05 / 2001
Khady SENE, responsable de la promotion féminine à Jig-Jam et élue au Conseil Rural de la Communauté Rurale de Fissel :
"Jusqu’à présent, les filles sont moins scolarisées que les garçons. Il y a la sensibilisation toujours mais cela reste : les garçons sont plus instruits que les filles. C’est la tradition ou bien quelquefois c’est la pauvreté qui pousse les mamans à faire des choses comme celle-ci : les jeunes filles, on les envoie à l’école mais au bout de 3 ou 4 ans l’enfant a10 ou 11 ans et on la laisse aller à Dakar pour faire des travaux domestiques. Et si jamais l’enfant gagne un peu d’argent, il ne croit plus à l’école, il préfère rester à Dakar ou ailleurs pour continuer son travail domestique. La sensibilisation a quand même bien diminuer ces cas parce qu’avant il n’y avait pas de jeunes filles dans les classes et maintenant il y en a. La sensibilisation change les choses petit à petit, mais la tradition reste, surtout dans les villages. Même ici à Fissel il y a beaucoup de filles dans les classes mais les garçons sont toujours majoritaires.
Le comité fait de la sensibilisation avec les parents lors des réunions, dans les tournées villageoises. Aussi dans les marchés : en octobre 2000, on est passé une fois avec la sonorisation pour sensibiliser les parents à amener les jeunes filles à l’école. Mais avec les faibles moyens, le rayon d’action est limité parce que, dans la communauté, il y a des villages qui sont très éloignés de Fissel. La communauté n’a pas de moyens, pas de véhicule. A Jig-Jam aussi il y a des problèmes toujours de déplacement pour aller vers les autres. Quelquefois si tu as une occasion d’aller faire une tournée au niveau d’un village, tu en profites pour aller faire la sensibilisation. Dans tous les cas, pour n’importe quel ordre du jour que tu amènes au village, tu inscris l’éducation des jeunes filles.
En discutant avec les femmes et les hommes, il sort des questions qui nous montrent l’ignorance. Une fois j’ai discuté avec une femme en lui demandant : "Cette fille-là, pourquoi tu ne l’as pas emmenée à l’école ?". Elle m’a dit que c’est son papa qui ne l’avait pas inscrite. Je lui ai demandé pourquoi et elle m’a répondu qu’elle ne savait pas. Alors je lui ai dit : "Est-ce que tu ne t’es jamais concertée avec ton mari pour ce cas ?". Elle m’a dit : "Non, s’il l’amène elle va, s’il ne l’amène pas, elle ne va pas, moi je ne m’en occupe pas". Je lui ai dit : "Mais c’est dangereux. Ton mari c’est son papa mais toi tu es sa mère, si jamais toi tu as l’esprit que l’enfant doit aller à l’école, tu peux parler à ton mari, pour voir si lui il n’est pas conscient qu’il faut l’amener à l’école. Vous pouvez vous concerter jusqu’à arriver au consensus". Elle m’a dit qu’elle préférait laisser son mari s’occuper de tout. Cette femme n’avait pas conscience que la scolarisation c’est un devoir de tous.
Il y a des femmes qui sont totalement dépendantes de leur mari, elles n’ont aucune responsabilité. A cette femme, j’ ai donné un exemple en lui disant que moi j’avais un enfant qui avait alors 7 ans. A ce moment-là son papa n’était pas là, mais je l’avais inscrit à l’école. Alors elle m’a demandé ce qu’avait dit mon mari quand il était revenu. Je lui ai répondu que c’était moi qui avait dit : "J’ai inscrit l’enfant à l’école, parce que tu n’étais pas là au moment de l’inscription et je crois qu’il doit aller à l’école". Il m’a dit que c’était bien, que s’il avait été là lui aussi l’aurait emmené à l’école. Il n’y a pas eu de problème. Mais si j’étais restée à attendre, est-ce que l’enfant serait allé à l’école ? Finalement, la femme m’a dit que c’était parce que moi j’étais allée à l’école que j’avais eu la conscience de faire cela, mais que elle, elle ne savait rien d’important, qu’elle ne voyait pas l’intérêt d’un enfant instruit. Donc, on revient à l’analphabétisme des femmes. Et même si les enfants sont à l’école, que les parents acceptent, le suivi à la maison pose problème parce qu’un parent qui ne sait pas lire et écrire ne peut pas suivre son enfant. Cette femme-là a beaucoup d’enfants qui n’ont jamais été à l’école; des enfants âgés pour qui c’est trop tard, qui peuvent simplement faire l’alphabétisation mais aussi des petits enfants qui ont encore l’âge d’aller à l’école. Mais jusqu’à présent je ne suis pas retournée dans ce village et je n’ai pas pu voir le mari qui n’était pas là ce jour-là. C’est un problème de transport. Mais si je pouvais retourner au village au moment du mois d’octobre/novembre, je pourrais reparler avec cette dame, et en même temps avec son mari."
femme, analphabétisme, scolarisation, inégalité sociale, organisation paysanne, accès à l’éducation
, Sénégal, Fissel
L’analphabétisme des femmes rurales limite leur volonté d’envoyer leurs propres filles à l’école. Le manque de moyens de transport (une mobylette et l’essence régulière) limite la possibilité pour notre interlocutrice d’aller convaincre les papas et les mamans dans les villages.
Jig-Jam est une association innovante et la place des femmes y est importante. On dispose aussi sur son action des interviews (et des fiches DPH n°7.201; 7.202; 7.440; 7.481; 7.499; 7.501.) de son secrétaire M. Sara DIOUF et des fiches GRAD 488 et 489 extraites du même interview.
Entretien avec SENE, Khady, réalisé à Fissel en février 2001.
Entretien
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