Réhabiliter la notion de compromis dans une dynamique créative
06 / 1999
Deux auteurs, Alain Blancy et Gunther Gebhardt ont réfléchi à la notion de compromis et proposent des solutions de sortie de crise qui semblent converger...
Alain BLANCY est un théologien protestant d’origine juive. Déporté durant la dernière guerre, il a réfléchi en profondeur sur le pardon, la réconciliation, la reprise de dialogue. Gunther GEBHARDT, non-violent, alimente une stratégie du même ordre entre religion douce et intégrisme. Il pose la question de fond de toute sortie de crise, de toute issue à un conflit : ’ Qu’est-ce qui rend les conflits inévitables, et qu’est-ce qui les rend obsolètes ? Pourquoi un conflit éclate-t-il ? Comment se termine-t-il ?
On voit bien que si la violence initiale est toujours liée à une volonté d’humiliation, d’écrasement, voire d’anéantissement d’autrui, la fin de cette violence devient possible, non dans la quasi - disparition de l’autre, mais dans la reconnaissance de son droit à l’existence, de la légitimité de sa cause. Cette reconnaissance conduit nécessairement à la négociation et au compromis. La seule façon de résoudre les conflits latents ou aigus est l’art du compromis, qui est acceptation de la relativité des choses, des causes et refus de diaboliser autrui pour mieux le disqualifier. C’est ce qu’on appelle la démocratie : moins le pouvoir de la majorité que le respect des minorités.
Le compromis est, comme l’étymologie le suggère, une ’ promesse tenue en commun ’. La relativité ne signifie pas la tolérance et l’indifférence, mais l’art de la proportionnalité. Ce n’est pas renvoyer les adversaires dos à dos, mais c’est néanmoins la disposition à faire des concessions. Rien n’est joué à l’avance, mais le respect de l’autre comme un autre soi-même - dont l’amour va se réfléchir et revenir à soi-même, comme le dit le commandement divin, - est le commencement de la sagesse. Il y faut, bien sûr, la condition initiale de la confiance, c’est-à-dire de la foi. Mais à la différence des mafias qui, un peu partout, prennent le pouvoir et propagent la terreur pour le prix de l’argent, les parties en cause dans les conflits ont montré par leur souffrance et par leur ténacité qu’elles sont dignes de respect, ce dont la confiance émerge et se nourrit. Prises au piège, dans la souricière d’un lieu qu’elles ne peuvent ou ne veulent quitter, elles sont confrontées dans un test de vérité nue à ce qui les étreint et les consume.
Entre la fidélité à des principes et des traditions, une origine et une identité, et un désir et une disposition à changer, il n’y a pas à choisir. L’identité comme la tradition est un mouvement, une dynamique, l’origine est le principe moteur. L’universalisme n’est pas, n’est plus la victoire d’un protagoniste sur les autres, mais bien la combinaison créatrice de plusieurs projets. L’art, la religion, sinon la connaissance ont toujours été, voulu être, des forces créatrices, inventives, découvrantes... La véritable mémoire est celle qui sait reconnaître dans l’histoire les nouvelles symphonies, avant qu’elles ne se figent en systèmes définitifs.
2/ Gunther Gebhardt évoque les ’deux cultures religieuses’ : les conflits font partie des réalités humaines : il ne s’agit donc pas de les prévenir mais d’être attentif et éveillé pour prévenir leur éclatement violent et de les gérer d’une façon non-violente, avec le but de transformer le potentiel agressif qui s’y accumule en une source de créativité, de constructivité et de libération.
Un principe directeur de la la gestion non-violente des conflits est d’éviter qu’il y ait vainqueur et vaincu - source de conflits futurs déjà programmés - et d’oeuvrer vers une culture du compromis. Elle n’est pas une culture de l’exclusion mutuelle mais de la création d’un avenir commun où tous gagnent. Si les religions veulent devenir acteurs d’une telle culture non-violente du compromis, elles sont obligées d’affronter d’abord les conflits qui les traversent en leur sein même et d’apprendre à les gérer. Or, le conflit majeur qui traverse le monde religieux à présent n’est pas un conflit entre familles religieuses: les conflits inter-religieux sont relégués au second plan par le conflit intra-religieux entre les expressions fondamentaliste et libérale de la même tradition religieuse. Nous sommes là devant deux cultures religieuses et la grande confrontation inter-culturelle se joue à ce niveau -là. Ceci d’autant plus que ce conflit inter-culturel ne se limite pas à la vie interne des religions (il soulèverait alors peu d’intérêt)mais il a un impact direct sur les sociétés puisque les tendances dites fondamentalistes visent justement à déstabiliser les sociétés sécularisées et à leur imposer le totalitarisme de leur vision d’une société dominée par une religion, comme l’a fort bien analysé le sociologue Gilles Kepel.
Si la gestion non-violente des conflits forme une composante d’une culture de la paix et si l’on doit attendre une contribution significative des religions, cela suppose d’abord une transformation profonde des religions elles-mêmes de l’intérieur. Une conversion véritable vers la religion ’douce’. La religion douce est bien présente dans chacune des religions, mais, à travers l’histoire, elle a souvent été marginalisée, discréditée, étouffée, Puisque, par définition, elle ne cherche pas le pouvoir et la domination, mais est critique par rapport au pouvoir. La religion douce est celle qui privilégie la communication horizontale, le dialogue entre croyants ayant atteint l’âge de la maturité religieuse, la quête en commun de la vérité qui est au-delà de toute religion ; elle est la religion de l’accueil de l’autre, de la pluralité et du globalisme. Elle confère, certes, à l’individu un élément de son identité, mais une identité qui inclut toujours l’autre au lieu de se démarquer et de s’isoler de lui. Les religions n’ont jamais vraiment opéré cette conversion vers la religion douce par peur de perdre leur identité en s’ouvrant vers une conception plus large de la vérité. Or les religions trouveraient au contraire une nouvelle identité, désirée et partagée par un nombre bien plus important de nos contemporains, si elles osaient se transformer en forces de paix et d’ouverture.
paix, réconciliation nationale, culture de paix, passage de la guerre à la paix
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Le texte d’Alain Blancy a paru dans le courrier des lecteurs du journal ’ Réforme ’ ; il s’agissait, à partir de la ’Shoah’, des procès Papon et Pinochet, et du Rwanda, par exemple, d’engager une réflexion sur les notions et les pratiques de ’justice, pardon, amnistie... ’
Le texte de Gunther Gebhardt, prononcé lors d’une rencontre de la Conférence mondiale des religions pour la paix (WCRP)va dans le même sens : comment éviter les illusions et les naïvetés en ce qui concerne la prévention des conflits. Cette piste de recherche devrait, selon moi, être l’une des premières à mettre en oeuvre dans chaque situation de conflit. Ceci est particulièrement valable pour la situation en Algérie (mais aussi en Irlande, au Kosovo, en Palestine...)
Fiche rédigée dans le cadre d el’atelier ’religion et paix’, Amsterdam et La Haye, mai 99
Le texte de G. GEBHARDT, secrétaire général associé de la Conférence mondiale des religions pour la Paix (WCRP)est extrait d’un exposé fait à un séminaire de l’UNESCO, Barcelone 1993.
Livre
BLANCY, Alain; GEBHARDT, Gunther in. Réforme
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