Des différences culturelles entre partenaires aux diktats des ONG du Nord
02 / 1998
1/ Sara Diouf (Sénégal : Fissel, Association Jig-Jam) :
"Si je peux appeler cela un mauvais souvenir, c’est un moment que j’ai vécu et qui m’a marqué, à propos d’un projet d’élevage qu’on avait à Thiès et en avril initié avec Agro-Action Allemagne. Cette organisation était trop exigeante sur les justifications; elle allait jusqu’à nous demander des pièces justificatives pour acheter du bétail. Nous nous sommes dit alors : "Ces gens-là ne connaissaient pas du tout le contexte dans lequel nous vivons". Nous avons notre culture qui veut que, par exemple, pour acheter du bétail nous ne demandons pas de facture aux gens qui nous le vendent. Cela m’a beaucoup marqué.
On a beaucoup discuté avec eux mais ils ont été catégoriques là-dessus. "Il faudra des factures qui prouvent que vous avez acheté du bétail". On leur a donné des pièces qui ont prouvé que nous avions remis l’argent au président du groupement. C’était des "décharges" valables; mais cela ne leur suffisait pas. Il fallait leur trouver des factures auprès des gens à qui nous avions acheté le bétail. Avoir des factures, auprès de gens qui ont acheté du bétail hier quelque part, qui l’ont ramené chez eux et qui te le vendent aujourd’hui. Et tu dois leur demander une facture ! Je pense que c’est une perception qui n’est pas tellement de chez nous. Mais ils ne pouvaient pas comprendre cela !"
2/ Aminé Miantoloum (Tchad : ASSAILD, Association d’Appui aux Initiatives Locales de Développement) :
"Une fois, j’ai pensé : "ce bailleur exagère". C’étaient des Américains qui, à force de passer sur le goudron de Ndjaména et des villages proches, voyaient les femmes sécher leurs gombos en les posant sur la route. Sans même causer aux femmes, ils sont allés faire des dalles de séchage derrière le village. Ils ont vu les femmes faire et ils sont partis eux-mêmes construire les dalles. S’ils avaient seulement demandé aux femmes pourquoi elles faisaient sécher les produits sur la route, elles auraient pu expliquer que cela leur permettait de surveiller leurs produits et de vendre en même temps des petites choses à ceux qui passent. J’ai trouvé vraiment que c’était se moquer des gens : on fait des choses pour les gens sans même leur demander : "où est-ce que l’on peut faire cela ?" Jusqu’à aujourd’hui, les femmes n’ont jamais utilisé ces dalles-là."
3/ Joséphine Ndione, GRAIF (Groupe de Recherche et d’Appui aux Initiatives Féminines), Sénégal :
"Tout au début de nos relations avec les bailleurs, tu écris et on te dit : "Il faut formuler la demande comme cela". On t’envoie des formulaires, alors tu écris comme cela, tu présentes, tu envoies. On t’envoie encore une autre correspondance en disant qu’il faut recommencer la demande, la formuler d’une autre manière, on te donne d’autres formulaires. Tu recommences et ainsi de suite. Et au moins 4 à 5 fois, tu dois reprendre et après on te faxe des questions et tu dois répondre. Tu perds beaucoup de temps; tu te fatigues à chercher des éléments, en reprenant les documents et tout. En fin de compte, on se demande si cela vaut vraiment la peine. Une fois, j’ai eu à répondre à quelqu’un : "Excusez-moi, mais vous ne vous rendez pas compte que je n’ai ni secrétaire ni ordinateur ni les moyens de payer le fax et le téléphone. Donc, vous qui avez tout, vous pouvez écrire et taper tout ce que vous voulez et me le faxer dans la même soirée. Mais moi, il me faut du temps pour combiner la rédaction, le travail sur le terrain et après tout écrire, puis demander à une secrétaire extérieure de le taper et de vous l’envoyer. Vous ne vous rendez pas compte que les moyens dont vous disposez, nous on ne les a pas. De grâce, épargnez-nous un peu les difficultés de reprendre plusieurs fois la même chose".
Et puis, chaque fois qu’on négocie avec un nouveau bailleur, c’est une autre philosophie. Alors on s’adresse à des bailleurs que l’on connaît et on se limite à ceux-là ; on n’en contacte pas d’autres. Mais quelquefois, la demande attend un an sans avoir de réaction ! Tu ne sais pas si cela va marcher ou non, et au moment où tu devais démarrer le travail prévu, tu n’as pas encore de réactions ni de réponse positive ou négative ! Et les villageois attendent et te disent : "On a démarré un programme depuis un an et on doit commencer quelque chose" et, toi, tu es entre le marteau et l’enclume. Tu leur as fait exprimer leurs besoins, tu les as analysés avec eux tous, on a écrit un programme avec les populations et après, celles-ci sont dans l’attente de démarrer le programme et toi, tu n’as pas encore reçu de réponse des bailleurs ! Ceci crée quelquefois des frustrations entre l’ONG et les populations".
organisation paysanne, ONG du Nord, projet de développement, dépendance économique, développement local, négociation
, Sénégal, Tchad, Fissel, Moundou, Thies
Deux attitudes de certains bailleurs de fonds sont jugées détestables par les dirigeants d’associations paysannes et d’ONG du Sud : ne tenir aucun compte des pratiques culturelles locales ; décider et agir à la place des bénéficiaires de l’aide. Deux pratiques des partenaires sont jugées négatives pour la bonne marche d’une organisation : les courriers sans cesse envoyés pour faire rentrer les demandes d’aide dans le cadre (changeant) des formulaires spécifiques à chacun d’entre eux ; et malgré cela, les délais aussi longs qu’imprévisibles de réponse (positive ou négative) à ces demandes.
Les trois interlocuteurs sont depuis des années en relation étroite avec le GRAD. Ils se sont exprimés avec sincérité. Ils sont à l’origine de nombreuses fiches.
Entretien
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