Georges THILL, Jean-Paul LEONIS
09 / 2001
L’île de La Réunion (2500 km2 et 600.000 habitants dans l’Océan Indien) est située à environ 800 kilomètres au Sud-Est de Madagascar. Peuplée depuis pratiquement plus de trois siècles à la période de l’esclavage, l’île est habitée surtout par des groupes humaines venant de la côte est d’Afrique et de Madagascar. Avec la période coloniale se sont ajoutés des gens d’Inde, de Chine et de France. L’île est ainsi composée de groupes ethnoculturels divers qui cohabitent sans conflit. L’île, à sa demande, est rattachée à la France et a un statut de département d’outre-mer (1946).
Le développement de l’île est basé sur une logique de transferts (dispositifs, lois de structure d’organisation et finances). Basé sur un apport extérieur, le principe d’équité et d’égalité en est un facteur essentiel mais bien des changements au niveau des modes de vie sont apparus qui manifestent des pertes réelles par rapport au patrimoine culturel et par rappport aux réseaux de solidarité, ce qui se traduit notamment dans des pertes du sens de l’innovation (attitude d’attentisme de la part de la population). Malgré un essor de modernité depuis les années 1970, l’île connaît 100 000 chômeurs, 80 000 analphabètes et 54 000 familles (150 000 personnes environ) qui ne vivent que du revenu minimum d’insertion (RMI français) dont les familles ne touchent que 80 pour cent par rapport au RMI en France.
Comment concevoir un développement durable dans de telles contradictions ? Un projet est né dans la commune de Sainte-Rose (6 000 hab. répartis en 5 villages), qui n’a pour seules ressources que l’agriculture, avec la canne à sucre et la banane, et l’éco-tourisme, avec la mise en valeur de la forêt primitive et la création d’un sentier littoral qui longe le bord de mer sur 20 km et a été réalisé par une association locale, ’Les Béliers’ (nom d’un oiseau local).
Le projet est né d’une mission du Centre communal d’action sociale (CCAS) qui, au-delà d’une simple politique d’aide sociale, met en oeuvre des projets de développement social et local à travers une démarche participative où la population mise au travail au lieu de poursuivre une consommation de dispositifs institutionnels.
Démarche méthodologique du projet : une première phase consiste à prélever un certain nombre d’informations lors de rencontres avec les différentes composantes de la population (jeune, personnes âgées, familles, différents types d’acteurs sociaux). Mais à construire ces informations à partir de leur perception par les habitants des réalités de la vie quotidienne. Ce prélèvement est suivi d’une évaluation pour dégager les pistes de travail possible dans le cadre d’un développement durable en prennant en considération le degré d’engagement de la population pour faire évoluer la situation.
Une deuxième phase, constituée de rencontres collectives avec les différents sous-groupes de la population, permet de finaliser une logique d’action prennant en compte la dimension intergénérationnelle.
Il est important de noter que les premières actions menées avec succès ont pu démarrer avec l’investissement des personnes âgées pour mettre en valeur les savoirs traditionnels et le patrimoine culturel autour de deux axes : l’habitat traditionnel et la médecine traditionnelle basée sur l’utilisation des plantes médicinales. Les jeunes se sont associés, par une participation active, au recueil des données et à la construction d’une maison traditionnelle avec les matériaux locaux ("la case en paille" faite en bois, liane et fibre végétale). En outre s’est mise en place une exposition et s’est organisée une conférence sur les plantes médicinales. Ceci a permis à l’ensemble des acteurs d’être conscients qu’ils peuvent se développer par eux-mêmes à partir d’un patrimoine culturel enfouis dans la mémoire des anciens mais non transmis aux nouvelles générations. Les 35 personnes directement impliquées dans ce projet souhaitaient aller plus loin que la médecine ou l’habitat en créant une école de musique pour valoriser la musique traditionnelle, donner aux jeunes la possibilité de pratiquer la musique et d’égayer les touristes pendant leur séjour éco-touristique.
Dans un autre projet, impliquant 25 personnes sur l’utilisation des plantes médicinales à La Réunion, se sont mobilisées des personnes exerçant des professions libérales : un médecin, un pharmacien, un kinésithérapeute. Ils ont pu réaliser une bande dessinée sur ordinateur et rédiger un ouvrage paru 1998.
L’examen de ce projet au congrès de Rhodes a permis de mettre en évidence l’importance de la dimension sujet-humain pour recréer et renforcer les liens sociaux à trois niveaux : lien de soi à soi (pour renforcer son identité individuelle); lien sociétal (de soi aux autres), par la mise en place de réseaux d’entraide et de solidarité, par la redécouverte des personnes-ressources de son quartier et par l’apprentissage de la construction d’un projet en commun; lien sociétaire (lien à la société instituée et à ses différentes institutions). A noter ici que les démarches auprès des institutions ne se situent plus seulement dans une ligne et une logique de demande, mais dans un investissement et une logique de projet. L’intérêt est aussi de noter le travail de médiation mis en oeuvre tout au long du déploiement du projet.
A noter encore que la participation de l’association des agriculteurs de Sainte-Rose à ce projet a eu pour effet qu’un groupe d’agriculteurs lancent des productions de plantes médicinales pour obtenir un revenu d’appoint. Par ailleurs, l’implication d’un pharmacien herboriste permettait de constituer le circuit économique des produits depuis le recueil, l’achat, la production, la préparation des recettes, jusqu’à la commercialisation des produits.
Enfin, sur le plan culturel, le cas de Sainte-Rose est exemplaire en matière de réappropriation d’un patrimoine culturel et d’une transmission aux générations futures de ce patrimoine.
montage de projet, développement communautaire, plante médicinale, insertion sociale, tourisme et environnement, jeune, personne âgée
, Océan Indien, Réunion, Sainte-Rose
A travers ce projet on peut mesurer à quel point une population en situation de dépendance, et d’attente d’être aidée, peut se convertir à une optique de travail pour un développement durable dans une optique de citoyenneté responsable pour soi et pour les générations futures. Le croisement de différentes approches multiréférentielles et transdisciplinaires et la médiation par des réseaux donnent à la démarche un caractère favorisant un développement durable en tablant sur la mémoire, la solidarité et l’opérationnalisation de la valorisation des savoirs et savoir-faire traditionnels.
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
Julien Mallin, PRELUDE, Développement communautaire, politiques sociales et transformation sociale à Sainte-Rose de La Réunion, Georges Thill, 2000 (Belgique), numéro spécial hors série, p.329-333
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