Quand un secteur dit artisanal s’organise
Anne Sophie BOISGALLAIS, Benoît FAUCHEUX
01 / 2001
Patrick Dupont, installé sur une ferme de 42 hectares depuis 1983 dans l’Avesnois, région bocagère du Nord de la France, a décidé d’entamer une reconversion en agriculture biologique car il se sentait de plus en plus mal dans l’agriculture conventionnelle. Il voyait qu’il fallait produire toujours plus à cause de la diminution des prix agricoles, de l’augmentation du coût des intrants, de la façon de concevoir l’agriculture imposée par un modèle dominant où l’agrandissement des unités de productions est signe de progrès et d’avenir.
En production biologique, il y a les limites naturelles : la terre est un milieu vivant qu’il est nécessaire de respecter pour qu’il garde son équilibre. Il faut pour cela favoriser la vie microbienne du sol par l’apport de compost, refuser l’utilisation de produits chimiques, planifier la rotation des cultures qui permettent le contrôle des plantes sauvages. En élevage, le développement des défenses immunitaires est primordial, en évitant tout traitement systématique et en fournissant une alimentation saine.
Vivre avec un élevage laitier en production biologique sans vente directe était très difficile en 1995, lorsque Patrick Dupont commença sa reconversion. Heureusement, il n’était pas seul à poser ce regard sur l’agriculture et à avoir envisagé une reconversion. Une quinzaine de producteurs laitiers du Nord/Pas-de-Calais se sont ainsi retrouvés pour réfléchir à la façon de commercialiser leur lait biologique : toutes les laiteries de la région avaient été interrogées pour savoir si elles étaient intéressées par ce lait de qualité, mais toutes avaient refusé, et le lait bio continuait d’être mélangé aux autres laits…
Les producteurs biologiques de la région Nord se sont donc rapprochés d’un groupement de l’Ouest de la France, le GIE (Groupement d’Intérêt Economique)« Biolait ». Malgré une collecte économiquement déficitaire dans le Nord les premiers mois, ce groupement a accepté l’adhésion des producteurs de l’Avesnois au nom de sa devise : « La bio partout et pour tous ».
Pour les adhérents de Biolait, un producteur qui fait l’effort de produire bio a le droit d’être valorisé en bio et cela passe aussi par une solidarité entre éleveurs.
Actuellement, Biolait représente 25 pour cent du lait bio en France (31 millions de litres de lait de vache collectés en 2000)avec 300 adhérents, dans 54 départements de collecte. Biolait collecte aussi le lait de brebis et le lait de chèvre (environ 2 millions de litres chaque année). Dans ce GIE, les adhérents eux-mêmes, secondés par des administratifs, gèrent leur groupement et prennent toutes décisions concernant la collecte et la commercialisation du lait.
Le groupement emploie 66 salariés dont une quarantaine de chauffeurs. En 1999, des structures locales se sont mises en place dans chaque département collecté. Elles ont pour objet de maintenir le fonctionnement démocratique du groupement en faisant en sorte que chaque adhérent soit informé et puisse échanger sur l’actualité de la filière biologique et les activités de Biolait. Les structures locales sont un lieu d’implication régulière des adhérents, elles ont le rôle essentiel d’assurer la représentation départementale et régionale.
Dans ses principes fondateurs, le GIE Biolait a pour but de :
- favoriser le développement de l’agriculture biologique ;
- garantir l’équité et la transparence dans la rémunération des producteurs ;
- reconnaître tous les producteurs de lait biologique et établir entre eux une solidarité qui favorise le développement de la production laitière biologique dans toutes les régions françaises ;
- établir des partenariats avec de nombreux transformateurs. Biolait permet ainsi à tous de se positionner sur le marché bio et de diversifier la gamme de produits offerts aux consommateurs.
Aujourd’hui, 85 transformateurs sont livrés en lait bio de Biolait, ce qui permet à plus de 200 produits et marques de produits lactés d’être fabriqués avec le lait des producteurs de Biolait.
Avant l’existence de ce groupement, plus de 300 transformateurs n’avaient pas l’opportunité d’être livrés en lait biologique.
« Il est important, souligne Patrick Dupont, de communiquer sur le fait que l’on peut produire et préserver l’emploi en agriculture grâce à l’agriculture biologique. Nous raisonnons le volume produit par actif en recherchant l’autonomie sur nos fermes pour être moins dépendants de l’agrobusiness. C’est pour l’avenir de nos enfants que nous voulons construire une agriculture durable qui préserve conjointement l’emploi, l’environnement et la qualité des produits ».
De façon paradoxale, ce groupement de producteurs biologiques du Nord ne recueille pas une oreille favorable au sein du parc naturel régional de l’Avesnois. Ils restent marginalisés quand ils veulent promouvoir ces projets citoyens qui ne valorisent pas d’abord la production économique puisque la priorité est donnée à l’existence des petits producteurs. Minoritaires et résolument à contre-courant, ils n’en continuent pas moins leur combat, persuadés qu’ils ont à construire un avenir socialement et écologiquement meilleur.
agriculture biologique, protection de l’environnement, mise en valeur du sol, initiative économique, coopérative de production, lait
, France, Nord-Pas-de-Calais
Filières durables : l’agriculture
L’année 2000 est célébrée par les chrétiens comme l’année du jubilé. Cette période qui revient tous les 49 ans dans la tradition biblique invite les hommes à : redistribuer et mettre en repos la terre, annuler les dettes et libérer les esclaves. La charte du CMR reprend cela en nous invitant à privilégier « les choix qui vont dans le sens d’un développement durable pour tous les ruraux de la planète ». En choisissant un mode de production biologique, Patrick et ses collègues de Biolait sont devenus moins dépendants de l’agrobusiness. On peut ainsi parler d’un Jubilé mis en actes.
Post-scriptum 2010 (proposé à l’occasion de l’inclusion de cette fiche dans le dossier Filières durables : l’agriculture :
Biolait est devenue en 2005 une société par action simplifiée (Biolat SAS) qui regroupe des producteurs de lait bio, abandonnant le modèle coopératif. Ses fondateurs conservent cependant une structure associative, La voix biolactée, « contribuant au développement de la filière laitière biologique au travers d’actions de communication ». Biolait continue son travail de structuration la filière de lait bio et affiche un « principe d’équité » sur le prix, un engagement « réciproque et solidaire » et « un fonctionnement transparent et démocratique ». Mais cette expérience n’a pas réussi à dépasser un petit cercle de producteurs. Depuis dix ans, Biolait s’est stabilisé, avec environ 360 producteurs représentant 0,2% de la collecte de lait en France. A côté, le modèle dominant vise à concentrer les filières : sept grands groupes se partagent 70% de la collecte de lait auprès des 87.000 producteurs, ce qui pose de graves problèmes de répartition des revenus entre grandes marques et petits producteurs. Biolait en est d’ailleurs dépendant puisqu’elle commercialise son lait bio auprès de certaines de ces grandes marques, comme Candia, propriété de Sodiaal, une coopérative alliée à un fonds spéculatif européen, PAI Partners.
En savoir plus : www.biolait.net/
Entretien ; Articles et dossiers
Texte issu d’un témoignage de Patrick DUPONT et d’une synthèse d’un ensemble d’articles de journaux : Le GIE biolait démarre fort in. Ouest France, 1996/02/02 (France), Alter Agri, 1998/04/14 - La France Agricole, 1997/09-10 - La Haute-Loire Paysanne, 1998/09/25 - Agra Presse Hebdo, 1999/04/12 - Travaux et Innovation 2000/02
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