05 / 2001
Noël TINE, président de la Fédération des Associations et Groupements des Agriculteurs de Fandène : "Une ONG avec laquelle nous coopérons depuis des années a fait une évaluation mais on n’y a pas assisté. Alors on ne sait pas ce qu’ils ont dit. C’est cela le grand danger : les organisations de base n’assistent pas aux évaluations faites par les ONG qui les appuient sur leurs activités. On ne reçoit pas de rapport, rien. On ne participe pas du tout à l’évaluation. On n’a aucune idée de ce qu’ils ont pensé du programme. Ils nous ont juste demandé quelques informations et après c’est eux. Beaucoup d’ONG sénégalaises le font. J’ai assisté à un atelier à Mbour, où un Cambodgien a dit que les ONG ont remplacé l’Etat pour l’appui aux populations de base. Mais les interventions des ONG sont devenues pires que les interventions de l’Etat. Ce sont elles qui profitent maintenant de la pauvreté des populations. Lui, il a suggéré de faire une double évaluation, c’est à dire : les ONG et les populations de base. Parce que c’est à partir des populations de base, qui peuvent faire des critiques, que l’ONG peut changer sa démarche d’intervention. Et cela, ce n’est jamais fait. De notre côté, on évalue tout, même le processus de partenariat. On a fait l’analyse et c’est à partir de cela qu’on a mis l’accent sur la diversification des partenaires.
Je crois que, pour les bailleurs de fonds, ce serait mieux de mettre l’accent sur les groupements de base. Parce que si ils appuient une ONG, celle-ci est un intermédiaire mais l’exécution du programme c’est toujours le rôle des groupes de base. Alors il vaut mieux passer directement par notre Fédération. Au niveau de la communauté de Fandène, il y a aussi notre représentation au conseil rural, et ça c’est une garantie. Beaucoup de groupements de base sont capables de faire leur programme, leur évaluation, etc. Alors beaucoup pourraient être directement en contact avec les bailleurs, sans ONG, puisqu’ils peuvent faire eux-mêmes ce que fait l’ONG. Et pour appuyer, je crois qu’il faut d’abord connaître le programme des groupements, savoir quelles compétences manquent, faire une évaluation, et puis faire une formation avant de financer. Il faut mettre l’accent sur la connaissance avant de mettre en route les activités.
Et nous, en tant que fédération de groupements, on a aussi besoin d’être financés. Car si on n’a pas une compétence, pour une partie de notre programme, on saisit un technicien qu’on paye à la journée. Dans le programme d’aménagement par exemple, on a saisi un technicien génie civil et c’est lui qui vient pour le suivi technique des travaux. Cela permet l’autonomie de la Fédération. Par contre, si tu finances ton programme par le biais d’une ONG, l’argent de l’étude ou du suivi reste dans la caisse de l’ONG. C’est elle qui va gérer ce financement, qui va chercher le technicien, qui va faire tout cela.
Il n’y a pas vraiment de problème de coordination au sein de la Fédération, parce que dans notre organisation, chaque commission mène son activité. Quand une ONG qui travaille par exemple dans la fertilisation des sols nous approche, on va la mettre directement en rapport avec le comité qui est chargé de l’environnement, et il va traiter directement avec ce partenaire, par l’intermédiaire du bureau de la Fédération. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de plaintes. Et si un bailleur veut venir appuyer un groupement, les premiers contacts s’effectuent entre le bailleur et le Bureau de la Fédération, et après on les met en contact avec le (ou les) groupement(s).
De leur côté, les groupements qui sont membres de la fédération cherchent leurs partenaires à travers la Fédération. Parce que leur programme est dans le programme de la Fédération. Un responsable de groupement peut voir un partenaire pour discuter avec lui, mais il rend compte au bureau de la Fédération et le bureau continue les démarches. Il peut même continuer ces démarches, mais à travers le bureau de la Fédération. Ceci pour qu’il y ait toujours la communication entre les groupements, c’est cela qui nous intéresse mais sans gérer d’une manière centralisée : on appuie les groupements et on les laisse fonctionner d’une manière autonome. Mais il faut qu’il y ait la communication entre ces différents groupements, l’échange d’expériences, les réunions de planification, qu’il y ait vraiment une coordination entre ces groupements. C’est cela l’objectif de la Fédération.
Et un jour, le lien sera direct entre le bailleur et les groupements, la Fédération n’existera plus. Elle ne doit pas être un chapeau éternel. C’est comme l’ONG vis à vis d’une Fédération. Une gestion centralisée qui n’est pas normale, parce que cela empêche de faire participer tout le monde au processus de développement. Et même toi ONG, si tu dis sans cesse "participatif", au fond tu essaies toujours de contrôler. Parce qu’il faut bien que tu conserves ton utilité, et que tu puisses continuer à obtenir de l’argent des bailleurs de fonds. Et alors on dit que les populations ne peuvent pas gérerelles-mêmes !"
organisation paysanne, ONG du Sud, évaluation, décentralisation, gestion d’entreprise, développement local, dépendance économique, concertation
, Sénégal, Thies
Une Fédération locale de groupements paysans au Sénégal a bénéficié puis souffert d’une longue coopération avec la même ONG d’appui. Son président actuel montre qu’il a retenu la leçon de cette dépendance et qu’il perçoit que sa fédération court, elle aussi, le risque de limiter l’autonomie de ses propres groupements.
Entretien avec TINE, Noël, réalisé à Fandène en février 2001.
Entretien
BENOIT, Séverine.
GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement) - 228 rue du Manet, 74130 Bonneville, FRANCE - Tel 33(0)4 50 97 08 85 - Fax 33(0) 450 25 69 81 - France - www.grad-france.org - grad.fr (@) grad-france.org