Jean Louis VIELAJUS, Sylvie ROBERT
12 / 1999
La capitalisation a pour but d’organiser des connaissances acquises par la pratique et de les rendre transmissibles.
L’évaluation, quant à elle, traite d’un champ d’action ou d’un champ institutionnel, ce que l’on peut aussi trouver dans la capitalisation, par rapport à des pratiques opérationnelles ou institutionnelles. Elle a pour visée, soit de conduire à un ensemble d’analyses pour améliorer ce que l’on est en train de faire, soit de tirer les leçons de ce qui a été fait pour faire d’autres choses. Il y a donc là un objectif qui se rejoint, qui est de tirer les leçons pour faire autre chose ou pour d’autres, selon comment l’on rend l’affaire partageable.
La capitalisation est plus tournée vers l’action, et l’évaluation vers la formulation des connaissances. Par rapport au suivi-évaluation, la capitalisation a l’intérêt de la plume souple. On ne demande pas à la personne de faire son auto-évaluation de projet, de dire ce qu’il en est en matière d’efficacité, d’efficience, de pertinence, de cohérence, mais plutôt ce sont les termes de référence de la capitalisation.
Ce qui distingue encore l’évaluation de la capitalisation, c’est que l’évaluation travaille sur la base de critères, puis que dans l’évaluation il y a une dose plus ou moins importante d’intervention externe et indépendante, ce qui n’est pas indispensable dans le processus de capitalisation.
Il y a cependant des moments, même dans la capitalisation, où la présence bien dosée d’une personne externe est nécessaire pour découvrir ce qui ne se dit pas, ou pour accompagner le processus dans d’éventuels conflits. Ces derniers peuvent se déclarer entre les gens qui ont été partie prenante de quelque chose, et sur lequel il peut y avoir des divergences d’appréciation, et c’est souvent le cas.
Les deux processus ont besoin du portage interne, et d’une appropriation depuis le début.
Peut-être faut-il distinguer la capitalisation perçue comme un moment fort de l’histoire d’une institution, qui peut être bien ou mal conduit. S’il est bien conduit, ça ne doit pas trop durer, il faut trouver la façon dont le chantier est organisé et comment chacun peut contribuer de là où il est à cette capitalisation, accepter les prises de parole multiples, savoir s’il y a besoin à un moment d’accompagner des capitalisations individuelles, faire ce véritable travail d’accompagnement, puis de collectivisation, de restitution mutuelle, et éventuellement de traitement des conflits issus des positions individuelles. Là, il y a une méthode de travail à trouver. Je ne l’ai jamais vue écrite, mais elle l’est peut-être.
D’autre part la capitalisation peut être vue comme un processus permanent d’élaboration des connaissances issues de l’action. La question qui se pose est « Quand on est responsable d’une action sur deux, trois, quatre ans, est-ce que l’on sait au terme de cette responsabilité capitaliser l’expérience, est-ce que l’on a les deux mois de travail plus l’accompagnement interne, et externe si nécessaire, qui permettent de formaliser, de reconstruire l’histoire et de poser les questions, ou de dire ce que l’on sait à partir de là, puisqu’il s’agit de faire une introspection et une prospective ?".
L’objectif est double : il faut que la personne « sorte ses tripes », avec un accompagnement, mais il faut que cette production de capitalisation, soit canalisée, soit vers une réflexion thématique éventuellement ouverte sur l’extérieur, qu’il y ait une capacité d’accumulation et de confrontation ; soit dans une logique plus institutionnelle, canalisée à l’intérieur, pour à un moment faire du transversal ou de la complémentarité entre différentes capitalisations. On arrive à l’idée que l’on peut alors regarder la capitalisation comme un outil permanent mis en place dans les institutions et qui demande, non pas une opération commando une fois, mais de s’organiser un peu.
On peut se demander quels sont tous les processus d’interrogation de la pratique, qu’il y ait des critères ou non, processus construits, analysés, permettant d’en tirer des leçons, et comment tout ça vient alimenter les processus de capitalisation.
A un moment donné une organisation, se dit qu’elle a un devoir de capitaliser. On est engagé dans l’action, et on sait que le grand risque est que, pour des raisons budgétaires et d’activisme, on enchaîne les actions sans tenir compte de l’expérience antérieure. Toutes ces organisations « à matière grise » ont pour capital des connaissances actualisées, révisées. Le secteur associatif par rapport au secteur purement marchand doit en tout cas avoir cette exigence là, en contrepartie des soutiens, des financements publics, un devoir de capitalisation. Il faut donc s’organiser comme cela, et ne pas faire « comme si » une fois tous les 10 ans.
La question est alors de savoir sur quoi faire la capitalisation : sur la valeur ajoutée d’un ensemble de matériaux qui vont être produits au cours de notre activité ? La stratégie de capitalisation se fait sur la base de travaux de type revue historique, de questionnements et d’hypothèses nouvelles. On retire tous les rapports langue de bois ou auto-justificateurs et on cherche les documentations ayant une vraie valeur ajoutée en matière de connaissances. A ce moment là l’enjeu est de savoir impulser cela, c’est à dire la confection de ces capitalisations-histoires de projets portées par une ou plusieurs personnes, en ayant un accompagnement de la démarche, ainsi que la capacité d’analyse transversale et de synthèse.
Par la capitalisation, je décris l’histoire, et de l’histoire je tire les faits saillants que je propose comme connaissance nouvelle ou comme interrogation. Là est la valeur ajoutée : on produit de la connaissance, sur ce que l’on a fait.
L’évaluation a du mal à tirer toute la substance possible de l’action parce que l’on n’a pas d’indicateurs. Il y a des ONG qui jusqu’à présent faisaient leur projet puis leur bilan. L’évaluation arrive alors en disant que les bilans ne sont pas forcément complaisants, et par ailleurs que tout le monde a le droit à l’erreur.
Une des dérives possibles de l’évaluation est le risque qu’elle soit faite pour justifier au bailleur de fonds que l’on a bien ou mieux fait, et que l’on a bien utilisé les moyens. L’enjeu « efficience » est alors important et se surimpose à l’enjeu « pertinence-cohérence ». Ne faut-il pas en matière d’évaluation donner une place plus importante à la pertinence ? Il faut pour cela sonder dans l’impact, et donc avoir ces indicateurs.
Une ONG a plusieurs devoirs : de redevabilité vis à vis de ses donateurs, partenaires et bailleurs de fonds, mais aussi de capitalisation au vu des enjeux socio-économiques auxquels ses actions sont étroitement liées. L’enjeu est que l’évaluation, qui est un outil, serve tout autant le devoir de capitalisation que celui de redevabilité. Or, actuellement, cet outil là est plus orienté vers le devoir de redevabilité, c’est à dire d’efficience.
Demandons nous donc comment l’évaluation est un outil de la capitalisation. Et donc travaillons la pertinence.
J.L. Vielajus a assumé la direction du GRET (groupe de recherche et d’échanges technologiques) de 1988 à 1994.
Entretien
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