Le principe de l’échange d’expériences comme principe démocratique
10 / 1999
La rencontre de Dakar "Habitants, élus et professionnels de la ville" de février 1998 avait rassemblé des participants venus de 11 pays africains (Afrique de l’Ouest et Cameroun). Elle s’inscrivait dans la suite des principes d’action définis à Caracas (1991), Salavador de Bahia (1993) et du sommet onusien "Habitat II" d’Istanbul au cours duquel avait été organisé, parallèlement à la rencontre officielle, un forum des habitants.
Au cours de cette rencontre, les habitants africains ont estimé nécessaire la création d’un réseau interafricain pour échanger leurs expériences, se former à l’action citoyenne et se renforcer mutuellement, dans le but de construire un partenariat identifié face aux réseaux de maires et de techniciens intervenant en Afrique.
Un an plus tôt, une formation Dph, Dialogue pour le Progrès de l’Humanité, de deux jours avait été organisée à Dakar, consistant à initier 8 participants sénégalais à la technique du récit d’expérience écrit, selon le format "fiche". Lors de la rencontre de février 1998, il s’agissait de relever un certain nombre d’initiatives sélectionnées en impliquant la petite équipe sénégalaise déjà formée dans le traitement des informations recueillies. L’objectif était d’obtenir des fiches immédiatement exploitables pendant la rencontre, ce qui fut fait : 25 fiches ont en effet été rédigées par ce moyen.
Les huit personnes initialement mobilisées et formées n’ont à ce jour pas donné suite. En revanche, plusieurs participants habitants qui ont été interwiewés à Dakar ou qui ont collaboré à la démarche d’une façon ou d’une autre se sont retrouvés dans le noyau actif qui tente depuis plus d’un an de mettre sur pied le réseau interafricain d’habitants. D’autres, toujours au sein du réseau, ont entendu parler de Dph et/ou ont eu l’occasion de lire des fiches.
C’est ainsi que lorsqu’en février 1999, nous entreprenons une tournée africaine pour reprendre contact avec les participants de la rencontre de Dakar, Dph existe dans l’imaginaire de beaucoup comme une planche de salut pouvant remédier à l’immense difficulté que représente toute entreprise de communication à distance en Afrique. Mais il s’agit là d’une "pensée magique", semblable à celle qui institue l’usage d’Internet comme garant absolu de la démocratie planétaire. La déception risquant d’être fatale, nous choisissons de resituer Dph dans le cadre de l’organisation du RIAH, dans son volet communication, en provoquant plusieurs ateliers de travail sur cette question. En effet, ne pas faire ce détour par une réflexion globale sur les enjeux et la complexité d’un système de communication interafricain ne pouvait que déboucher sur une clôture du sens, du sens de l’échange en particulier.
Parallèlement, les ateliers Dph que nous avons organisés à Dakar, Abidjan, Yaoundé et Cotonou sont toujours partis du récit, d’abord oral, puis écrit et ont donc fait une large place à l’écoute et à la critique raisonnée. La synthèse de ces "causeries-débats" a permis d’alimenter utilement d’autres discussions portant sur les thèmes de travail prioritaires du RIAH et surtout de convaincre les participants de la nécessité et de l’intérêt de systématiser l’échange. En effet, les participants ont unanimement apprécié ces ateliers et la méthode d’animation participative qui lui est inhérente et tous ont souhaité voir se généraliser ce type de méthodologie.
L’effort du passage à l’écrit n’a ici jamais eu pour but d’obtenir une série de textes que nous aurions pu finaliser à Paris sous forme de fiches Dph, l’expérience nous ayant amplement démontré que le résultat est en général insatisfaisant (par manque de temps) et surtout ne donne lieu à aucune suite. Mais l’exercice permet d’avoir une idée précise du type de travail à faire sur l’information pour qu’elle puisse passer les frontières, afin que l’on soit en mesure de s’engager par la suite en connaissance de cause et d’opérer des choix utiles au réseau.
Le résultat des différentes réflexions menées sur le système de communication à partir du "concept" Dph a permis de mettre en lumière le fait que la circulation horizontale et décentralisée de l’information dans le réseau et la non-captation du savoir-faire par des spécialistes sont les conditions sine qua non de son existence en ce qu’il "défait" en permanence la tentation -dénoncée par tous- d’une centralisation bureaucratique (et autocratique). Ce qui fut érigé en principe d’organisation fondamental au moment de la première assemblée générale du réseau à Abidjan, en mai 1999.
réseau d’information, réseau de citoyens, usage social de l’information, valorisation de l’expérience, méthodologie dph
, Afrique de l’Ouest
Depuis la rencontre de Dakar en février 1998, Dph a contribué à l’émergence d’une "culture de réseau" parmi les participants habitants selon un processus que l’on pourrait approximativement résumer comme suit :
* Phase 1 : des habitants africains découvrent que leur expérience mise en fiche peut avoir une valeur et intéresser un grand nombre de gens ailleurs, dans d’autres pays ;
* Phase 2 : cet intérêt est confirmé par des ateliers d’échanges d’expériences, par oral et par écrit, mais par ailleurs, les habitants expérimentent la difficulté de communiquer au-delà de son quartier, de sa classe d’âge, de son groupement... et en français, langue "froide" par excellence ;
* Phase 3 : l’exercice de lecture critique, (souvent redouté), vécu ici comme une expérience constructive, permet d’envisager un autre mode de gestion de la parole, que l’on sent plus "démocratique" ;
* Phase 4 : instaurer un principe de formation mutuelle permanente par l’échange et la circulation d’expériences devient un élément fondamental dans la conception de plus en plus claire que l’on se fait du réseau ;
* Phase 5 : on peut à présent envisager d’élaborer une forme d’organisation qui ne passe pas obligatoirement par un "centre" : secrétariat administratif par exemple, et la circulation libre et en tous sens de l’information, qui suppose que l’on "produise" soi-même, se superpose désormais plus ou moins à la vision de réseau. Le réseau, c’est (désormais) avant tout de l’information qui circule sous la forme privilégiée de la relation d’expérience.
Sans l’effet démonstratif des ateliers Dph, avec ou sans fiches à la clé, sans son exigence éthique (l’expérience de tous a fondamentalement une valeur égale et mérite d’être entendue) ce processus de prise de conscience et d’accès à une culture de réseau serait demeuré théorique pour quelques-uns, nul et non avenu dans les faits pour d’autres.
Contact : DAFF, Sidiki, BP 19347 Guediawaye. Sénégal - Tel (221) 837 12 10 - sidikiabdoul@yahoo.fr
S. Daff, coordinateur sénégalais du RIAH, a été élu au CENO de Dph lors de la dernière réunion Internationale de travail et d’échanges (RITE) qui s’est tenue à Abidjan en avril 1999.
Texte original