Les tentatives de sabotage des politiques de décentralisation par les autorités déconcentrées : l’exemple du service public de l’état civil de Salikégné
06 / 2001
La Communauté Rurale de Salikégné se trouve dans l’Arrondissement de Dabo, Département de Kolda, région de Kolda. Elle se situe à un kilomètre de la frontière sénégalo-bissau guinéenne.
Dans le temps, le sous-préfet, représentant de l’Etat était également officier d’état civil et le conseil rural ne pouvait qu’émettre un avis sur l’organisation du service de l’état civil. Ainsi, la sous-préfecture située à Dabo abritait le centre d’état civil. Et tout habitant de l’arrondissement qui voulait un acte d’état civil devait de déplacer jusqu’au dit centre, et ce, quelle que soit la distance. Pour se procurer par exemple un bulletin de naissance à Dabo, le chef-lieu d’arrondissement, un habitant de Salikégné devait d’abord rejoindre Kolda qui est à 33 kilomètres par piste latéritique. De Kolda, il lui fallait un autre véhicule qui le transportait jusqu’à Dabo, distant de 50 kilomètres. Le même trajet était repris pour le retour. Ainsi, les frais de transport s’élevaient à 4.000FCFA alors que les frais d’établissement d’un acte d’état civil ne sont que de 300 FCFA.
Dans le cadre de la décentralisation et des compétences transférées aux collectivités locales, le conseil rural donne désormais compétence en matière d’organisation du service de l’état civil dans la communauté rurale. Le président du conseil rural est bien entendu officier d’état civil.
Pour autant, certaines prérogatives essentielles sont restées entre les mains du sous-préfet, notamment en matière d’organisation des audiences foraines.
Ces audiences concernent les personnes qui n’ont pas été déclarées à l’état-civil conformément à la loi. Par ce fait, elles ne figurent pas sur les registres de naissance du service d’état-civil de leur localité. Ces personnes adressent donc une requête au sous-préfet pour solliciter la fixation d’une date d’audience à laquelle elles comparaîtront en vue d’obtenir un jugement constatant leur naissance et permettant leur inscription sur les registres de l’état civil.
Le sous-préfet vérifie donc que les requérants habitent bien dans la localité et qu’ils ne sont pas inscrits sur les registres. Le cas échéant, il leur délivre un certificat de non-inscription.
C’est après cette intervention du sous-préfet que le président du tribunal département fixe une date d’audience foraine.
Du 11 au 15 décembre 2000 devait se tenir une audience foraine à Salikégné. Les requêtes furent préparées pour être déposées à Dabo, chef-lieu de l’arrondissement dont fait partie Salikégné. Trois fois de suite le sous-préfet renvoya le secrétaire du conseil rural venu déposer les requêtes. Pour cause, l’autorité territoriale avance le non-respect du rendez-vous fixé au secrétaire. En réalité le sous-préfet de Dabo n’a pas de bons rapports avec les élus locaux de Salikégné, le président de la communauté rurale en premier. Il entend donc par ses agissements non seulement montrer le pouvoir qu’il a encore malgré le transfert de compétences aux collectivités locales, mais également faire obstacle à la mission des élus locaux.
Pourtant, le président du tribunal département est disponible et attend juste que le sous-préfet signe les requêtes. Et jusque là, ce dernier refuse de le faire sans motif valable. Cette décision est d’autant plus grave qu’elle affecte particulièrement les élèves candidats aux concours et examens nationaux en fin d’année.
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Toute la pertinence et l’actualité des politiques de décentralisation sont révélées à travers cette expérience qui montre combien il est juste et raisonnable de rapprocher l’administration des administrés. Du temps de la centralisation, l’état-civil était géré au niveau de la sous-préfecture et comme nous l’avons vu, les populations de la communauté rurale de Salikégné devaient supporter 4000 FCFA de frais de transport pour accéder à un service aussi important que l’état civil. L’aberration atteint son comble lorsque l’on sait les frais d’établissement des pièces d’état civil ne sont que de 300 F. Cette aberration est aujourd’hui corrigée par la décentralisation qui donne aujourd’hui du président du conseil rural le statut et les attributions d’officier d’état civil à part entière.
Il est pertinent que par la décentralisation, les services publics essentiels soient institués jusque dans les contrées les plus reculées du Sénégal, notamment en donnant des pouvoirs réels et des compétences conséquentes aux autorités locales décentralisées.
Cependant, il ne faut pas faire les choses à moitié. En effet, ici, l’administration centrale, à tort ou à raison, reste détentrice d’une fonction essentielle d’état-civil : permettre l’organisation d’audiences foraines. Cela est d’autant plus regrettable que le sous-préfet subordonne l’exercice de ses prérogatives à un certain subjectivisme, notamment l’état de ses relations avec les élus locaux.
Mais de façon plus générale, ces abus de pouvoir et autres blocages ne sont que des manoeuvres des agents de l’administration centrale dont l’ultime objectif est de faire échouer la décentralisation afin que les compétences transférées leur reviennent à nouveau. C’est qu’en réalité, certains fonctionnaires vivent très mal ces transferts surtout lorsqu’ils emportent des enjeux financiers aussi importants que l’état-civil. Il faut effectivement dire que le contrôle sur les recettes d’état-civil est très difficilement exercé au Sénégal.
Monsieur SEYDI est secrétaire communautaire du conseil rural de Salikégné.
Récit d’expérience
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