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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Rôle et isolement d’un agronome salarié d’une organisation paysanne (FENOP, Burkina Faso)

Le choix contesté d’un agronome burkinabé : être payé par les paysans

Ousseiny OUEDRAOGO, Christophe VADON

07 / 1998

Ousseiny Ouedraogo, permanent de la FENOP (Fédération Nationale des Organisations Paysannes) :

« Je suis agronome, j’ai commencé à l’INRA (Institut National de Recherche Agricole). C’est là que le Président-fondateur des groupements Naam a fait appel à moi pour travailler au sein des Naam. L’initiative de la naissance de la FENOP a commencé en 1994. C’était un comité composé de 5 organisations paysannes (dont les groupements Naam) et on m’avait demandé de représenter les groupements Naam dans le Comité. Celui-ci animait les réflexions pour la création d’une structure faîtière et quand j’ai quitté les groupements Naam, le comité a demandé à ce que je reste avec eux, quitte à ce que ce soit un comité de 6 personnes. Ils ont demandé aux groupements Naam d’envoyer un autre représentant. D’autant que le travail devenait de plus en plus important, de plus en plus intensif. Ils voulaient un permanent, ils m’ont demandé d’assurer cette permanence. J’avoue que j’étais très content de pouvoir continuer avec le comité parce qu’à ce moment-là, je venais de quitter les Naam; j’avais pris cette décision, mais je savais qu’une chose me manquerait : c’était important, pour moi, ce qui avait été démarré en 94 par les paysans. J’avais peur d’être en retrait par rapport à ce mouvement. Au niveau du travail, cela m’a cependant changé un peu parce qu’aux Naam j’étais dans la cellule Projets, puis au Comité d’Animation Commerciale (CAC) pour la planification et la commercialisation de la production. Actuellement à la FENOP, je travaille beaucoup plus au niveau organisationnel. Mais pour nous, salariés de ces organisations paysannes, un principe demeure : vous êtes salariés, il y a donc des limites. Il y a des décisions que je ne dois pas prendre. Les décisions politiques reviennent aux administrateurs. Notre travail est de donner suffisamment d’éléments pour permettre aux administrateurs de prendre les décisions stratégiques nécessaires. Donc que ce soit dans la cellule de commercialisation ou ici, ce principe demeure. Si je me mets à prendre des décisions : « Voilà, on va faire comme cela », cela ne va pas ! On demeure des employés de la structure et j’avoue que c’est un défi important pour un cadre au sein des organisations paysannes. On apprend beaucoup, même la maîtrise de soi. Parce que ce n’est pas facile. Souvent tu brûles d’envie de dire : « écoutez, faites cela et cela » mais dès ce moment, tu ne respectes plus les principes. Tu dois cependant donner suffisamment d’éléments car s’ils prennent des décisions sans avoir une base solide, tu as failli à ta mission. Cela arrive et tu as des remords après. Tu te dis : « s’ils avaient eu tel élément, peut-être que la décision aurait été meilleure ». Et cela dans le peu de temps qu’ils ont. Ce sont des paysans, ils viennent avec nous 3 jours, tout au plus une semaine et ils doivent tout faire et repartir. C’est un défi. Vous êtes appelé à tout moment, c’est un engagement pour être prêt à tout moment. C’est important et intéressant. Le plaisir, c’est aussi de voir que les choses bougent. Beaucoup de mes anciens collègues pensent et disent : « Ousseiny est devenu quoi ? » « C’est de l’utopie ». « Ousseiny, c’est ci, c’est ça ». « Ousseiny, tu as été à Ouahigouya, tu as été aux Naam, tu as vu comment cela s’est terminé, tu as failli briser ta carrière. On se demande pourquoi tu te fourres encore dans ces organisations paysannes ; ceci, cela…".

Effectivement, quand j’ai quitté les Naam, j’avais plusieurs propositions, je n’étais pas obligé de continuer dans les organisations paysannes, j’avais des propositions à un autre niveau (service d’appui financier, etc.) une demande également d’une organisation paysanne pour être employé. Et mes collègues disaient : « Tu es malade ? » Voilà des choses qui m’ont fait hésiter. Après je me suis dit : « non, ils n’ont pas raison ». On me demande : « Comment peut-on se faire payer par les paysans ? Est-ce que les bailleurs de fonds te payent directement ou est-ce les paysans ? » Non, c’est les paysans ! A la fin du mois, tant que le vice-président ne me signe pas l’état des salaires sur lequel le comptable va me payer, cela ne se débloque pas : c’est les paysans qui me paient. « Comment peux-tu accepter cela ? » me disent certains. Vous voyez jusqu’à quel niveau des collègues peuvent aller ? Pourtant même si ce n’est pas leur papa ou leur grand-père, certainement dans leur famille il y a eu des paysans ; c’est-à-dire qu’ils sont descendants de paysans ! Quand est-ce qu’on va arriver à un changement de mentalité de tout ce monde-là ? Pour amorcer réellement ensemble -que ce soit les structures techniques, les ministres, les paysans ou autres, les bailleurs également- le changement ».

Mots-clés

organisation paysanne, agent de développement, Etat, innovation


, Burkina Faso, Ouagadougou

Commentaire

Notre interlocuteur, un ingénieur agronome, a quitté les laboratoires de recherche pour épauler le mouvement paysan sénégalais. Sa description de la tâche d’informateur et de l’ascèse de ne pas prendre les décisions à la place des dirigeants paysans est d’une rare sobriété. Quant à l’incompréhension manifeste par ses pairs sur son statut d’employé des paysans, il la décrit par d’incroyables citations.

Notes

En 1998, le président de cette organisation était Pierre BICABA ; voir fiches DPH n° 5211 à 5213.

Entretien avec OUEDRAOGO, Ousseiny, réalisé à Ouagadougou.

Source

Entretien

VADON, Christophe

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