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Les collectivités locales sont-elles toujours capables de relayer l’Etat ?

Un agent municipal sénégalais paralyse une mairie en sabotant l’ordinateur central

Falilou CISSE MBACKE

02 / 2001

Au Sénégal, les collectivités locales sont, depuis toujours, confrontées à un problème de personnel. Les agents sont recrutés de manière générale sans considération de compétence ou de qualification professionnelles. L’octroi d’un poste dans l’administration locale obéit davantage à une logique de clientélisme politique et de chantage social. Il s’ensuit que le personnel des collectivités locales se ramène généralement à un nombre pléthorique d’agents subalternes de faible niveau d’instruction, sans formation, et souvent sans exercice effectif d’une fonction déterminée. La durée et la progression dans la carrière est simplement fonction de la constance et du zèle dans l’allégeance au maire. Très souvent, les collectivités locales ne comptent qu’un seul cadre dans le personnel : le secrétaire général. Pendant très longtemps, celui-ci était un agent de l’Etat affecté à l’encadrement et à la direction de l’administration locale. Malgré la compétence qu’il mettait au service de la collectivité locale, le secrétaire général était mal vu et généralement écarté, dans la mesure où il était davantage perçu comme ’ l’oeil de l’Etat ’.

Avec les lois d’approfondissement de la décentralisation en 1996, les collectivités locales ont désormais la latitude de recruter ou de nommer leur secrétaire général soit parmi les fonctionnaires ou agents de l’Etat, soit parmi les citoyens qui, sans être de la fonction publique, peuvent néanmoins se prévaloir de la hiérarchie A ou B en raison d’une équivalence de diplômes. Cette opportunité donnée aux collectivités locales s’exercice donc dans des conditions légales et réglementaires précises.

Dans la commune de Bignona, le maire a entendu mettre en application ces nouvelles dispositions en nommant secrétaire général un agent municipal de la hiérarchie C. Cet agent avait, il est vrai, le niveau d’instruction le plus élevé parmi le personnel communal. Mais dans le même temps, il avait une vie politique tout aussi active que notoire. Il était dans le parti du maire, et au sein de ce parti, du même courant politique.

Conformément à la loi, le maire avait transmis sa décision de nomination au préfet chargé du contrôle de légalité. Le préfet avait émis un avis défavorable en raison de la violation du décret fixant les conditions de nomination et les avantages du secrétaire général. Malgré ce rappel de la loi, le maire n’est pas revenu sur sa décision. Ainsi, le secrétaire général n’avait pas une reconnaissance légale et par là-même, ne pouvait prétendre aux indemnités et avantages liés à sa fonction.

Quelques mois plus tard, en raison de divergences politiques au sein du parti, le maire décide de mettre fin à la nomination de fait du secrétaire général pour l’affecter de nouveau à la perception municipale, son poste d’origine. De façon délibérée et réfléchie, l’agent a vidé la mémoire de l’ordinateur de la mairie qui contenait la saisie de plus de deux ans de travail administratif. Il avait par là détruit les archives publiques et organisé un sabotage technique de l’ordinateur et de l’imprimante qui étaient hors d’usage.

Malgré la gravité des faits que constituent l’acte de sabotage sur des biens publics et la destruction volontaire d’archives publiques, aucune mesure n’a été prise à l’encontre de cet agent, ni sur le plan judiciaire, ni sur le plan professionnel tout simplement.

Mots-clés

collectivité locale, responsabilité citoyenne, administration publique, éthique du service public, gestion publique


, Sénégal, Bignona

Commentaire

Dans l’analyse des résistances en matière de décentralisation, il a été souvent évoqué, à la charge de l’Etat central, un déficit démocratique nourri par une volonté de tout contrôler dans des mesures qui frisent la paranoïa. Selon l’adage, ’ la centralisation est contre la décentralisation ’. Mais dans le fond, les collectivités locales, principales bénéficiaires de transfert de compétences et de pouvoirs, sont-elles prêtes à assumer leurs charges avec responsabilité et davantage d’efficacité que l’Etat central ? Ont-elles véritablement conscience de leur rôle et responsabilité dans le renouvellement des mentalités et des comportements des citoyens dans la perspective d’un Etat de droit prospère et performant ?

Le cas en présence illustre bien une longueur d’avance de l’Etat central sur les collectivités locales. En effet, il arrive souvent que cet Etat préjuge favorablement et donne aux collectivités locales des responsabilités ne correspondant pas toujours à leur degré de conscience et à leur niveau de compréhension des enjeux de la décentralisation. Bien des résistances au niveau central ne pourraient-elles pas trouver leurs causes du côté des collectivités locales elles-mêmes ?

Tout aussi bien, cette expérience rend compte des relations complexes et évidentes entre le statut du personnel local, la conception du service public et la gestion des biens publics chez les élus locaux et les agents de l’administration locale.

Il semble que le mode de recrutement et de gestion de la carrière des agents des administrations locales est un facteur déterminant dans la conception que l’on se fait en Afrique du service et des biens publics. A partir du moment où les agents sont recrutés et révoqués du simple fait de la volonté d’un élu, qu’ils sont ’ évalués et traités ’ en fonction d’une allégeance personnelle au maire, il y a fort à parier que ne se développe point une culture citoyenne du service et du bien public.

Cette situation est renforcé par l’impunité des agents lorsque, avec la complicité des élus, ils développent dans le service où à l’encontre des biens publics des comportements et des pratiques contraires à ce que le droit et le civisme eussent voulu.

Source

Récit d’expérience ; Texte original

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