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Capitaliser pour changer les choses : une bonne méthode pour valoriser l’expérience paysanne en Afrique de l’Ouest

Bernard LECOMTE, Sylvie ROBERT

12 / 1999

Dans mon travail d’ingénieur conseil, de consultant, de patron de coopérative, j’ai toujours eu ce goût de ne pas aimer faire deux fois la même chose, et de critiquer ce que nous faisions, ce que l’on appelle dans notre jargon le suivi. Je suis, d’une certaine façon, un réformateur, et donc intéressé non par le savoir mais plutôt par le savoir comment changer les choses.

Contrairement à l’intellectuel universitaire, l’homme d’action, acteur du changement social, a besoin de prendre connaissance vite des choses, et ensuite, à partir de là, de savoir où il peut aller.

Lorsque j’ai participé tout à fait au début à un processus de capitalisation avec la FPH, c’était à titre individuel. Le GRAD, l’équipe dont je fais partie maintenant, ne s’intéressait pas encore à cela. J’ai fini par les intéresser. Une partie des choses que l’on attend d’eux, c’est d’écouter les paysans, que l’on enregistre, puis l’on saisit leurs propos, on le leur soumet et on rédige un commentaire. Finalement on remet tout cela dans un français susceptible d’être lu, en essayant de ne pas trop déformer, on met un titre et on retranscrit cela dans une fiche que l’on envoie à DPH. Et quand, avec la Coopération Suisse, le GRAD a eu un contrat pour faire que les paroles paysannes sur la relation d’aide remontent jusqu’à Washington, jusqu’au Ministère français de la Coopération, et bien on a utilisé la méthode DPH.

Je veux faire remonter l’expérience paysanne au niveau des agences d’aide, pour qu’elles comprennent comment raisonne une organisation paysanne. Rien n’est plus commode qu’une fiche, pour celui qui veut ensuite sortir une analyse thématique.

Prenons l’exemple des ’ dossiers-débats ’ que nous faisons avec Inter-réseaux et le Club du Sahel. Le but de ces dossiers, d’une vingtaine de feuillets chacun, est d’être posé sur le bureau d’intellectuels du Nord ou mis dans les mains de paysans du Sud. Une question générale est posée, puis chaque question est présentée par des paroles paysannes sur une double page. On espère alors que ces messieurs et dames ’ du sommet ’ lisent les petits morceaux d’interviews qui concernent précisément la question. On essaye de partir des réflexions paysannes pour la plupart extraites de fiches et d’engager un débat. Chaque page permet donc un débat. C’est typiquement une capitalisation, autour d’expériences positives et de remarques critiques.

Plus qu’un outil d’éducation, c’est un outil de mise en contact de gens qui sur une question précise comme : ’ Faut-il aider les individus ou seulement les groupes ? ’ vont disposer là d’une parole qui remonte des individus et des groupes aidés et qui va les inciter à prendre position. Ce n’est pas que ce soit original, mais les paysans ne font que parler, ils n’écrivent pas, et donc il n’y a jamais rien venant réellement d’eux, rien qui remonte. Ce qui remonte c’est l’interprétation que Monsieur X, Y ou Z a de ce que le paysan lui a dit. Mais là on essaye d’avoir les phrases mêmes des paysans. C’est un outil pour créer une nouvelle relation.

L’objectif de tout cela est de modifier l’aide. L’aide n’est pas bien adaptée à son objet, elle n’est pas capable d’aider à la base par de petites sommes réfléchies avec des gens, négociées non sous forme de programmes, mais sous forme de possibilités d’action. Il faut la modifier. Donc c’est une recherche sur les instruments. Pour un homme d’action c’est un outil qui peut être très utile.

DPH ne peut pas constituer une bonne documentation pour l’homme de sciences. Mais moi je ne cherche pas à être un homme de sciences. Et comme homme d’action, cela me manque beaucoup que les autres équipes d’action n’acceptent pas cette discipline. J’ai travaillé par exemple avec les gens du CCFD (1). J’ai essayé d’introduire ce que j’appelle le Suivi-Evaluation-Prévision (SEP), qui demande aussi de faire des fiches, mais je crains que cela ne dure pas.

S’il ne faut pas être trop scientifique et trop universitaire, il ne faut pas non plus être trop amateur. Le public qui peut être intéressé est relativement spécifique. Il a une utopie mais il veut aussi modifier les pratiques.

Une capitalisation d’expérience n’existe qu’en vue de quelque chose. Et si on arrive pas à définir cet ’ en vue de quelque chose ’, on n’a rien. Au coeur de chaque noyau il faut quelqu’un qui veuille que ça change. Et ces gens-là sont rares. S’ils ne sont pas là, le noyau, au bout d’un moment, ne sait même plus pourquoi il est là. Je crois qu’il y a une confusion entre l’appareil qui n’est pas nécessairement composé entièrement de gens qui veulent changer la société, et puis les noyaux durs de gens qui disent ’ on veut que ça bouge ’.

Quand on a eu fini la série d’interviews fin 1998, on voulait non seulement faire remonter la parole paysanne sur l’aide, mais aussi faire travailler des gens dans les organisations paysannes sur ’ comment éviter d’être dominé ? ; comment faire pour que nos programmes ne soient pas coupés en morceaux par l’aide ? ; comment arriver à nous passer d’aide ? ; comment augmenter notre autonomie financière ? ; comment faire pour des organisations débutantes ? ’. Toutes ces questions ont été sélectionnées à partir des interviews et des fiches, pour préparer deux réunions transversales qui se sont tenues au Sénégal et au Burkina, et auxquelles étaient invités ceux qui avaient répondu aux interviews. On a pris dans leurs interviews et leurs fiches des morceaux. On a ouvert un titre par regroupement thématique puis on a mis les morceaux de fiches ensemble, et ils ont discuté là dessus. L’intérêt majeur c’est qu’une parole devienne un outil de travail, ce qui n’est jamais le cas en Afrique de l’Ouest. Dans les réunions, il n’y a pas de feuille de papier sur lesquelles on écrit quelque chose. Grâce à ces extraits classés ils ont donc discuté des choses qu’ils avaient mises sur leur papier, puis ont dit : ’ Nous sommes d’accord avec cette phrase là pour nous tous, mais celle-ci, par contre, c’est vraiment un cas particulier ’. Ils ont donc appris à travailler leurs paroles venues de différents pays, en la considérant comme un acquis, donc comme un capital, qu’on peut faire valoriser.

L’outil DPH peut servir aux paysans, dans une fonction d’expression de leurs savoirs, dans une possibilité de comparer ces savoirs entre eux, dans une possibilité de construire à partir de ces savoirs écrits un savoir amélioré. C’est pour cela que je pose ces questions agaçantes de simplisme : ’ comment clarifier des tensions ? ’. Un anthropologue va mettre une vie entière à y répondre, quand les paysans peuvent répondre immédiatement et simplement, chose impossible pour eux si la question est contenue dans un livre ou un article d’anthropologue.

La simplification par les fiches est pour une certaine catégorie de la population, qui représente 99 pour cent du vivant, une bonne idée.

Mots-clés

milieu rural


, Afrique de l’Ouest

Notes

(1)Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement. B. Lecomte est ingénieur, consultant indépendant ; il milite depuis longtemps pour un développement endogène en Afrique.

Source

Entretien

GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement) - 228 rue du Manet, 74130 Bonneville, FRANCE - Tel 33(0)4 50 97 08 85 - Fax 33(0) 450 25 69 81 - France - www.grad-france.org - grad.fr (@) grad-france.org

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