L’éducation au développement, utile au Sud comme au Nord
11 / 2001
Etienne TOE, ancien cadre de la Fédération de Unions des Groupements Naam au Burkina Faso et délégué de l’ONG Eau-Vive au Mali explique ceci : "Des africains fondent des associations, (des ONG) pour être un intermédiaire entre les communautés et les donateurs. Ils vont être les intermédiaires pour essayer de venir au secours de leurs parents en détresse.
Beaucoup de gens ici pensent que le monde occidental, c’est le monde de Dieu ou du Paradis. J’abuse un peu mais en tous cas ils pensent que l’homme blanc c’est quelqu’un qui a des mines d’or. Quand il arrive en Afrique c’est pour distribuer de l’argent. Cette mentalité est restée souvent ancrée ici. Donc ils te voient en prophète, en sauveur. Quand tu viens comme ça, ils croient que tu vas les sortir de leur ignorance ; ils te diront ça tout de suite : "Nous avons confiance en toi. On compte sur toi pour nous délivrer de notre mal, de notre souffrance, de notre ignorance et de notre manque d’eau". Voilà tout de suite ce qu’ils vont penser de toi. Et si tu leur expliques que le manque d’eau n’est pas tellement ton objectif, ton problème, là tout de suite ils vont penser autrement. Ils diront : "celui-là n’est pas venu pour nous aider".
Les ancêtres ont une très grande place dans la société traditionnelle africaine. Après Dieu, ce sont les ancêtres qui comptent. Et cette mentalité, parfois, on la néglige. Parfois on entend : " l’immobilisme africain " , ou " les Africains sont ce qu’ils sont, ils ne veulent pas changer " et que " Le développement n’est pas l’affaire des Africains ". Cela est faux. On n’a pas préparé, ou du moins, on n’a pas donné le temps et les moyens aux Africains de s’adapter aux nouveaux changements. D’abord tout le monde n’a pas été à l’école, et par exemple l’accroissement démographique, même s’ils le perçoivent: qu’ils voient que les gens deviennent nombreux sur les terroirs, ils n’en ont pas mesuré les conséquences. Sauf les gars qui sont allés à l’école, mais ceux-là quittent pour aller dans les villes, ce n’est pas leur problème de retourner auprès de leurs parents pour renseigner que "c’est chaud-là".
Mais, quoi qu’on veuille, on est devant une réalité que personne ne peut nier : les sociétés africaines sont en train de changer. Les communautés africaines sont en train d’évoluer. Il n’y a rien qui soit sans problème. On est en train de chercher. Avant on ne connaissait pas les affaires de démocratie, les affaires de partis politiques, de décentralisation, vous voyez, c’est en train de muter, on ne peut pas fermer les yeux sur ça. Ceux qui croient qu’il faut rester tels que nous étions avant, la famille ou autres, je crois qu’ils se trompent. Pour moi, en fait, ils vont se planter.
La solution c’est l’éducation au développement. Il faut éduquer les gens au développement. Parce que le développement n’est pas acquis, on ne se lance pas dans le développement, c’est comme dans toute chose, il faut une formation. On devrait enseigner le développement au Sud, comme on enseigne le développement au Nord. Il y a des gens qui interviennent pour dire : "C’est pour avoir bonne conscience. La solidarité ce n’est pas mon problème". Non, il faut être solidaire avec ceux qui sont à côté, à proximité.
Le développement, pour moi, c’est un tout : on manque une partie et on a une partie. Et il faut compléter. Parce que celui qui va faire son travail, mener ses choses, on vient pour l’aider à avoir le reste. C’est différent de la charité. C’est pourquoi je dis qu’il faut une éducation au développement parce qu’il y a beaucoup de gens qui confondent charité et développement. S’ils étaient éduqués - au nord comme ici - pour comprendre développement, pour comprendre ce que les communautés africaines font de l’argent qu’ils leur donnent, peut-être que ça va changer les idées.
En fait, en Afrique sahélienne, c’est ceci qu’il faut faire : réparer le mal et faire le développement. Il faut donc dire de réparer d’abord les situations difficiles. C’est là que tu vas commencer à éduquer les villageois. Leur montrer leurs ressources en disant : "S’il faut faire une école, voilà ce dont on a besoin. S’il faut faire un puits, voilà. S’il faut faire un centre de santé, voilà. S’il faut faire un périmètre maraîcher aussi, voilà ". Eux ont des besoins, on va sur le terrain, on les identifie ensemble dans des réunions, des assemblées et puis ils disent : "Voici nos moyens". Parce que ce ne sont pas les ressources qui manquent pour faire l’ouvrage. Par exemple il y a les champs qui sont dégradés, asséchés par 3 phénomènes conjugués : le phénomène naturel avec la sécheresse et le manque d’eau, le phénomène humain (trop d’animaux qui vont divaguer et gâter) et aussi le système traditionnel d’exploitation des terres par la culture itinérante sur brûlis. On va essayer de corriger tout cela par l’animation, la formation. En leur apprenant de nouvelles méthodes de lutte anti-érosive, la conservation des eaux et du sol et l’agroforesterie.
agriculture traditionnelle, paysan, société traditionnelle, éducation et changement culturel
, Mali, Burkina Faso, Sahel
Des points de vue clairs et argumentés sur La vision des villageois sur l’Occident et le développement local et leurs conséquences sur la démarche des ONG.
D’autres fiches tirées du même interview présentent l’évolution des structures sociales et d’aide au développement dans la région du Sahel. Voir fiches GRAD extraites du même interview.
Entretien avec TOE, Etienne réalisé en mai 2000 à Bamako (Mali)
Entretien
VADON, Christophe ; GUERIN, Jérémie
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