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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Réfugiés et migrants forcés en Russie

L’adaptation par l’éducation ou comment gérer les tensions ethniques

Annabelle ARKI

11 / 2002

Créée en 1990, l’organisation Assistance Civique s’est donnée pour mission de venir en aide aux populations réfugiées d’ex-URSS arrivant sur le territoire russe. La chute de l’Union soviétique, la montée des nationalismes conjuguée à un climat d’intolérance, l’apparition de nouveaux conflits armés et notamment en Tchétchénie se sont traduits par une augmentation sensible du flux de migrants vers la Russie. Ce contexte est à l’origine de l’apparition d’une nouvelle catégorie de population, importante en nombre, celle des réfugiés et des migrants forcés, comprenant également des russes ethniques SRF essentiellement d’Asie centrale. Malgré son adhésion à la Convention de Genève de 1951 protégeant le droits des réfugiés et déplacés forcés, la fédération russe a adopté une définition très restrictive du concept de réfugié et délivre très difficilement ce statut. Or, les réfugiés d’ex-URSS (pour la plupart d’Asie centrale, et plus particulièrement du Tadjikistan et de Tchétchénie) se rendent directement à Moscou où se trouve la seule juridiction compétente pour statuer sur les demandes d’asile politique, délivrer des papiers d’identité et des compensations matérielles. C’est également à Moscou que se trouve un hôpital spécialisé ayant obligation de recevoir et soigner les demandeurs. Les autorités moscovites, du fait d’une législation restrictive et d’un manque de structures d’accueil appropriées, ne peuvent faire face aux flux permanents de migrants. De plus, les réfugiés obtiennent difficilement leur enregistrement auprès du ministère des Affaires Intérieures, la propiska, héritée de la période soviétique, en raison de la corruption des fonctionnaires locaux.

L’absence de reconnaissance de leurs droits entraîne une grande partie des migrants à vivre cachés et dans la clandestinité la plus totale. Sans propiska, les réfugiés ne peuvent ni travailler, ni se soigner, ni se déplacer librement. Depuis la prise d’otages à Moscou par un commando armé tchétchène en novembre 2001, la propiska, d’une validité de un à un an et demi pour les étrangers, a été ramenée à dix jours seulement...

Dans ce contexte, le Comité Assistance Civique développe une action de soutien aux populations réfugiées se trouvant sur le territoire russe sous plusieurs formes : il leur fournit une assistance administrative en tant qu’intermédiaire avec les pouvoirs publics, une assistance juridique, médicale, humanitaire et enfin éducative et psychologique.

La situation des enfants de réfugiés est particulièrement difficile en raison des traumatismes importants qu’ils ont subis pendant la guerre et leur accès à l’éducation est aléatoire car beaucoup d’écoles refusent de scolariser des enfants présentant de tels traumatismes. De plus, la mairie n’accepte pas la scolarisation des enfants de réfugiés ou de migrants forcés n’étant pas légalement enregistrés. Aussi, les écoles privées sont beaucoup trop chères pour leur être accessibles. Aussi, les parents refusent souvent d’envoyer leurs enfants à l’école car ils craignent pour leur sécurité. C’est la raison pour laquelle Assistance Civique a créé en 1996 un centre éducatif pour les enfants de réfugiés et de migrants forcés. L’objectif principal du centre est d’assurer un régime normal de scolarisation pour ces enfants en leur permettant d’étudier et de rester en communication avec le monde extérieur et aussi de fournir une assistance psychologique individuelle aux enfants les plus traumatisés. Il s’agit ainsi d’apporter un soutien adapté aux rythmes et difficultés rencontrées par les enfants afin qu’ils puissent s’insérer dans la société russe et y trouver des points de repères.

Le centre est animé par 39 étudiants et doctorants bénévoles provenant d’établissements scolaires basés à Moscou et des psychologues professionnels rémunérés. Le trajet jusqu’au centre et le repas des enfants est pris en charge par l’association. Les étudiants bénévoles constituent des petits groupes de 2 ou 3 élèves et donnent des cours de mathématiques, russe et anglais. Les enfants déjà scolarisés dans une école viennent 3 fois par semaine au centre suivre des leçons tandis que les autres viennent tous les jours. Les étudiants bénévoles appliquent les méthodes pédagogiques enseignées par les psychologues à l’aide de manuels acquis pour le centre. L’école "Arche" (de l’association russe Vera i Svet) fournit également des livres et du matériel pédagogiques. Mais le centre est également un lieu d’échange qui permet la sociabilité des enfants. Ils apprennent à vivre ensemble, à respecter leurs différences. Par exemple, ils font la vaisselle chacun leur tour ou même la cuisine. Au début, les garçons refusaient catégoriquement d’exécuter des tâches qu’ils considèrent comme réservées aux filles, ce qui est plutôt fréquent dans la culture caucasienne. Mais à partir du moment où toute la communauté des garçons se réfèrent aux mêmes pratiques, ils n’éprouvent plus de honte à faire la vaisselle ou la cuisine. Les enfants se mettent également à parler de leurs problèmes familiaux, à parler d’eux-mêmes. Ils reprennent confiance en eux. Souvent les cours de russe sont un prétexte pour faire connaissance et permettent de créer un lien entre les élèves et les enseignants mais aussi entre les élèves eux-mêmes. Les enfants fêtent également leurs anniversaires, participent à des excursions.

Ces méthodes pédagogiques associées au soutien scolaire et psychologique individuel donnent des résultats encourageants. Le niveau de russe des enfants dépasse le niveau de langue parlée alors que très souvent les adolescents parlent un russe très moyen, en particulier ceux qui viennent d’arriver. Leur niveau d’élocution s’améliore, leur ethnocentrisme (la culture caucasienne musulmane est très clanique) s’affaiblit, l’agressivité des jeunes baisse tout comme leurs préjugés sur le sexe opposé.

Le principal obstacle auquel est confronté l’ONG Assistance Civique est avant tout d’ordre financier. Les moyens manquent pour accueillir plus de réfugiés. Etant la seule structure de ce type actuellement en Russie, elle doit répondre à des demandes de plus en plus nombreuses. Le local de l’association ne peut pas accueillir plus de 20 personnes. Les volontaires sont de plus en nombreux à appeler le centre pour proposer une aide bénévole mais la difficulté est qu’ils manquent de qualifications. Les spécialistes formant ces volontaires coûtent cher et les employés du centre ne peuvent être payés de façon régulière et constante. D’autres part, les enfants ne reçoivent pas de diplôme et leur niveau de connaissance n’est pas reconnu par l’Etat et donc à l’extérieur du centre.

Mots-clés

réfugié, immigré, assistance juridique, aide psychologique, conflit ethnique, choc culturel, droit à l’éducation, enfant, ONG


, Russie, Asie Centrale, Moscou

Commentaire

Le volet éducatif de l’action d’Assistance Civique est le volet de son activité globale qui présente le plus d’originalité car il s’inscrit dans une démarche de long terme, de compréhension et d’acceptation de l’autre impliquant une adaptation à un environnement nouveau et étranger. Cette approche va bien plus loin qu’une simple action éducative, elle participe de l’apaisement des tensions entre des communautés étrangères que des préjugés datant de longue date empêchent de communiquer harmonieusement. En effet, si les réfugiés de culture caucasienne présentent un ethnocentrisme voire un chauvinisme très marqué assorti d’antisémitisme, les Russes eux-mêmes sont habités de préjugés concernant les autres populations d’ex-URSS. Il semble que les Caucasiens et les Juifs font davantage les frais de cette disposition d’esprit au sein de la population russe. C’est la raison pour laquelle l’action d’Assistance Civique met véritablement le doigt sur un des " points noirs" de la société russe contemporaine.

D’autre part, l’ONG est principalement financée par des fondations et institutions occidentales. Cependant, le gouvernement russe a récemment décidé en novembre 2002, d’intégrer Assistance Civique dans une commission des droits de l’Homme directement rattachée au président russe. Ce rapprochement politique assez inattendu lié aux conséquences de la prise d’otage à Moscou par un commando armé tchétchène au mois d’octobre 2002 est de nature à modifier sensiblement les marges de manoeuvre de l’association et pose une inconnue quant à ses capacités futures de financement et d’action.

Notes

Cet entretien a été réalisé lors du Forum Social Européen, rassemblement anti-mondialiste qui s’est tenu à Florence, en Italie, du 6 au 10 novembre 2002. Ce forum avait réuni plusieurs délégations d’acteurs sociaux (associations, syndicats, partis et mouvements politiques) de différents pays d’Europe dont des participants venus de la fédération de Russie afin de débattre des fondements d’une autre Europe, plus sociale et solidaire.

Contact : Comité Assistance Civique (Comitet Grazdanskoe Sodejstvie) - 33 rue Dolgorukovskaya, bât.6, Moscou, Russie - Tél.: 973 54 74 - Fax : 251 53 19 - ilyakolmanovsky@hotbox.ru (personnel) - ccaserver@mtu.ru - sgannush@mtu.ru

Entretien avec Ilya Kolmanovsky, directeur

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