommation de masse,
la révolution des technologies de l’information celui de la société de la communication de masse.
Se pose alors en conséquence la délicate question du passage d’un système technique à un autre ? Comment se produit-il ? Peut-on le qualifier de rupture ?
Le passage d’un système technique à un autre : rupture ou continuité ?
Si l’on conserve le chemin de fer pour fil directeur, on s’aperçoit vite qu’il existe dans son histoire une succession de bifurcations aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. A chaque évolution technique vont en effet apparaître plusieurs possibilités. L’option finale retenue dépendra étroitement des choix initiaux, ce qui n’est pas sans rappeler le concept de path way (dépendance de sentier) de Paul David. C’est cette expérimentation sur le terrain qui va petit à petit mener à une convergence, une standardisation, une normalisation des systèmes techniques.
L’innovation n’est donc en aucun cas une rupture comme l’a décrit Bertrand Gilles, elle est insérée dans un « système technique » . Plus schématiquement, on fait du neuf avec et grâce à de l’ancien : « pour se développer, les nouvelles technologies s’appuient sur les technologies antérieures. Il n’y a donc pas un remplacement mais une greffe de la nouvelle technologie sur des pratiques anciennes. [… ] L’innovation est un phénomène cumulatif » . Les ingénieurs ont par exemple conçu et organisé le rail en référence à la seule expérience qu’ils avaient dans ce domaine : celle de la route.
Mais comment se passe alors le passage d’un système technique à un autre ? Pour l’auteur, il s’agit là du « produit d’une dynamique, aussi bien technique que sociale, qui résulte de l’état de déséquilibre permanent du système. C’est dans cette perspective dynamique qu’il faut replacer l’analyse des dysfonctionnements et de la demande sociale. Ils sont à l’origine d’une transformation progressive mais radicale, qui se réalise par le biais des innovations, des pratiques techniques, culturelles et sociales » .
Les conséquences économiques et sociales
Comme chacun sait, l’innovation produit également des effets d’entraînement dans des secteurs industriels qui ne sont pas forcément les siens. L’industrie de l’acier va ainsi profiter du développement du chemin de fer. Cependant, d’autres industries vont voir dans le même temps leur demande baisser, c’est le fameux processus de destruction-créatrice évoqué par Schumpeter. Ainsi, avec la révolution du chemin de fer, la sidérurgie du bois bourguignonne, concurrencée par la demande massive de charbon du rail, va s’effondrer.
Chaque grappe d’innovation majeure, chaque révolution industrielle a également toujours engendré une nouvelle économie, c’est là même une de ses principales caractéristiques. Les structures des entreprises, leur organisation, leur gestion vont évoluer avec les innovations technologiques qui apportent en général des réponses à des blocages structurels de production. François Caron rappelle également que dès 1840 des mouvements spéculatifs se sont développés autour du chemin de fer, comparables en tout point à ceux qui ont entourés les start-up de la silicon valley. Les mouvements spéculatifs liés à ce que l’on a un peu vite nommé la nouvelle économie ne sont donc pas un phénomène nouveau.
Globalement, on note que les révolutions industrielles provoquent tout de même un accroissement de la productivité et du niveau du PIB. Seules leurs conséquences culturelles et sociales nationales sont difficilement envisageables et présentent une grande diversité.
Les acteurs de l’innovation
Une dernière interrogation va donc porter sur les acteurs de l’innovation. Quels acteurs ou groupe d’acteurs sont capables de déclencher un tel processus ? Pour François Caron, il y a bien évidemment l’entrepreneur-innovateur tel que décrit par Schumpeter. Mais lequel ? Celui des grandes entreprises ou des petites PME ? Et bien les deux mais avec des rôles différents : il semblerait en effet que si les grandes entreprises sont rarement absentes du processus d’innovation grâce à leur connaissance des dysfonctionnements - mais aussi à leurs capacités financières - ce sont néanmoins les petites structures qui semblent bien être le plus innovantes.
En conclusion, l’innovation insiste l’auteur ne peut se faire sans réseaux - réseau de connaissance, de solidarité et réseaux politiques - ni sans l’Etat : pour son rôle dans la recherche et son financement, ainsi que dans la réglementation. Cependant insiste François Caron, l’innovation est toujours un produit de la concurrence et ne peut se satisfaire ni de monopoles privés ni de monopoles publics.
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Artigos e dossiês
CARON François, De l’innovation sociale au changement technique, in Problèmes économiques n°2738, mercredi 28 novembre 2001, pp 30-40
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