02 / 2002
Ce document, à travers une lecture "épistémologique" de textes anglo-saxons porte un regard sur les présupposés et les représentations inexactes ou implicites qui sous-tendent les discours et les actions de développement. Il ne se limite pas à l’analyse de ceux-ci mais se penche également sur les conséquences volontaires ou non de ces actions, projets et programmes.
Ce document invite les développeurs à prendre du recul par rapport à un certain nombre de caractéristiques du système d’aide, à être plus vigilants par rapport à la culture de développement, à être plus conscients des logiques et contraintes structurelles au sein desquels ils agissent, à prendre en compte les savoirs des populations dans toute discussion sur le développement.
Il distingue deux grands ensembles de théories dans l’histoire de la notion du développement :
1-Un ensemble fondé sur un discours social et humaniste qui ajoute au processus historique un aspect moral au développement en tant que réducteur de pauvreté et vecteur de modernisation. Il est basé sur deux significations étroitement imbriquées : le développement comme transition ou transformation vers un économie moderne, industrielle, capitaliste et le développement comme amélioration de la qualité et du niveau de vie. L’idée que la modernisation est le remède à la pauvreté a été critiquée très tôt par certains, notamment les néo-marxistes. Quelle que soit la signification accordée au terme de développement, une idée majeure soutient finalement tout l’édifice de ce système de pensée : l’idée que l’aide et l’investissement international, le transfert de connaissances, de techniques de production ainsi que des mesures pour améliorer la santé, l’éducation et la planification économique, permettront aux pays pauvres de devenir des marchés économiques " normaux ".
2-L’ensemble des représentations que les agences et experts du développement se font des groupes sociaux à développer. Parce que l’objectif premier de ceux-ci est d’agir et de mettre en application des politiques, programmes et projets de développement, ces représentations sont nécessairement en dehors de la réalité car elles s’appuient sur des hypothèses scientifiques fallacieuses, sur lesquelles ils n’ont pas de prise et pour lesquelles ils s’avèrent souvent incompétents. Et ce, en raison de la fonction même de ces acteurs du développement. A cela s’ajoutent la domination symbolique du savoir occidental sur les savoirs locaux et un contexte international très favorable à toute problématique environnementale, qui place l’environnement au centre des préoccupations planétaires. La focalisation sur de telles questions permet, de façon presque certaine, d’obtenir de l’aide. Par exemple, l’idée que l’environnement africain se serait nettement dégradé au cours du XXème siècle et les raisons justifiées de cette dégradation (désertification ou recul de la forêt) montrent bien comment les représentations que se sont forgées ces acteurs, sur les raisons de la dégradation de l’environnement reposent sur "un choix partial et partiel d’hypothèses scientifiques contestables". Cette image est ainsi devenue l’un des meilleurs moyens pour accéder aux financements des donateurs.
De plus, les agences et experts construisent aussi une image particulière des mondes sociaux ou des modèles idéalisés du social sur lesquels ils projettent d’agir. Ils tendent à "chosifier" le social afin d’obtenir la confiance d’un large public. Ils renforcent ainsi la persistance de ces fausses croyances, et font abstraction des mondes sociaux et individuels locaux au profit d’une notion de "communauté indifférenciée". Par contre, la façon dont les choix et méthodes de développement influent sur l’impact effectif des actions (dispositif d’intervention, relation avec la population, méthodes de travail) reste peu ou pas analysée.
Toutes ces erreurs ne sont pas dues à l’incompétence ou à l’ignorance des acteurs de développement mais à la logique structurelle du système d’aide; car les actions doivent correspondre aux intérêts du développeur tout en devant plaire au différents publics cibles. Une analyse scientifique ne sera utile aux agences et experts, que si elle propose des interventions qu’ils savent faire. L’objectif est donc de trouver ou d’inventer des problèmes qui justifieraient leurs interventions dans des opérations standardisées au détriment de certaines réalités locales. D’où une ambiguïté et une contradiction dans toute politique de développement. Le paradoxe de ces approches participatives résulte en fait d’un conflit entre le pouvoir détenu par l’agence et les bailleurs sur les ressources financières et leur objectif de transférer le pouvoir aux bénéficiaires des programmes de développement.
De plus, ce rapport évoque l’idée que la véritable importance des programmes et projets de développement réside peut être dans leurs effets non intentionnels, qui peuvent être multiples : la dépolitisation des problèmes, en réduisant par exemple, la pauvreté à un problème technique, et en promettant des solutions techniques aux souffrances des opprimés et des dominés ; la diminution des libertés individuelles et des marges de manouvre, à cause d’une bureaucratisation des formes de pouvoir au sein de l’Etat ; et la diffusion des savoirs techniques et scientifiques occidentaux. Paradoxalement, un projet peut aussi réaliser en affichant fortement des objectifs neutres et techniques, des opérations politiques très sensibles, et, renforcer et étendre le pouvoir institutionnel de l’Etat, sous couvert d’une mission neutre et technique à laquelle personne ne peut s’opposer.
Pour conclure, même si ce document pointe du doigt les différents obstacles réels au progrès rationnel, pour autant il ne faut pas avoir une image trop uniforme du monde du développement. Le système d’aide, ses acteurs, leurs motivations, leurs engagements, ainsi que les structures logiques institutionnelles qui les composent restent très variées.
théorie du développement, coopération Nord Sud, analyse, résistance culturelle, représentation de l’autre
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Document interne
FAUGERE, Elsa, Gret, Direction scientifique, Regards sur la culture développementiste : représentations et effets non intentionnels, GRET , 2000/02 (France), Document de travail n°20, Dire, 26 pages
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