Les actionnaires critiques de Bayer

Il est bien connu que beaucoup de grandes sociétés multinationales qui adaptent leurs stratégies aux lois du profit sont responsables d’un certain nombre de procédés de production peu respectueux des droits des travailleurs et de leur environnement. L’industrie chimique est parmi les plus polluantes ; elle impose aussi souvent des conditions de travail dangereuses à ses employés qui, dans de nombreux pays du Tiers Monde, ne savent même pas quels sont les risques qu’ils encourent.

Le géant allemand de l’industrie chimique BAYER se voit confronté, depuis une dizaine d’années, à un groupe de pression qui le dérange au plus haut point : l’initiative de la « Coordination contre les dangers de Bayer » (Coordination gegen Bayer-Gefahren) conseille à ses adhérents d’acheter des actions de Bayer et de venir si possible à l’assemblée générale qui a lieu tous les ans dans les bâtiments de la foire de Cologne.

Grâce à l’affluence de ces nouveaux actionnaires, elle est aujourd’hui la plus grande assemblée générale du monde entier. En 1992, on comptait plus de 20000 personnes. BAYER qui investit des millions de DM dans cette manifestation n’en est pourtant pas ravi : les visiteurs sont accueillis non seulement avec des cadeaux de bienvenue généreusement distribués par le comité de direction, mais aussi par de nombreuses pancartes, tracts, manifestations (exemple : une danse spectaculaire autour du veau d’or).

Les responsables de l’entreprise sont obligés de supporter que des hommes et des femmes du monde entier parlent, devant la presse et des milliers de spectateurs, des points noirs de certaines pratiques industrielles : exportations d’insecticides défendus en Europe, salaires de misère et mauvaises conditions de travail en Amérique du Sud, non-reconnaissance de la responsabilité de l’entreprise face aux victimes de la production du chrome en Afrique du Sud…

Pour plaider la cause des familles de ces derniers, un professeur de l’université de Natal, venu exprès, souligna, en avril 1992, qu’au lieu de soigner les malades, Bayer s’était hâté de les licencier. Selon un rituel bien rôdé, les responsables déclarent régulièrement qu’il ne peut s’agir là que de mensonges. Leur crédibilité a cependant été ébranlée, après une série de procès pour diffamation intentée en 1987 et qui montèrent jusqu’au tribunal constitutionnel suprême de la R.F.A. Les juges déclarèrent très clairement que les risques pour la démocratie ne venaient point des actionnaires critiques, mais des jugements susceptibles d’empêcher leurs actions. Victoire de David contre Goliath obtenue de haute lutte et qui a donné un nouvel élan aux militants.

Autres succès importants : en 1982, BAYER a dû mettre un terme à ses pratiques de verser des centaines de milliers de tonnes d’acides dilués dans la mer du nord ; en 1989, les actionnaires critiques ont soutenu les grêves de BAYER DE BRASIL en faisant pression sur la centrale située à Leverkusen ; ensuite ils ont fait passer dans la presse européenne le comportement injuste de BAYER envers les grévistes à Lima. Les échanges et la coopération avec les syndicats dans les pays du Tiers Monde se sont depuis beaucoup développés.