Durant l’été 1992, un moratoire de deux ans sur la pêche de la morue nordique a été décrété par le gouvernement canadien du fait de la diminution inquiétante des stocks dans une région considérée comme l’une des plus riches du monde en ressources halieutiques.
Toutes les mesures semblaient pourtant avoir été prises pour éviter cette situation :
- L’instauration des zones économiques exclusives (ZEE)en 1977 avait permis de limiter aux bateaux canadiens la pêche à moins de 200 miles des côtes.
- Le Canada avait en même temps adopté un programme sophistiqué de gestion de la pêche pour assurer la pérennité des ressources. Au terme de calculs complexes, les prises ne devaient pas excéder un quart de la biomasse exploitable afin d’assurer un taux correct de renouvellement.
Ce système fonctionna bien durant les années 1970, les populations de poissons augmentaient rapidement.
Mais au tournant de cette décennie, l’effort de pêche redoubla, attiré par une montée en flèche du prix du poisson et par des incitations gouvernementales.
En 1982, était atteint le plus haut niveau de prises depuis la fin des années 1960. Mais des signes préoccupants concernant la croissance de la population de poissons apparaissent.
Le gouvernement décida donc de prendre des mesures pour limiter l’exploitation des ressources (interdiction de l’utilisation des nouveaux armements mobiles, restrictions quant à la taille des vaisseaux, restrictions des sorties en mer, limitations de matériel, zones d’exclusion).
L’effet de ces mesures fut cependant presque annulé par le développement technologique des bateaux (détecteurs électroniques de poissons, moteurs plus puissants, matériel plus efficace)et par la multiplication des fraudes de la part des pêcheurs.
Ainsi, la surexploitation continua sans alarmer politiques et scientifiques. Elle fut même d’autant plus grave qu’un incident survint au printemps 1991 : une chute de 100 000 tonnes dans les prises de pêche à l’Est du Canada fut enregistrée.
Des scientifiques réunis à Terre-Neuve en janvier 1993 se penchèrent sur ce problème, estimant que les navires étrangers, accusés par le gouvernement canadien de se livrer à la surexploitation en dehors de la zone économique exclusive, n’étaient pas seuls responsables de cette situation.
Ils élaborèrent trois théories pour expliquer la quasi-disparition de la morue dans cette région :
"- les changements de l’environnement tels que le refroidissement de l’eau et le manque de nourriture peuvent avoir engendré chez le poisson des stress qui entraînent la maladie et la mort,
- la population croissante des phoques dans l’est du Canada, en constante augmentation depuis que les groupes écologistes se sont élevés contre leur massacre, a un impact au niveau de la prédation,
- la population de morue a pu décliner depuis un certain temps sans que l’on s’en aperçoive".
D’autre part, des chercheurs de huit universités canadiennes et trois sociétés de pêche ont mené une étude sur les larves de morue en pleine mer.
Leur objectif était de découvrir pourquoi trois ou quatre larves seulement survivaient sur les deux ou trois millions d’oeufs pondus par une femelle. Ils examinèrent les larves en laboratoire les larves et croisèrent les données relevées avec la salinité de l’eau, la température, la profondeur et le lieu de leur capture. Cette étude devait s’achever à la fin de la période du moratoire et livrer les raisons de la disparition des 100 000 morues adultes au large des côtes de Terre-Neuve au printemps 1991.
Face à ce problème, le gouvernement a réagi, il a compris l’urgence de la situation. Le ministre des pêches, John Crosbie, disait en janvier 1993 : "Je suis convaincu que si aucune action efficace n’est menée, nous pourrons nous estimer heureux s’il reste quelques poissons dans huit ou dix ans. Nous avons les moyens techniques de venir à bout de tous les poissons dans les océans du monde entier".
Le gouvernement a d’abord envisagé d’étendre sa zone économique exclusive afin de repousser les navires étrangers des rivages canadiens. Il a impulsé des mesures de reconversion pour les pêcheurs et les ouvriers des usines de traitement de poissons (retraites anticipées, compensations financières)et prévu de consacrer 800 millions de dollars canadiens pour les assister.
Enfin, le moratoire de deux ans devrait permettre la survie de l’espèce mais sans doute pas de retrouver des ressources aussi nombreuses que par le passé.
ressources naturelles, pêche industrielle, pêche, mer
, Canada
Biodiversité : le vivant en mouvement
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MC CLELLAN, Scott in. CERES, 1993/07, N°142
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