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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Internet et l’aide au developpement en Amérique latine et Caraibes

L’expérience de Funredes

Daniel PIMIENTA

11 / 1997

"Mais vous êtes fou, Pimienta! Vous me proposez que l’Union Latine se transforme en promoteur de la langue anglaise auprès des chercheurs latino-américains!".

Ce fut la première réaction de Monsieur Philippe Rossillon, en réponse à la proposition de parrainage d’un projet de développement des réseaux en Amérique Latine, en 1987.

Le phénomène Internet n’avait pas encore marqué notre temps[1]; les réseaux pour la recherche étaient des outils spécialisés qui connaissaient déjà une croissance exponentielle, mais limitée au monde universitaire des pays industrialisés.

L’intérêt pour le développement de ces outils de démocratisation de l’information était déjà reconnu par quelques pionniers.

Cependant, les réseaux de la recherche des années 80 étaient marqués par une double dominance, celle des techniciens et celle de l’anglais (la vision technique s’accompagnant par une tyrannie implicite de la langue et de la culture qui soutenait cette technique). Les interfaces utilisateurs étaient rustiques et en anglais. L’accès aux outils télématiques était difficile pour les chercheurs sans expérience informatique[2]. Les échanges de messages par courriel entre scientifiques de pays différents s’établissaient de préférence en anglais, parfois malgré l’existence d’une langue latine commune. De plus, l’émerveillement des premiers utilisateurs envers ce nouveau mode de communication sans frontières les rendaient très indulgents quant aux inconvénients mentionnés[3].

L’inquiétude du Secrétaire Général de l’Union Latine était donc fondée.

L’argumentation qui réussit à infléchir sa position s’articulait autour de trois axes:

1)Si les défenseurs des langues et cultures n’investissent pas cet espace de communication, les conséquences seront redoutables, car bientôt il sortira du monde universitaire et sera accessible par tous. Il sera alors bien difficile de reprendre position. (Voir "La place du français dans l’Internet: situation et perspectives.")

2)Dans un premier temps, les objectifs peuvent être pragmatiques et réalistes[4]: que deux personnes utilisent leur langue commune dans les échanges par courriel ou, à défaut, la plus "proche" de leurs langues respectives. Acceptons l’utilisation de l’anglais comme véhicule pragmatique entre un français et un japonais qui n’ont pas d’autres options; mais faisons en sorte qu’un brésilien et un français hispanophone communiquent en espagnol (voire en "Portugnol"!). Et, en tous cas, empêchons l’aberration de l’utilisation de l’anglais par deux interlocuteurs francophones!

3)A moyen terme, anticipons l’évolution des réseaux vers de meilleurs interfaces, la structuration des contenus d’information[5]et la traduction automatique. Préparons tout de suite des interfaces en plusieurs langues et des contenus en langues latines.

Le projet REDALC est né sur ces prémisses et a réussi pendant sa première phase (88-89)à démontrer les raisons pour la promotion des réseaux en Amérique Latine et Caraïbes. (Voir la première partie de "La Communication par Ordinateur: un espoir pour le secteur de la recherche dans le Tiers Monde." ) En 1989, l’avant-projet REDALC réussit à convaincre le Congrès de l’Union Latine, l’Unesco, qui deviendra un partenaire privilégié, et l’Union Européenne, qui assurera le financement des études de faisabilité.

Entre 1990 et 1993, l’équipe du projet REDALC saura, en collaboration avec l’Unesco, conduire l’étude de faisabilité dans huit pays pour proposer un projet "clef en main". La taille du rapport final et la variété des thèmes traités[6]traduisent la complexité du sujet et l’effort accompli. A partir de septembre 1993, l’équipe du projet se transforme en ONG FUNREDES pour concentrer son action sur les Caraïbes.

L’Union Européenne ne prendra pas la décision d’exécuter le projet; officiellement la raison est le succès du standard Internet face à la norme OSI sur laquelle devait initialement s’appuyer le projet. Des considérations géopolitiques ont certainement pesé lourd dans la balance (priorité budgétaire pour l’Europe de l’est). Néanmoins, le projet a marqué son époque au niveau des concepts aussi bien que des réalisations concrètes.

Conduire une étude longue et approfondie dans un domaine caractérisé par une vitesse de changement aussi rapide et une culture dominante du pragmatisme était un réel défi. Les contradictions ont été surmontées en menant une série d’actions concrètes, comme autant d’opérations prototypes pour appuyer l’étude principale.

Logiciel MULBRI: un des tout premiers logiciels d’interface aux réseaux pour la recherche, basé sur PC, (l’ancêtre des Eudora et Pégasus)avec, en prime, plusieurs langues d’accès.

Conférences électroniques: REDALC@CNUSC.FR a réussi à s’imposer comme une référence internationale sur la région latino-américaine, où le multilingisme s’est appliqué avec succès et a été suivi de plusieurs autres conférences où le concept de "communauté virtuelle" a démontré ses qualités.

Séminaires de sensibilisation et de formation destinés aux utilisateurs: là aussi, le projet a fait oeuvre de pionnier. Le projet REDALC a été un des premiers à tenter de communiquer avec les utilisateurs potentiels en des termes compréhensibles et FUNREDES a maintenu cette tradition avec ses séminaires Internet.

Réseaux nationaux pour la recherche:

Le projet REDALC a d’abord conçu une méthodologie adaptée pour la création de réseaux nationaux(Créer des réseaux nationaux pour la recherche dans le Sud: pas vraiment la même histoire!"), fruit d’une recherche pour concilier l’approche européenne et la réalité sur le terrain latino-américain. Les grandes lignes en sont:

-la fédération des acteurs de la recherche,

-la priorité à l’institutionnel,

-l’implication des utilisateurs à chaque étape,

-la diffusion systématique avec formation,

-la relation de bénéfice mutuels avec les acteurs des télécommunications.

Cette méthodologie a été appliquée dans le cadre de trois réseaux nationaux.

Au Pérou. RCP a été créé, en 1991, grâce au soutien financier de l’Union Latine. Pour la première application de la méthodologie REDALC, l’apport du projet s’est limité à la création. RCP a conservé la vision centrée sur l’utilisateur et s’est transformé en une référence mondiale pour le développement de réseaux. Ultérieurement, RCP s’est éloigné de la recommandation initiale de négociation avec les opérateurs de télécommunication et a dépassé le cadre d’un réseau non commercial, puisqu’aussi bien ses services sont offerts aux clients du secteur commercial. Il se trouve confronté, dans l’actualité, à des problèmes de compétition avec des réseaux à but lucratif.

En République Dominicaine, REDID a été créé en 1992 sur les mêmes principes. L’apport s’est poursuivi, avec l’opération du réseau par FUNREDES, jusqu’en fin 1995. Le réseau REDID a été l’un des plus dynamiques des Caraïbes, région où le développement a été plus difficile qu’en Amérique Latine. (Voir documents dans gopher.psg.com et gopher.funredes.org)Néanmoins, le transfert de technologie n’a pu s’opérer pleinement, faute de masse critique et de budgets.

En Haïti, le développement de REHRED a connu des retards comme conséquence des crises politiques. En compensation, le transfert de technologie a été mieux réussi vers un groupe de contrepartie autonome qui maîtrise tous les enjeux et s’identifie avec la méthodologie. Aujourd’hui, le projet est en train d’éclore avec une force institutionnelle et organisatrice très prometteuse[7].

Pour plus de détails sur l’action de FUNREDES et ses autres projets, il suffit de consulter son système d’information qui réunit plus de deux cents documents originaux sur le thème de l’Internet dans le Sud.

L’action sur le terrain dans les pays en développement est une tâche difficile où rien n’est jamais acquis, ni les succès ni les défaites... C’est en tous cas une mission nécessaire, courageuse et motivante où les vrais résultats se mesurent au niveau de l’impact social à long terme plus que sur les bilans techniques immédiats.

Les nouvelles technologies de l’information et communication (NTIC)offrent des opportunités sans précédent pour le développement, et c’est pour cela qu’elles méritent priorité[8]. Bien sûr, à côté des espoirs il y a des risques et des dangers. La coopération dans ce domaine pourrait aider à la création des infrastructures (et également des "infostructures"), mais elle devrait surtout permettre aux peuples du Sud de prendre leur propres décisions, lucidement, à partir d’une maîtrise des outils et de la connaissance intégrale des enjeux, dans le respect de leurs langues et cultures.

Les NTICs permettent d’échapper aux schémas établis et, souvent, d’inverser les rôles; autant qu’un instrument de la globalisaation économique elles peuvent être le contrepoids des citoyens du Nord comme du Sud faces à tous les pouvoirs. Elles peuvent devenir, enfin, l’instrument privilégié de la coopération Sud-Sud.

[8]pour reprendre le fameux proverbe chinois, et quoiqu’en pense ceux qui considèrent qu’ils vaut mieux donner un poisson qu’enseigner la pêche, il est primordial d’organiser un outil qui met en rapport les pêcheurs pour leur permettre d’échanger leur savoir-faire et de s’informer sur les méthodes existantes. Depuis l’existence de l’Internet, il n’est pas raisonnable de réinventer la roue.

Mots-clés

communication, informatique et societé, technologie de l’information et de la communication


, République Dominicaine, Amérique Latine

Commentaire

Chantier maîtrise sociale des technologies

Notes

[1]BITNET et sa version européenne EARN, ainsi que UUCP, tenaient le haut du pavé électronique, à côté de réseaux spécialisés par secteur de la science.

[2]Cela explique le succès initial des réseaux dans les sciences dures et le retard relatif des sciences humaines et sociales.

[3]Vers la fin des années 80, l’habitude était prise de rédiger des notes en français sans accentuation, conséquence d’un choix de normalisation des caractères informatiques étriqué et favorable à la langue anglaise.

[4]Le pragmatisme et une croissance spontanée et décentralisée, du bas vers le haut, sont les ingrédients de base de la "culture réseau" qui ont assuré son succès.

[5]Curieusement, la vision des réseaux des années 80 était limité au transport de l’information. La structuration des contenus d’informations était considérée comme un élément externe au réseau.

[6]Bilan de la recherche, bilan de l’informatique et des télécommunications, étude pour une solution régionale à base de satellite, plan de formation, interfaces utilisateurs, structure institutionnelle, etc.

[7]Un accord entre REFER et REHRED permet un passage de ressources réseaux entre le réseau francophone de l’AUPELF-UREF et le réseau de la recherche haïtien.

[8]pour reprendre le fameux proverbe chinois, et quoiqu’en pense ceux qui considèrent qu’ils vaut mieux donner un poisson qu’enseigner la pêche, il est primordial d’organiser un outil qui met en rapport les pêcheurs pour leur permettre d’échanger leur savoir-faire et de s’informer sur les méthodes existantes. Depuis l’existence de l’Internet, il n’est pas raisonnable de réinventer la roue.

Source

Articles et dossiers

PIMIENTA, Daniel, Internet et l'aide au développement en Amérique Latine et Caraïbes: l'expérience de Funredes in. Revue Universités de l'AUPELF, 1997/02/19; A paraitre en Anglais sur Matrix News

FUNREDES (Fundación Redes y Desarrollo) - Apartado Postal 2972, Santo Domingo, REPUBLIQUE DOMINICAINE - Tél./Fax : (1-809) 689-3388 - République Dominicaine - funredes.org - contact (@) funredes.org

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