12 / 1993
Au moment où le débat sur la dépénalisation bat son plein en France, où partisans et adversaires opposent leurs points de vue, l’auteur aborde le problème du marché de la drogue sous l’angle de l’économie et de la criminalité. Vaste et prospère, ce marché (300 milliards de dollars par an de chiffre d’affaires pour les pays occidentaux, 80 milliards de profits blanchis par les trafiquants)est géré par des méthodes très élaborées d’accumulation de richesse et de pouvoir. Ce marché repose tout d’abord sur la prohibition qui crée un monopole artificiel entre le vendeur et l’acheteur puisque ce dernier ne peut s’adresser qu’à un seul vendeur afin d’obtenir le produit interdit (haschisch, cocaïne, héroïne...)qu’il est prêt à payer le prix maximum. En outre, il ne peut contrôler la qualité du produit qu’il achète.
Ces deux paramètres permettent au vendeur, tout puissant, de jouer sur les dynamiques du marché. En diminuant la quantité de produit, toujours vendu sous le même nom et au même prix unitaire, il contraint le consommateur à en acheter davantage s’il veut obtenir le même effet. Il réalise des bénéfices (en augmentant en fait les prix)et accroît son emprise sur l’acheteur qui pour financer sa consommation personnelle croissante, doit lui-même devenir vendeur et rechercher de nouveaux clients. Ainsi, contrairement à l’économie légale où le fournisseur baisse les prix afin d’élargir la demande, leur augmentation régulière, dans le secteur de la drogue, stimule la demande par l’intermédiaire des consommateurs-vendeurs. Quant à la répression, ponctuelle par nature, elle accentue ce phénomène. Durant l’enquête, elle entraîne la raréfaction du produit puis justifie ensuite les augmentations de prix. En période de demande croissante sur un marché maîtrisé, la micro-économie de la drogue est donc régie selon ses propres mécanismes qui reposent sur le système du consommateur-vendeur.
Par contre en période de baisse de la demande ou de conquête d’un nouveau marché, "l’entreprise clandestine de drogue" utilise les méthodes du secteur légal : prix-promotion pour convaincre de nouveaux clients, ventes avec primes ou même à crédit, avances... le but ultime étant de mettre le consommateur en position perpétuelle de débiteur.
Quelle que soit la méthode, l’augmentation des prix ne détache pas le consommateur du produit, en raison de la dépendance physiologique qu’il entraîne. Cette dépendance explique notamment la "courbe inélastique" de la demande qui n’est pas fonction du prix.
Complexe, la micro-économie de la drogue s’analyse également d’une manière stratégique selon la théorie des jeux. Il apparaît alors que le jeu du trafiquant de drogue et le jeu économique légal sont inversés. Dans le marché régi par des normes légales, vendeur et acheteur jouent d’une manière coopérative et chacun cherche l’accord avec l’autre. Le but du vendeur est d’obtenir de la richesse et non du pouvoir. Par contre, par rapport à ses collègues, il ne cherche pas à coopérer mais plutôt à éliminer la concurrence. A contrario, le but du trafiquant n’est pas de coopérer mais d’assujettir l’acheteur le plus possible. Il veut le pouvoir qui générera de toute façon la richesse en raison des prix élevés pratiqués. Quant à la relation avec la concurrence, elle ne vise pas à l’élimination de l’autre mais à l’accord par le biais souvent de l’intimidation.
drogue, secteur informel, politique des prix, commercialisation, consommation, circuit de distribution
,
Président de l’Observatoire géopolitique des drogues - qui dans le débat présent a décidé de ne pas prendre parti mais plutôt d’apporter des éléments de réflexion utiles au débat -, Charles-Henri de Choiseul-Praslin est, à titre personnel, partisan de la dépénalisation. Cet avocat alimente ici le débat en mettant en lumière les mécanismes compliqués qui régissent le commerce illicite de la drogue.
Synthèse de la communication faite au colloque : LA GEOPOLITIQUE MONDIALE DES DROGUES (10-12 décembre 1992 ; Paris)/organisé par l’OGD avec le soutiende la Communauté européenne.
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
CHOISEUL PRASLIN, Charles Henri de, OGD=OBSERVATOIRE GEOPOLITIQUE DES DROGUES, SEUIL, 1993/11 (France)
OGD (Observatoire Géopolitique des Drogues) - France