Connaissances scientifiques et pratiques sociales : ce que nous devons aux pays du Sud
05 / 2002
C’est dans la favela Pirambu de Fortaleza qu’un psychiatre brésilien a entrepris de soigner ses patients en inventant sur le terrain une méthode de thérapie communautaire inspirée de ses origines indiennes et de la situation des familles pauvres qu’il côtoie. Après quelques années d’expérience, il finit par obtenir des résultats, la rumeur colporta le succès et attira sur place de nombreux étudiants et professionnels. En 1998, le chef du service de psychiatrie de Grenoble décide de s’inspirer de ces acquis pour modifier les méthodes de prise en charge de patients alcooliques. C’est ainsi qu’une démarche de soins imaginée dans un bidonville brésilien a contribué à améliorer les thérapies psychiatriques en France.
C’est dans le petit bourg breton de Saint Coulitz qu’a été élu le premier maire noir de France. Né au Togo, Kofi Yamgnane s’est alarmé de la marginalisation de la vie sociale et politique dans laquelle son pays d’adoption tient les personnes âgées. Il décide alors d’expérimenter la création d’un Conseil des Anciens, inspiré des conseils villageois de sages fréquents en Afrique. L’idée fait des émules, y compris dans des villes moyennes, qui mettent en place des conseils consultatifs d’anciens associés aux conseils municipaux. C’est ainsi qu’une pratique traditionnelle africaine, réinterprétée et adaptée, a contribué à raviver le concept de démocratie participative dans le pays des Droits de l’Homme.
C’est au Bengladesh, pays pauvres d’entre les pauvres, que la Grameen Bank a balayé le vieux préjugé selon lequel on ne pouvait prêter qu’aux riches. Le taux de recouvrement des prêts qu’elle accorde aux familles les plus nécessiteuses pour des projets de création d’activités est l’un des meilleurs du pays. Désireux d’adapter ce principe au contexte français, plusieurs organismes de réinsertion ont su profiter de cette expérience pour imaginer des formes originales d’appui à la création d’entreprises par des personnes en difficulté. C’est ainsi qu’un succès connu dans le monde entier peut donner lieu, non pas à une reproduction à l’identique dans les pays riches, mais par la rénovation d’un débat qui piétinait quelque peu.
On pourrait également citer, en agronomie, la pratique du semis direct ou, dans le domaine du logement, celle de l’auto-construction collective. On pourrait parler de cette université chilienne qui a mis au point une technique visant à éviter la colmatation des stations d’épuration, désormais utilisée en France. On pourrait évoquer ces animateurs ruraux écossais qui sont allés chercher au Sahel des méthodes d’animation et de diagnostic utilisées avec succès dans leur pays. Ou encore les cyclo-pousse d’origine asiatique qui sillonnent les rues de Toulouse. Qu’il s’agisse de transferts d’idées ou d’une rénovation du débat débouchant sur des solutions originales, les échanges de savoirs et d’expériences dans le sens Sud-Nord bousculent les préjugés qui attribuent aux pays du Nord des compétences et à ceux du Sud des besoins. Ils vont à l’envers du sens habituel de la coopération scientifique et technique, mais pas à l’envers du sens de l’histoire, car nombreux ont été par le passé les cas de pratiques et de savoirs du Sud qui ont irrigué les pays du Nord, que ce soit dans le domaine culturel et ludique, dans celui des pratiques sociales et de l’économie, de l’architecture et de la médecine. Il y a quelques siècles encore, les grands médecins, les grands astronomes et les grands hydrauliciens étaient Arabes, mais qui admet les apports considérables laissés par eux à notre culture ? Pourquoi préfère-t-on glorifier nos héritages grecs et latins ?
Pour Mohamed Larbi Bougherra, la négation des compétences des pays du Sud et l’oubli de leurs contributions à notre histoire sont des avatars de la colonisation. Basé sur la notion de carences et sur la nécessité de l’ouvre civilisatrice, ce processus a permis de justifier la domination militaire, économique et culturelle. Profondément incrusté dans l’imaginaire des société colonisatrices, il s’est même imposé parmi les peuples colonisés, qui ont rarement conscience des richesses de leurs savoirs et de leur culture.
Pourtant, pour les acteurs de la coopération des pays du Nord, la reconnaissance des savoirs et des capacités des pays du Sud est un préalable indispensable à une relation réciproque, c’est-à-dire où chacun donne et reçoit à la fois, où personne ne domine l’autre, où la dignité de chacun est préservée. C’est aussi un formidable réservoir de ressources et d’expérimentations techniques, économiques et sociales. Qu’ils soient basés sur des pratiques traditionnelles ou des coups de génie récents, les savoirs du Sud fourmillent d’inventivité. Ils débouchent parfois sur de réelles innovations et des solutions adaptées à de petits ou de grands problèmes. Voyageurs, coopérants, migrants et autres passeurs de frontières : à vous de jouer...
Baser des relations de coopération sur la réciprocité, c’est ce qu’a fait une poignée d’ONG françaises et mexicaines en mettant en place conjointement dans les années quatre-vingt-dix, un programme d’échange sur la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Boudée par les autorités publiques, cette initiative donnera lieu cependant à plusieurs voyages croisés et débouchera sur une plate-forme commune qui renouvellera les pratiques de coopération jusqu’alors " à sens unique ". Deux autres expériences novatrices de coopération sont décrites dans ce livre, qui souhaite inviter à un débat sur la réciprocité des relations Nord-Sud.
mobilisation des savoirs, savoir populaire, échange de savoirs, coopération Nord Sud, coopération technologique, religion et société, partenariat, système de connaissances
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Idées, expériences et propositions sur les sciences et la démocratie
Livre
Réseau réciprocité des relations Nord-Sud, Savoirs du Sud, Charles-Léopold Mayer in. Dossier pour un débat, 1999 (France), 105, 115 p.
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