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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

La beauté

Pierre Yves GUIHENEUF

01 / 2002

Intemporelle, impersonnelle et désintéressée : telle est la beauté parfaite selon Dominique Fernandez. En peinture, elle doit être indépendante de la main qui l’a fixée sur le bois ou la toile, à l’image de ces icônes russes réalisées par des artistes anonymes. Quand l’admiration d’une ouvre va à son auteur, cela entache la conception idéale de la beauté. On a vu des tableaux attribués à des peintres célèbres et encensés par la critique, puis décriés quand on s’est aperçu qu’il s’agissait de faux. Et quand elle est trop datée, une ouvre peut-elle prétendre à la beauté parfaite, celle qui traverse les siècles ?

Mais quand il s’agit de beauté physique du corps humain, l’intemporalité et l’anonymat n’ont plus de sens. Cette beauté est précaire et fragile. Pour Dominique Fernandez, la beauté d’un être humain éveille " un désir furieux de possession " et sème de ce fait le désordre et la confusion. De plus, autant il est possible de s’entendre sur un paysage ou une ouvre d’art, autant il est impossible de fixer des critères de beauté physique.

Moins intemporelle encore est la beauté de la musique, non seulement parce que chaque note est comme un instant éphémère suspendu entre le passé et le présent, entre celles qui viennent d’être jouées (et qui n’existent déjà plus) et celles qui vont l’être l’instant suivant (et qui n’existent pas encore), mais aussi parce que la musique classique jouée aujourd’hui - l’Orféo de Monteverdi représente pour D. Fernandez le plus haut point jamais atteint par la beauté musicale - n’est pas tout à fait celle qui a été composée : les instruments ont changé, les voix évoluent, les façons de chanter diffèrent imperceptiblement.

Et il faut tenir compte des variations du goût. Des chanteurs adulés en 1900 paraissent aujourd’hui ampoulés et ridicules. Quelle foi garder dans la beauté si celle-ci ne résiste pas plus au temps qu’un modèle de voiture ? Finalement, comment expliquer que le talent d’un peintre fasse passer un objet quelconque (une pomme, une maison...) au statut d’ouvre d’art une fois représenté sur la toile ? " Faisons-nous des yeux qui voient bien : la clé de l’énigme du beau réside peut-être dans cette phrase ".

Zu Cumming nous prend à contre-pied avec son essai intitulé " Eloge de la laideur ". Pour lui, le beau est partout dans ce qui nous environne, mais il reste inséparable du laid. Les deux notions sont d’ailleurs interchangeables et peuvent exercer sur nous un attrait aussi irrésistible. D’ailleurs, ce professeur d’esthétique à l’Université confesse que ses aspirations proviennent du laid plutôt que du beau. Il faut dire que si, comme il le glisse incidemment, les anciens Chinois recherchaient l’harmonie et la perfection dans la symétrie, la répétition et la régularité, on conçoit que ce passionné des anciennes dynasties ait trouvé plus de matière à réflexion dans la laideur.

Dans l’histoire et la culture chinoise, la laideur est partout mais singulièrement incarnée par les monstres : masques diaboliques, dragons féroces, démons difformes, créatures à plusieurs têtes ou plusieurs membres envahissent la mythologie, l’art et le théâtre. Pour beaucoup de Chinois, pendant des siècles, ces figures de légende ont été une réalité et l’auteur se souvient avoir été effrayé lorsqu’il était enfant à l’idée de leur existence. Car en Chine, le laid fait peur.

Tous connaissent Zong Kui qui, sous la dynastie Tang, fut capturé par des diables et transformé en un être horriblement laid. " Tout le monde avait peur en voyant son visage affreux ". Effrayer est la fonction de la laideur. Les masques grimaçants des temples sont là pour repousser les démons. Mais tout ce qui est laid n’est pas nécessairement malfaisant. A la suite de diverses mésaventures Zong Kui meurt et se transforme lui-même en démon. " Mais il décide de pourchasser les diables pour le bien de l’humanité ; son visage est hideux mais il se veut l’ennemi de tous les maux. Voilà de quelle manière les Chinois conçoivent la laideur ".

L’auteur en conclut qu’il faut apprendre à observer la laideur pour y trouver la beauté et il marque ainsi la dualité des choses. Comme lorsque, à l’occasion des fêtes de Printemps, des danseurs grimés expriment des souhaits d’avenir radieux. C’est pour cela que " les monstres Chinois reflètent une merveilleuse image de la sagesse ".

Mots-clés

développement culturel, interdépendance culturelle, pluralisme culturel


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Commentaire

Ce livre s’insère dans la collection " Proches lointains " qui rassemble à chaque fois un texte d’un auteur français et un autre d’un Chinois.

Discourir sur un sujet imposé aussi "classique" est un exercice difficile qui peut mener l’auteur, soit à se découvrir et à surprendre, soit à verser dans l’académisme du discours savant. D. Fernandez a choisi ce dernier versant, à la recherche d’une beauté idéalisée et désincarnée, universelle et superficielle à la fois. Il en conclu, non sans logique, qu’elle n’est pas de ce monde... Faisant montre d’un éclectisme non dénué d’élitisme, il abandonne au passage les pistes de réflexion qu’il ne fait qu’effleurer.

Zu Cumming emprunte avec malice un chemin détourné pour traiter du sujet et, choisissant le premier versant, s’engage résolument vers les chemins - pourtant abondamment parcourus - de la mythologie et de l’histoire chinoises, avec une réflexion d’érudit qui reste cependant accessible.

Source

Livre

ZHU CUNMING, FERNANDEZ Dominique, La beauté, Desclée de Brouwer, 2000 (France), 135 p.

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