Exemples de troc réussis et appréciés par les deux parties
2002
M. Julien BADJI, semencier-pépiniériste, nous parle de sa pratique du troc : " Je sais que les services étatiques n’ont pas de budget de fonctionnement. Ils ont seulement un budget d’équipement des infrastructures. Alors ils me donnent des graines que je vends aux gens qui en ont besoin et j’encaisse l’argent quelque temps après en les revendant. Je ne fais pas seulement du troc avec les services étatiques.
Pour greffer un manguier, on me donne l’équivalent de 500 FCFA (5 FF). Une fois, je suis parti dans un village pour greffer et j’ai dis au gars qui voulait que je greffe ses produits de me payer avec un poulet parce qu’il n’avait pas d’argent. Quand j’arrive au village, c’est sûr qu’il y a un instituteur ou le père qui a besoin du poulet, alors je le lui vends et j’encaisse l’argent. J’ai trouvé qu’il fallait que j’entre dans ce système-là. Les clients sont satisfaits de mes services et je suis également satisfait de la paye des clients. Cela peut être une chèvre, un mouton, un poulet ou autre chose.
J’ai aussi trouvé un système avec un groupement de femmes qui avait 2 hectares à greffer, ce qui me prend une semaine. Je leur ai proposé de le faire en échange de ce qu’elles pouvaient me donner. Elles m’ont demandé ce que je voulais et j’ai répondu du mil. Alors chaque femme est venue avec 2 pots d’un kilo de mil. Elles m’ont demandé ce que je voulais d’autre alors je leur ai demandé de repiquer ma rizière, de la désherber et elles ont accepté. Je leur ai aussi demandé de récolter la rizière. Je ne les prenais pas en charge pour la restauration car elles amenaient avec elles de quoi manger. J’ai calculé l’équivalent de la paye, de la restauration et j’y ai trouvé mon compte. J’ai greffé les 2 hectares et elles sont contentes. Ma femme n’a pas désherbé cette année car les femmes sont venues en grand nombre, tout un village. Cela c’est bien passé et j’ai gagné du prestige au village parce qu’on a vu tout un village se déplacer, un village qui était à 4 ou 5 villages de mon village, pour travailler dans ma rizière pendant la saison des pluies. Les gens ont dit : "Ce gars a des personnes, si on l’attaque il aura beaucoup de défenseurs car il est connu dans les autres villages et il a du monde derrière lui". Et là j’ai trouvé que le troc était intéressant.
J’ai proposé dernièrement à ma femme d’acheter des ballots de fripes qui coûtent 60 000 FCFA (600 FF) à Dakar. Mais au lieu de les vendre et qu’on la paye en espèces, qu’elle dise à chaque femme de la payer en nature, par exemple avec les fruits de néré ou le nététou. Les Gambiens font la même chose, ils achètent des bols ou des bassines qu’ils vous donnent et en contrepartie vous leur donnez du néré. Après ils vont à Kaolack pour les vendre dans les marchés hebdomadaires.
Un autre exemple : une station fruitière de l’ISRA (Institut Sénégalais de Recherche Agricole) vend de la semence de porte greffe d’agrume appelée le volecaméliana. L’année passée ils m’ont demandé si je pouvais fournir un marché. J’ai répondu oui et ils m’ont demandé de fournir un kilo. Donc ma femme est partie à Dakar avec un kilo de volecaméliana. Arrivée là-bas, elle devait rencontrer un Mauritanien. L’ISRA était intermédiaire parce que leur semencier était en baisse de production. Ma femme a rencontré le client mauritanien qui lui a demandé ce qu’elle faisait. Elle a répondu qu’elle faisait de la semence alors le client lui a demandé si elle en avait encore. Elle a répondu oui en lui disant que c’était son mari qui lui avait amené ça. Le lundi à 14 h on m’a téléphoné ici et je suis parti le mardi. Le mercredi matin je suis allé à l’ORSTOM, à la chambre froide, pour sortir ce que j’avais gardé comme semence de volecaméliana. J’ai donné ça au Mauritanien qui m’a demandé si je pouvais en fournir régulièrement. J’ai répondu oui et il m’a demandé de lui fournir également des noyaux de mangues. Au mois de juillet, je suis parti avec mon fils ravitailler ce marché en Mauritanie. Ils nous ont réceptionnés à Rosso, Sénégal. Le client m’a montré ce qu’il faisait comme pépinière. Il m’avait déjà payé en espèces. Mais pour les manguiers il m’a proposé le troc, donc il était au courant de ce système. Quand il m’a demandé ce qui m’intéresserait comme échange, mon fils a répondu télé-vidéo. Le gars a dit que c’était possible et a ajouté que j’aurais aussi sûrement besoin d’équipement comme un micro-ordinateur et une caméra pour filmer mes expériences. Le marché est ouvert. Alors il m’a dit de fournir autant que je voulais et de lui demander également tout ce que je voulais en contrepartie.
Présentement je suis revenu avec un marché que je suis en train de produire. Le gars m’a offert du matériel didactique. Il m’a également dit qu’il faisait de la semence de riz du fleuve, du côté de Richard-Toll, et je trouve que la Casamance est en déficit de semence de riz au mois de juin. Alors si l’Entente de Diouloulou et GUEDO (une association paysanne proche) me le permettent, je peux venir avec 5 tonnes de semence de riz car c’est l’équivalent d’une tonne de noyaux de mangues que j’ai placée en Mauritanie dans la région du fleuve. Le transport ne coûte pas grand chose par rapport à ce que je gagne.
Je trouve que le troc est intéressant et je vais le développer. Ce système n’est pas bête tant que tout le monde y trouve son compte. J’y ai trouvé mon compte. Le troc n’est pas nouveau, il se pratique dans les villages, on est seulement en train de le réactualiser. Je n’ai rien inventé, je n’ai fait qu’entrer dans le circuit. "
échange non monétaire, milieu rural
, Sénégal, Bignona
Le troc est une pratique courante mais ici il est utilisé comme moyen de paiement à part entière et montre que ce modèle peut être généralisable.
Voir les fiches extraites du même interview mené par Benoît Lecomte en mars 1999.
Entretien avec BADJI Julien, réalisé à Bignona en mars 1999.
Entretien
LECOMTE Benoît
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