Préservation des tortues et préservation des moyens d’existence des pêcheurs
10 / 2005
L’analyse des mesures officielles de protection des tortues dans l’Etat d’Orissa en Inde met en évidence un certain nombre de problèmes, en particulier l’incompatibilité des dispositions actuelles avec les droits traditionnels des pêcheurs. Sur ce point (droits d’accès, droits de passages, démarcation des zones interdites…), les choses ne sont pas claires.
Les propriétaires de chalutiers ont vigoureusement exprimé leur opposition aux règlements visant à protéger les tortues. Mais l’impact sur le secteur de la petite pêche traditionnelle n’est apparu vraiment qu’en 2003. A la suite des directives de la Commission centrale (CEC) instaurée par la Cour Suprême, lesquelles directives interdisaient pendant trois mois l’usage de filets maillants du côté de Devi et de Rushikulya, le Comité ad hoc pour les tortues Olive Ridley, lors de sa réunion du 10 octobre 2003, a demandé une fermeture de sept mois. Des syndicats et groupements de pêcheurs ont alors protesté car cela revenait à interdire tout type de pêche au filet maillant près des zones de nidification. C’est l’OTFWU (Union des pêcheurs traditionnels de l’Orissa) qui a pris la tête du mouvement et réclamé pour les petits pêcheurs l’ouverture de négociations avec le gouvernement local, qui ne s’est guère préoccupé de consulter les populations concernées, soit au stade de la préparation des textes, soit au cours de leur application.
Voici quelques pistes pour l’avenir quant à la problématique « Préservation des tortues et et préservation des moyens d’existence des pêcheurs » . Les tortues viennent nombreuses pondre sur les côtes de l’Orissa. Et il y a aussi beaucoup de pêcheurs en Orissa, et ils ont beaucoup de mal à vivre. Il faut donc faire bien attention. Il n’est pas envisageable de mettre en place des programmes de protection de toutes les tortues. Si on encadre les opérations de pêche dans les zones de concentration, il faudra bien préciser les temps de pêche, les lieux et les engins interdits, et cela après une honnête consultation des populations concernées. Actuellement l’OTFWU a décidé d’interdire la senne coulissante, le sankutch jaal (filet nylon monofilament à grandes mailles pour la raie) et le bhetki jaal (filet à dorade). Ce genre d’initiative en matière d’autodiscipline est rare et pas facile à faire accepter par l’ensemble des pêcheurs. Elle doit être soutenue, notamment par une meilleure implication des populations concernées dans les projets officiels de protection des tortues.
Jusqu’à présent, l’administration de l’Orissa n’a pas pris en compte les répercussions de ses décisions sur les opérations de pêche, en particulier la petite pêche. Les communautés de pêcheurs traditionnels de l’Orissa sont fragiles et elles doivent trouver leur place dans le dispositif de protection des tortues. Des décisions purement administratives ne sont nullement une garantie de succès. Tout comme les tortues, les pêcheurs font partie intégrante du paysage maritime.
Pour ce qui est de l’Orissa, il serait souhaitable de se préoccuper au plus vite des aspects suivants :
Les consultations ne devraient pas se limiter à ce qui est prévu par les textes officiels. On engagera sans tarder des échanges entre représentants des pêcheurs, les scientifiques, les militants écologistes et l’administration. Cela permettrait de définir un nouveau plan de protection pour la prochaine saison des tortues.
Les mesures de protection des tortues doivent aller de pair avec une meilleure connaissance des activités de pêche sur les côtes de l’Orissa.
Il faudra modifier le cadre juridique de la préservation de la faune, notamment pour l’espace maritime, afin que des processus de décision participative y trouvent leur place.
La préservation de la faune devrait avoir un impact positif sur la situation économique des populations de pêcheurs concernées.
Il est indispensable que les populations locales, en particulier les pêcheurs, participent à l’effort de protection de la faune. Elles connaissent bien l’environnement marin, et les « protecteurs de la nature » ont tout intérêt à travailler avec elles plutôt que de les tenir à l’écart.
Une meilleure coordination s’impose entre les divers services de l’Etat : Direction des pêches et des forêts, garde-côte, etc. On réexaminera au besoin leurs missions afin de tenir compte à la fois des besoins économiques des populations locales et des nécessités de la protection de la nature.
Il faudra agir dans la transparence et de façon responsable lorsque les mesures à prendre auront vraisemblablement des répercussions sur les pêcheurs, en particulier quand ceux-ci seront contraints de trouver une autre occupation. Il reste à définir qui doit s’occuper de ce problème. Par souci de justice sociale, on pourrait peut-être considérer les mesures de protection de la faune comme une forme de « déplacement de population » et la « réorientation professionnelle » comme une « mesure de réhabilitation » .
La question que l’on doit se poser est la suivante : quel va être l’impact des mesures de préservation de la faune sur les moyens d’existence traditionnels de la population ? Dans les moyens d’existence des pêcheurs, on considérera l’outil de travail dont ils disposent, leurs potentialités, leur capacité à vivre de leur travail. Des « moyens d’existence durables » doivent réunir un certain nombre de critères : équité, équilibre écologique, approche participative dans les processus de prise de décision en matière d’exploitation et de préservation de la ressource.
Les répercussions directes et indirectes que peuvent avoir les mesures de protection de la faune sur le travail des femmes ne retiennent pas toujours l’attention. il faut que les plans d’action prennent aussi en compte la situation des femmes dans ces populations de pêcheurs.
Les défenseurs de la nature, les tribunaux, les écologistes conservationnistes, les scientifiques et les syndicats de pêcheurs doivent comprendre que le problème des tortues est forcément un aspect de la gestion des pêcheries et que les pêcheurs sont partie intégrante de l’espace maritime. En faisant preuve d’ouverture d’esprit et de sens du dialogue, on pourra peut-être parvenir à innover hardiment afin d’assurer une bonne coexistence entre pêcheurs et tortues.
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, Índia, Orissa
Texte traduit en français par Gildas Le Bihan
Texte d’origine en anglais publié dans le livre : AARTHI Sridhar, Sea Turtle conservation and fisheries in Orissa, India, ICSF, 2005 (INDE), p. 30, 35-36, ISBN 81-902957-9-9
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