Le champ politique régional entre centralisation et régionalisation
08 / 2001
Des partis politiques régionaux sont apparus en Russie en même temps que les partis centraux, à la fin des années 1980. La première vague pluraliste passée, les partis régionaux disparaissent peu à peu; leurs fonctions (l’organisation de la campagne, l’élaboration d’un programme, la sélection des leaders, la socialisation politique etc.) sont remplies par les réseaux administratifs, des nouvelles nomenklaturas régionales ou par des institutions politiques, comme par exemple une assemblée régionale législative qui est en opposition vis-à-vis le gouverneur. La situation de l’oblast de Sverdlovsk (Ekatérinbourg est le centre administratif) est plus une exception qu’un exemple confirmant la règle, mais l’éventail des partis qui y sont présents est représentatif si l’on parle du phénomène de partis régionaux en général. Trois partis ont été créés au début des années 1990: la "Transfiguration de l’Oural" d’Edouard Rossel, gouverneur de la région depuis 1994; la "Notre maison est notre ville" d’Arkady Tchernetsky, maire de Ekaterinbourg depuis 1991; "l’Oural minier" de Valéry Trouchnikov, ancien Premier ministre de la région. Plusieurs autres organisations sont apparues pour retourner rapidement dans le néant, mais les trois précitées restent toujours assez influentes. Ces mouvements, typiques des " partis de cadres ", essayent de regrouper les anciennes élites selon les nouveaux clivages, en s’adaptant à la nouvelle situation politique. Un seul parti populiste, "Mai", a tenté de disputer le poste de gouverneur au cours de l’élection de 1999. La réalisation d’une "action directe" comme l’occupation de bureaux, des manifestations, le "dialogue forcé" (un fonctionnaire est retenu physiquement jusqu’à ce qu’il fasse des engagements officiaux concernant des programmes gouvernementaux) ont permis au candidat de ce parti de passer au second tour, mais le gouverneur sortant soutenu par la "Transfiguration de l’Oural" a finalement remporté l’élection. Les leaders du " Mai " ont essayé de remplir le vide en cherchant un appui populaire. Le système a immédiatement réagi : tous les anciens ennemis appartenant aux trois grands partis se sont unis pour diffamer les leaders du mouvement populiste et les priver de leurs ressources (des accusations devant le juge, des perquisitions, des nationalisations d’entreprises leur appartenant etc.) De la sorte, durant toute la décennie tous les postes importants occupés par des élus ont été monopolisés par les trois partis créés par des leaders administratifs "pour eux-mêmes"; alors que les représentants des partis fédéraux sont minoritaires et dépendants. Un vrai système politique régional s’est mis en place, suffisamment fort pour préserver le champ politique local de l’influence moscovite.
En juillet 2001 le Président Poutine a promulgué la loi sur "les partis politiques". Jusque là, le statut de toutes les organisations politiques était géré par la loi sur les associations. Selon les dispositions de la loi, seuls les partis fédéraux ont le droit de proposer des candidats aux élections, qu’il s’agisse d’élections fédérales, régionales ou locales (un candidat peut aussi se présenter à condition d’une caution, ou il peut être proposé par des électeurs à condition de présentation de listes signées par quelques dizaines de milliers de personnes). Seuls les partis fédéraux ont le droit à un financement public s’ils répondent à des critères fixés par la loi (nombre de membres, représentations dans plus de 45 régions, participation obligatoire à toutes les élections etc.). L’adoption de la loi coïncide avec les efforts des représentants du Président dans les régions pour contrôler sévèrement l’utilisation par les gouverneurs et les maires sortants de la loi sur les "ressource administrative" (pressions informelles via le réseau administratif, liées souvent à des détournements de fonds). Ainsi, les élites institutionnelles régionales perdent à la fois deux leviers politiques (les partis-poupées et la discrétion administrative) qui leur auront permis de sauvegarder leur pouvoir.
Le projet de la nouvelle loi fait bouger les leaders régionaux et les représentants de partis fédéraux dans la région dès l’an 2000. D’une part, le poste de représentant d’un grand parti fédéral devient très envié : à Ekatérinbourg fonctionnent quelques représentations indépendantes du parti "Edinstvo"; il en est de même pour "Yabloko", pour "Union des forces de la droite", pour "Otetchestvo" etc. Moscou a peu de pouvoir sur ces représentants autoproclamés; les personnes désignées par les états-majors moscovites ne sont pas influentes dans la région. D’autre part, l’idée même de parti régional devient floue: plusieurs leaders régionaux dont Arkady Tchernetsky laissent tomber leur parti pour s’intégrer dans la nouvelle organisation administrative verticale en se liant avec le représentant du Président de la région. Enfin, une opposition anti-Poutine est assez nette et elle s’organise, dans la région, autour du gouverneur Rossel. Les élites régionales s’adaptent donc à la nouvelle politique mais le mode d’adaptation change. Dans les années 1990 elles acceptaient la version du système politique régionale proposée par Rossel, malgré certains conflits individuels. Maintenant elles essayent de conserver le système sur place en changeant de cadre mais en gardant les mêmes personnes : l’objectif principal est de remplir les représentations fédérales par des " gens du terrain ". Cette stratégie se révèle plus efficace que l’opposition directe : les représentations régionales des partis fédéraux aussi que les services du représentant du Président ne sont complétés que par des personnes ayant fait leur carrière au sein ou auprès des partis régionaux. Et les anciens leaders régionaux savent trouver une langue commune avec ses anciens collaborateurs : finalement le système persiste.
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, Russie, Ekaterinbourg, Sverdlovsk
La réforme du système de partis prolonge la politique centralisatrice de Poutine: après avoir centralisé la gestion des services administratifs, l’élaboration des règles de relations intergouvernementales, les finances publiques, le Président centralise la sélection des leaders politiques, quelle que soit la couleur idéologique d’un tel ou de tel parti. Une opposition à cette politique existe, mais la volonté du chef de l’Etat est plutôt minée par de faux consentements qui limitent l’élan autoritaire et qui préservent les réseaux et les particularités régionaux. Comme dans plusieurs autres domaines, il s’agit plus de changer de nom que de changer de fond.
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