2002
Réalisant une boucle intellectuelle plaisante, l’ouvrage coordonné par Pascale Vincent et Olivier Longin s’ouvre sur une critique de l’universalisme juridique accusé de dérive potentiellement totalitaire et se clôture par un appel en faveur d’un "pluriversalisme nécessairement relatif", reprenant en cela l’heureuse expression du chercheur et essayiste français Serge Latouche. Ce faisant, ce Dossier pour un débat affiche une double ambition : d’une part, nous expliquer qu’actuellement le droit, "conçu comme l’expression de la rationalité moderne (…) voit ses rôles et formes officiels remis en cause" et d’autre part, situer cette remise en cause dans un contexte de désenchantement envers l’universalisme que l’on nous a si longtemps chanté. Convoquant les thèmes de la mondialisation, de l’essoufflement de l’Etat-Nation et de la crise de la modernité comme cadres d’analyse, les auteurs ont rassemblé différents textes dans le dessein d’offrir un nouveau regard sur le droit. Et de démontrer que celui-ci représente incontestablement un outil au service des enjeux que sont le développement, la reconstruction du lien social, l’égalité ou encore la reconnaissance des minorités.
Revenant sur la philosophie qui a présidé, en France notamment mais plus largement dans toutes les sociétés occidentales, à la construction du droit, l’ouvrage rappelle que celui-ci, à l’instar de la modernité, repose sur les deux piliers que sont le "Progrès" et la "Raison". En conséquence de quoi, "le droit devient une science exacte, constituée d’un corps de lois écrites incontestables, existant par elles-mêmes, car issues d’une logique "naturelle", et applicables pour elles-mêmes, car reflétant l’intérêt général…" Généralité, unicité, universalité, les bases sont ainsi jetées d’un malentendu sur le droit qui l’éloignera sans cesse des populations auxquelles il est sensé s’appliquer et alors même - paradoxe éclairant - que ce droit prétend s’appliquer à tout le monde. Norbert Rouland, anthropologue français du droit, le dit très bien : "la pensée juridique française décrète donc l’universel avant de l’expérimenter" et le pluralisme juridique – cette idée folle que d’autres sources du droit puissent coexister avec la sacro-sainte Loi – d’apparaître alors comme le pire "obstacle à la construction de l’Etat de droit".
Mais "après deux siècles de dogmatisme bienveillant, la société moderne découvre avec inquiétude que les chemins qui étaient sensés la conduire au bonheur sont sinueux". La modernité tremble sur ses certitudes et vacille sous les coups de boutoir de la mondialisation. Ou des mondialisations, si l’on veut bien admettre, comme nous le suggère Mamadou Diouf (1), qu’à côté de la mondialisation économique, d’autres mondialisations (celles qui concernent les drogues, les contrefaçons, les migrations ou encore la langue et le mode de vie américains) s’expriment. La modernité mise à mal, ce sont la base et le sommet de la pyramide sociale qui vacillent à leur tour : l’Etat se voit de plus en plus contesté dans sa légitimité à être seul créateur de droit tandis que le "citoyen" fait valoir sa qualité d’homme, de femme, d’Indien, d’Africain ou encore de pêcheur et demande à être pleinement acteur de ses droits. Quelques textes viennent illustrer cette prise de possession du droit par les populations, qu’il s’agisse des pêcheurs de Méditerranée et du Sénégal, des Aborigènes d’Australie ou de femmes en Inde. On observe, nous disent les coordinateurs de ce livre, une "recomposition du système normatif moderne dans le sens d’une plus grande participation des individus et des groupes dans la production des normes". Et de fait, le droit est incontestablement descendu du piédestal sur lequel il a siégé durant des siècles : il est redescendu dans la rue. Dans les quartiers difficiles, le droit aide à résoudre les conflits en dehors du cérémonial judiciaire à travers les expériences de conciliation lancées par l’ancien procureur de Valence (France) Georges Apap ou dans le cadre des dispositifs de médiation qui se développent depuis plusieurs années. Des exemples pris aux quatre coins de la planète qui sont autant de "phénomènes révélateurs de cette évolution du rôle et du contenu du droit dans la société contemporaine".
Le mouvement est si important que l’on en est venu à le qualifier de "droit alternatif", notion sur laquelle revient opportunément Carlos Alberto Ruiz, avocat colombien, en la distinguant de l’expression "usage alternatif du droit". Mais quelle que soit l’expression employée, c’est avant tout les actions de résistance et d’opposition des populations qu’il faut savoir soutenir si, comme François Ost (2), on retient la nécessité de "penser le droit comme circulation de sens. (…) Un sens dont personne, fût-il juge ou législateur, n’a le privilège".
Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires, 2003
Livro
VINCENT Pascale ; LONGIN Olivier, Le droit autrement, CIEDEL, Editions Charles Léopold Mayer
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