« de l’usage du crime par la mondialisation » ?
04 / 2006
Jean de Maillard exerce la profession de magistrat à Blois. C’est donc en partie en qualité de professionnel du droit qu’il nous livre cet essai, mais également, et peut-être avant tout, en tant que citoyen soucieux de la chose publique et membre de la Fondation du 2 Mars.
Le magistrat-citoyen part du constat suivant : le développement sans précédent de la criminalité économique et financière à l’échelle mondiale. Non pas que l’auteur s’alarme de l’existence de ce phénomène, qui par ailleurs n’est pas nouveau, mais qu’il s’inquiète de son ampleur et de la mutation du rapport qu’il entretient avec la société.
En effet, auparavant, le statut sociétal de la criminalité était secondaire, analyse Jean de Maillard. Il ne menaçait pas l’ordre social. Aujourd’hui, la criminalité serait sociologiquement différente, n’étant ainsi plus uniquement propre « aux marginaux et aux classes dites dangereuses » mais évoluant parmi les élites.
Deux analyses sont alors envisageables pour expliquer ce phénomène : soit c’est l’ordre social qui est perturbé, ses fondements restant au demeurant légitimes, dans ce cas, la criminalité peut-être considérée comme une simple « manifestation pathologique » ; soit elle s’est constituée de façon intrinsèque, elle est inhérente au système et dans ce cas, celui-ci est à repenser dans son entier.
Pour J. de Maillard, l’explosion de la criminalité n’est qu’une pathologie de la crise politique qui traverse aujourd’hui nos sociétés. Cette crise serait structurelle et non conjoncturelle et aurait pour principal fondement la disparition progressive du rôle d’organisateur, de cadre, de protecteur économique et social jusqu’alors tenu par l’Etat-nation. De plus, elle serait aggravée par la perte de légitimité de la puissance publique à intervenir et à encadrer les acteurs privés. Le développement de la criminalité s’expliquerait donc par l’entrée en crise de ce « socle et pivot » de la société d’Après-guerre, intrinsèquement liée à la déréglementation économique et financière. Pour l’auteur, ce procès de libéralisation étant mondial, la crise traversée par les Etats l’est donc aussi.
Mais la mondialisation se manifesterait également par un « éparpillement indéfini et incontrôlable des formes de socialisation » entraînant le plus souvent un repli identitaire. En effet, si les Etats-nations ne peuvent plus remplir leurs fonctions de régulateur et de contrôle social cette fonction n’a pour le moins pas disparu, elle a juste été transposée vers d’autres acteurs. Le retour aux appartenances identitaires, aux communitarismes est donc une contrepartie nécessaire à la mondialisation définie par l’auteur comme « le maintien des laissés-pour-compte dans leur statut, quand on sait que ce statut, traité par des voies criminelles, est la source des rentes les plus fortes de l’économie mondialisée » , la plus-value la plus profitable se faisant désormais sur l’exploitation de la pauvreté ajoute le magistrat.
Mais là n’est pas la thèse principale défendue par Jean de Maillard. En effet, le propos de son essai est de mettre en évidence le fait que la loi soit devenue une simple marchandise. Pour justifier ce point, l’argumentaire déployé est le suivant :
La brique de base de la mondialisation est constituée de la dissymétrie entre la libre circulation des capitaux, des marchandises et des informations négociée à l’échelle mondiale par des structures cadres comme l’OMC… et le reste, c’est à dire la santé, la justice, l’éducation… laissées à la souveraineté de l’Etat. Cette distorsion, résultant d’une déréglementation à l’échelle nationale et de son non-remplacement à l’échelle mondiale, créerait ce que le magistrat appelle le marché de la loi : «cette capacité offerte par la dérégulation économique et financière de miser sur les trafics de ce qui reste interdit par les Etats-nations, sans que ceux-ci n’aient encore les moyens d’imposer leurs prohibitions » . La concurrence entre les différentes organisations qu’elles soient légales ou non passerait ainsi par la recherche en quelque sorte d’un avantage comparatif des défaillances juridiques.
La drogue, tout trafic lié à la personne humaine (prostitution, trafic d’organes, trafic de migrants…), les places financières off shore ou encore les paradis fiscaux sont des exemples parfaits de marché de la loi : leur réglementation, leur législation et juridiction étant mises sur le marché. Tout ce passe donc comme si la loi revenait au plus offrant, les Etats amendant leur législation selon la volonté du client et afin de contourner celle des autres Etats-nations.
La loi est donc devenue une marchandise et est à négocier sur le marché de la « mondialisation criminelle » .
Les modes de production industrielle, de circulation des flux financiers et des régulations sociales seraient ainsi inspirés par des comportements criminels, chacun trouvant à son niveau, selon sa classe, un avantage à la transgression des règles et des lois.
Quelles sont alors les pistes d’actions possibles pour sortir de cette situation semble s’imposer de façon inéluctable ? L’auteur propose deux scénarios : le premier consiste à laisser l’évolution de la mondialisation telle qu’elle se fait actuellement, ne pas déranger sa dynamique, jusqu’au renoncement des Etats à certains domaines de leur souveraineté et la mise en place d’une nécessaire réforme de la gouvernance à l’échelle mondiale ; le second serait une prise de conscience à court terme par les dirigeants nationaux et les membres des organisations internationales les poussant à agir en conséquence avant les contradictions systémiques internes ne les y obligent. Pour Jean de Maillard, c’est la première des solutions envisagées qui a, évidemment, bien plus de chance de se produire.
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Économie, société et environnement : des éléments de réflexion pour une société durable
A notre sens, le propos le plus intéressant de cet essai est de décrire la loi comme une simple marchandise.
Cependant les propositions, pour sortir de cet état de fait, paraissent insuffisantes ou du moins défaitistes par rapport à l’ampleur et l’étendue du problème (les « raisons d’espérer » sont minces).
De plus, étendre la crise de l’Etat-providence de manière universelle pour expliquer le développement de la criminalité peut sembler excessif.
Ajoutons aussi qu’il est peu convainquant de raisonner en cloisonnant les sphères de la légalité et de l’illégalité, la frontière entre les deux n’étant ni totalement dessinée ni totalement poreuse, l’illégalité transitant obligatoirement par la sphère de la légalité (voir Bruno Lautier notamment sur le non-cloisonnement du dit « secteur » informel). L’auteur rappelle ce fait mais l’oublie rapidement dans le reste de son raisonnement.
Enfin, le crime organisé n’a jamais été uniquement l’apanage des marginaux ni des « classes dangereuses » . Pour certains économistes elle est bien au contraire vue comme une forme organisée d’une bourgeoisie en ascension ou encore non pas comme un anti-Etat, mais comme « une composante des classes dirigeantes conduisant dans les appareils périphériques et centraux une lutte économique et politique pour l’hégémonie et la sauvegarde des conditions de développement de l’accumulation mafieuse » (voir Verccelone).
Livro
DE MAILLARD Jean, Le marché fait sa loi, Editions Mille et une nuits, juin 2001, ISBN : 2-84205-585-3.
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